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Alain Fonin : « Les farines de patate, manioc, macabo… peuvent bien être utilisées dans les boulangeries »

L’expert en agro-business milite présente quelques pistes de substitution de la farine de blé dont la hausse ininterrompue du coût menace désormais l’approvisionnement.

L’actualité au Cameroun est meublée par une brouille entre le gouvernement et les importateurs de farine qui veulent répercuter les surcoûts du marché international sur le sac de farine au plan local. Les industries meunières ont récemment annoncé la suspension de leurs activités de production et de commercialisation de la farine de blé suite à l’inertie du gouvernement. Comment interprétez-vous cette décision qui pourrait provoquer à l’avenir une pénurie de ce produit sur le marché ?

Je pense qu’il s’agit d’une brouille entre les meuniers et le gouvernement et non les importateurs de farine. Chacun est dans son rôle et le dialogue devrait se poursuivre. Beaucoup d’autres secteurs sont affectés par la crise et chaque corporation défend ses intérêts à juste titre. Toutefois, il faudrait s’assurer que la structure des coûts des meuniers leur permet de poursuivre normalement leurs activités en gardant les mêmes prix. Avec une augmentation d’environ 50% du prix du blé et la rareté de la matière première sur le marché international, les meuniers sont bien obligés de solliciter l’augmentation de leurs tarifs.  A notre avis, Il faudrait  se pencher sérieusement sur les mesures qui vont permettre de relever le pouvoir d’achat des Camerounais et faire évoluer les habitudes de consommation.  

Le gouvernement privilégie la piste de l’importation du blé Turc (moins cher) et a accordé quelques allègements aux importateurs. Est-ce selon vous la solution ? Sinon quelle solution immédiate pour résoudre cette crise qui se dessine ?

Si d’autres sources d’approvisionnement peuvent permettre aux meuniers d’avoir la matière première à des tarifs qui leur permettent de maîtriser leurs coûts de production et satisfaire leurs clients ils devraient s’aligner sur les injonctions du gouvernement.  A l’immédiat il faudrait poursuivre les efforts visant à diversifier les sources d’approvisionnement, soutenir les industries avec des allègements fiscaux et agir sur le pouvoir d’achat des Camerounais.

Sur le long terme, il faut penser à consommer local pour se mettre à l’abri des fluctuations de prix à l’international. Le Cameroun a-t-il les moyens de produire du blé ? Existe-t-il des moyens de substitutions ?

Le Cameroun ne peut pas répondre à la demande des meuniers à court terme. Toutefois, en tenant compte des résultats des recherches effectuées par l’IRAD avec l’identification des bassins de production et des variétés, il faudrait impliquer l’industrie (meuniers) dans le processus de valorisation et les encourager à mettre en œuvre des stratégies diversification  verticale par intégration vers l’amont, afin d’aboutir à un approvisionnement en matière première locale à long terme. Les industries locales doivent également se doter de départements de recherche et de développement pour pouvoir anticiper sur les manœuvres stratégiques à effectuer de façon à pérenniser leurs activités.  

Lire aussi : Made in Cameroun : La Socaspiscam se lance le défi de la transformation du manioc

En ce qui concerne les produits de substitution, les farines de banane plantain, patate, manioc, macabo, maïs et biens d’autres cultures peuvent être utilisées dans les boulangeries, les biscuiteries, et les industries de fabrication de farines infantiles.

Patate, Macabo, Manioc… les alternatives émergent au quotidien mais peinent à s’imposer sur le marché. Comment viabiliser ces alternatives ?

Pour viabiliser ces alternatives il faut légiférer sur les incorporations de farine issue des tubercules en fixant une échéance de 3 ans maximum pour permettre aux différents acteurs de se préparer;  mettre en place des laboratoires de production industrielle des semences ; promouvoir l’installation de plantations industrielles de cultures locales (patate, banane plantain, macabo, manioc…), ; mettre en place des technopoles et des parcs industriels dans les cinq zones agro écologiques favorables ; accorder des encore plus de facilité pour l’importation des équipements industriels destinés à la transformation des tubercules et à la valorisation de leurs résidus; exonérer les farines locales de la TVA ; rétablir à long terme les taxes et droits de Douane sur les importations de blé ; interdire l’importation des farines sur le territoire ; et Communiquer sur les changements de comportement de consommation. Cela permettra de privilégier l’emploi local, d’augmenter la production, de maîtriser l’inflation, et de réduire les importations.

Quels leviers actionner pour que le Cameroun devienne autosuffisant au plan alimentaire ?

Le développement des chaînes de valeur agricoles doit être au centre de nos choix économiques. Le Cameroun doit pouvoir se positionner comme « une puissance agricole » en s’appuyant sur les cinq zones agro écologiques, sur son potentiel hydraulique, sur ses terres arables et ses résultats de recherches. Ceci, en mettant en place des mesures incitatives supplémentaires indispensables pour l’industrialisation, en consacrant 10% du budget de l’Etat à l’alimentation, en mettant en place un fonds souverain pour appuyer (prise de participation, garanties, crédit à long terme…) directement des acteurs des chaînes de valeur agricoles (semenciers, chercheurs, producteurs d’intrants, planteurs, transformateurs, distributeurs…).

En tenant compte de la forte concentration des populations dans les grandes villes, il faut également promouvoir l’agriculture verticale et la pisciculture qui ne nécessitent pas des investissements lourds et sont des métiers qui peuvent avoir une forte attractivité vis-à-vis des jeunes.

Propos recueillis par Cédrick Jiongo 

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