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Affaire des disparus de Nachtigal : une plainte en France contre EDF, NHPC et ses dirigeants

Electricité de France (EDF), Nachtigal Hydro Power Company (NHPC), Camerounaise de Construction du barrage de Nachtigal (CCN), Elecnor, General Electric et leurs dirigeants respectifs font face à des poursuites judiciaires devant le Parquet du tribunal judiciaire de Nanterre en France et le Tribunal de première instance de Nanga-Ebogo au Cameroun. Les accusations portent sur la "violation du devoir de vigilance" et la "violation du devoir d'assistance", consécutivement à la disparition de deux salariés lors du naufrage survenu le 30 août 2023 sur le site du barrage de Nachtigal._

Les yeux déjà humides, Rubin Mpako se retient pour ne pas éclater en sanglots : «J’ai été victime d’un AVC à cause de la disparition de mon fils. Il avait prévu de se marier cette année, et voilà que ni sa fiancée, ni ses deux enfants ne savent s’ils le reverront un jour». L’homme, la soixantaine passée, est toujours sans nouvelle de son fils, Mpako Victor Rollin, ingénieur disparu après un naufrage survenu le 30 août 2023, sur le site de construction du barrage de Nachtigal au Cameroun. Employé par la Camerounaise de Construction du barrage de Nachtigal (CCN), sous-traitant de NHPC (Nachtigal Hydro Power Company), entreprise en charge de la conception, du financement, de la construction et l’exploitation de cet aménagement hydroélectrique avait embarqué dans un bateau avec quatre autres personnes pour une mission d’inspection sur la retenue d’eau.

Soudain, aux alentours de 11h50, le bateau a chaviré sur le fleuve. «Trois salariés ont pu être sauvés dans les heures qui ont suivi l’accident. Deux autres, en l’occurrence Victor Rollin Mpacko et Laurent Embomb n’ont malheureusement pas pu être retrouvés malgré les importants moyens de recherche qui ont été engagés», a communiqué la NHPC. Les familles des disparus, à travers un collectif d’avocats au Barreau du Cameroun, ont déposé, le 4 janvier dernier, une plainte contre Electricité de France (EDF) et son président-directeur général Luc Remont, NHPC et une douzaine de cadres de l’entreprise (Vincent Leroux, Patrick Bellet, Frédéric Labrosse, Vincent Caron, Lemaik Derlot, Abdoul Diallo, Pierre Maxence Durut, Gabriel Martin, Ahmed Belakbir, Thomas Merour et Mohamed Benzbir), la CCN, Elecnor, General Electric et leurs dirigeants respectifs devant le Parquet du tribunal judiciaire de Nanterre en France et le Tribunal de première instance (TPI) de Nanga-Ebogo au Cameroun pour «violation du devoir de vigilance» et «violation du devoir d’assistance».

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NHPC décline toutes responsabilités

Les conseils des familles des disparus du naufrage du 30 août 2023 réclament : un arrêt des travaux sur le chantier du barrage de Nachtigal, la reprise des recherches et la prise en charge des familles tout au long de la procédure. Selon les familles des disparus, le naufrage serait lié à une défaillance prévisible du moteur de l’embarcation, un problème que l’entreprise aurait dû anticiper. Faux, rétorque la société : «. L’analyse des causes de cet accident révélera plus tard qu’il y a eu une panne de moteur sur le bateau qui n’aurait pas pu être anticipée, alors que le bateau se trouvait à proximité des évacuateurs de crue qui l’ont aspiré et entrainé plus loin», confie le directeur général de NHPC Vincent Leroux, contacté par EcoMatin. IL est reproché à ce dernier de n’avoir jamais adressé un courrier officiel aux familles des deux disparus, alors que c’est son entreprise qui a la responsabilité du chantier du barrage. Là encore, le dirigeant français se défend : «NHPC n’a contractuellement pas de responsabilité directe d’employeur vis-à-vis des travailleurs de ses constructeurs, ces derniers disposant de contrats clés en main. Une notification par courrier officiel n’était donc pas de la responsabilité de NHPC».

Tentative de conciliation

Vincent Leroux assure avoir rencontré le représentant de la famille de sieur Mpako Victor Rollin début septembre 2023 au siège social de NHPC à Yaoundé, «dans l’intérêt de lui témoigner de la sympathie et de le rassurer que tous les moyens étaient déployés sur le chantier pour retrouver son parent». Or, selon les témoignages de la famille, le top management de NHPC aurait au cours de ladite rencontre, tenté de convaincre son hôte de ne pas ébruiter l’affaire contre une somme d’argent. «Cette rencontre a eu lieu le 16 septembre 2023 et nous avons décliné cette approche, se souvient un parent de Victor Rollin. Ils nous ont de nouveau appelés le 7 octobre et une fois encore, nous leur avons dit que la seule chose qui nous intéresse, ce n’est pas l’argent, mais c’est de pouvoir retrouver notre fils. S’il est mort, qu’on puisse retrouver son corps et nous le rendre afin que nous fassions notre deuil». Des allégations de tentative d’achat présumé de silence, rejetées fermement par la société. «Cette affirmation est purement et simplement fausse. Aucun échange de ce type n’a eu lieu entre NHPC et les familles des disparus. Ce type de comportement va à l’encontre des valeurs de l’entreprise», martèle Vincent Leroux.

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Rendez-vous au tribunal

Le patron de NHPC soutient que l’entreprise qu’il dirige «s’assure que le dialogue social soit bien effectif entre les familles des deux salariés portés disparus et leur employeur CCN et veillera à ce que les mesures d’accompagnement prévues par CCN soient conformes à la règlementation. NHPC continue également de déployer des moyens techniques et humains pour assister CCN dans les recherches des deux disparus qui se poursuivent jusqu’à présent». Le top manager de NHPC dit comprendre le désarroi des familles mais conteste toute responsabilité pénale ou civile dans cette affaire, tout en se tenant «disponible à répondre à toutes les sollicitations dans le cadre des enquêtes qui en découleront». Une première audience prévue ce 17 janvier au TPI de Nanga-Eboko a été renvoyée au 24 janvier, apprend-on.

Notons que cette affaire prend de l’ampleur alors que la mise en service du barrage de Nachtigal est attendue cette année. Ce barrage est le plus important en cours d’exécution dans le bassin de la Sanaga, avec une capacité projetée de 420 MW. A sa mise en service complète, l’ouvrage fournira près de 30% de la consommation électrique au réseau interconnecté Sud du pays, avec une électricité dite verte, compétitive et disponible toute l’année.

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