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Camair-Co : privatiser, pour éviter le crash

Le 2 juillet 2020, le Premier ministre chef du gouvernement, Joseph Dion Ngute, a présidé à l’Auditorium de ses services, un Conseil de cabinet spécial, consacré à l’examen du Document de Programmation économique et Budgétaire à moyen terme pour la période 2021-2023, présenté au gouvernement à cette occasion, par le ministre des Finances. Au chapitre des principaux axes de cette programmation, Louis Paul Motaze n’a pas manqué de proposer au chef et à l’ensemble du gouvernement, d’inscrire «l’amélioration de la rentabilité et de la compétitivité des entreprises publiques», au cœur de l’action économique et financière du gouvernement au cours de cette période. Et il est vrai que pour ce membre du gouvernement, cette proposition n’était guère surprenante. Convaincu depuis des décennies que l’insolvabilité des entreprises publiques camerounaises n’est pas un «fatalité», Louis Paul Motaze, qui assure la tutelle financière de ces entreprises publiques et qui a une connaissance d’arpenteur des risques de dérapage majeurs que ces entités extrabudgétaires font courir au budget de l’Etat, n’a pas cessé de plaider, ces dernières années, pour la mise en œuvre, au bénéfice de ces entreprises publiques, de mécanismes d’optimisation de leurs performances et de leur productivité. Le 2 juillet 2020, le Premier ministre chef du gouvernement, a donc instruit le ministre des Finances, de lui soumettre, «sous quinzaine», des propositions concrètes et détaillées, et de «privilégier l’ingénierie du partenariat, en identifiant celles des entreprises publiques dont le capital peut être ouvert au secteur privé, dans la perspective de soulager le Trésor public et d’accroître leurs performances», selon les termes du communiqué final rendu public à l’issue de ce Conseil de cabinet. Au moment où ces lignes sont écrites, ce 10 juillet 2020, le ministre Motaze et ses équipes peaufinent leur copie, et grâce aux fuites de documents administratifs devenues fort heureusement presque systématiques, l’opinion publique, mais surtout les investisseurs devraient connaître, dès le début de la seconde quinzaine du mois de juillet 2020, celles des entreprises publiques, retenues par le Minfi, pour céder une partie de leurs parts sociales au secteur privé. En attendant, comment ne pas songer que la Cameroon Airlines Corporation (Camair-co) fera immanquablement partie de cette liste ?

La désignation, le 27 mai 2019, de Louis Georges Njipendi Kouoto comme Directeur général de Camair-Co par le Conseil d’administration de l’entreprise, dont il était alors le président, n’avait pas surpris grand monde. Ernest Dikoum, qui dirigeait l’entreprise depuis le 22 août 2016, avait ses résultats contre lui : en décembre 2016, soit quatre mois après son arrivée à la tête de l’entreprise, celleci cumulait 65 milliards Fcfa de dettes, selon le rapport 2019 de la Commission technique de Réhabilitation des entreprises publiques (CTR). Et malgré la mise en œuvre d’un ambitieux plan de relance du transporteur public camerounais axé sur une chasse aux coûts et un recentrage de l’exploitation sur le marché domestique, les données financières de l’entreprise ne s’amélioraient guère : la dette totale de l’entreprise avait explosé à 76 milliards Fcfa selon les données de la CTR; le chiffre d’affaires avait reculé de 16,1 milliards Fcfa en 2016 à 15,1 milliards Fcfa en 2017 selon l’édition 2019 du «Tome Vert», annexe de la loi de Finances édité par le ministère des Finances et qui présente et analyse la situation financière détaillée des entreprises et établissements publics, ainsi que celle des entreprises dans lesquelles la participation de l’Etat au capital social est minoritaire. Selon la CTR, ce chiffre d’affaires était même tombé de 14,03 milliards Fcfa à 4,3 milliards Fcfa.

Les charges d’exploitation, que Ernest Dikoum s’était pourtant engagé à réduire dans le cadre de son plan de relance, étaient passées, selon le Tome vert 2019, de 47,09 milliards Fcfa en 2016, à 54,2 milliards Fcfa en 2017 (ce malgré une réduction des effectifs de 754 personnes sous contrat en 2016, à 596 personnes à 2017 selon la CTR et une réduction des charges de personnel de 7,8 milliards Fcfa en 2016 à 7,6 milliards Fcfa en 2017 selon le Tome vert 2019), contribuant, avec d’autres indicateurs, à dégrader les résultats d’exploitation qui étaient passés, selon les deux sources suscitées, de -3,2 milliards Fcfa en 2016, à -12 milliards Fcfa en 2017. Les difficultés budgétaires de l’état qui en est l’unique actionnaire, et dont se plaignait de plus en plus Ernest Dikoum sont simplement venues sceller son sort. En décidant de son remplacement par le PCA de la compagnie, le chef de l’Etat espérait sans doute que le nouveau DG, grand connaisseur de la «maison», parviendrait à faire redécoller le transporteur camerounais. Il semble que le Président Paul Biya n’a guère eu la main heureuse… Alerte C’est une « alerte du Commissaire aux comptes», Pierre Okalla Ahanda, datée du 18 juin 2020 et adressée au Président du Conseil d’administration de Camair-Co, Jean Ernest Masséna Ngallé Bibéhè, par ailleurs ministre des Transports, qui est venue documenter encore l’irréversible descente aux enfers de la compagnie.

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«Camair-Co ne dispose actuellement d’aucun aéronef en état d’opérer: Le seul Aéronef MA 60 susceptible de voler à brève échéance est en attente de pièces de rechange; les deux Boeing 737-700 NG nécessitent d’importants travaux de maintenance; de même que le Boeing 767 « Le Dja » ; le personnel cumule actuellement quatre mois d’arriérés de salaires pour une masse salariale mensuelle d’environ 500 millions de francs CFA. L’ensemble des effectifs est en poste malgré l’arrêt total des activités et les perspectives aléatoires de reprise de vols; les pertes annulées au 31 décembre 2018 étaient de 99 166 756 127 FCFA auxquelles il faudrait ajouter une perte prévisionnelle de 15 milliards de francs CFA en 2019 et 12 milliards de francs CFA au titre du premier semestre 2020, pour un capital social de 21 856 000 000 FCFA ; une dette colossale estimée à environ 113 milliards de francs CFA au 31.12.2018», énumère le Commissaire aux comptes qui invite son destinataire, à lui faire connaître «les mesures envisagées pour éviter une cessation de paiements voir une dissolution de la Camair-C». «C’est en application des dispositions ci-dessus que nous lançons la présente procédure d’alerte. En effet, nous avions déjà relevé dans notre rapport de Commissariat aux Comptes au titre de l’exercice 2015 émis le 9 Avril 2018, que les capitaux propres de CAMAIR-CO étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social et que l’Assemblée Générale devait décider s’il y a lieu de procéder à la dissolution anticipée de la société ou non», rappelle le Commissaire aux comptes.

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Qui poursuit : «Par résolution n002/AGE/05/2018 du 25 mai 2018, l’Assemblée Générale extraordinaire de CAMAIR-CO a décidé de la poursuite des activités de la société. A la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, la situation décrite ci-dessus n’avait toujours pas été régularisée comme le stipule l’article 665 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique». On le voit, face à un modèle économique aussi ruineux, seule une gestion rigoureusement assise sur des impératifs de rentabilité, peut parvenir à sortir le transporteur camerounais de ce cercle vicieux. Une ouverture du capital au privé, pourrait y aider.

Instabilité chronique dans le cockpit

La compagnie aérienne camerounaise change ses DG et PCA presqu’autant que ses avions changent d’équipages.

Le DG et le PCA de Camair-co

 L’information en a fait sourire plus d’un : au tout début de juin 2020, nos confrères Investir au Cameroun et L’œil du Sahel assuraient que le gouvernement cherchait un nouveau Directeur général pour Camair-Co. Selon nos confrères, manifestement bien informés sur le sujet, l’option du gouvernement sur ce dossier serait d’autant plus définitive qu’il avait déjà entrepris de consulter plusieurs personnalités pour le Job. L’une d’elles, Charles Tawamba, aurait simplement décliné l’offre. Si l’inspecteur des régies financières à la retraite l’avait acceptée, il aurait été, depuis lors, le 7ème DG de l’entreprise, en 9 ans ! Et l’actuel Directeur géné- ral, Louis Georges Njipendi Kouoto, n’aurait alors passé qu’un peu plus d’un an à son poste. En cette matière, seule la sé- lection fanion des «Lions indomptables» du Cameroun, fait figure de challenger…

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En neuf ans d’activités, la Cameroon Airlines Corporation (Camair-co) aura connu 6 directeurs généraux: Alex Van Elk, Mattjis Boertien, Frédéric Mbotto Edimo, Jean Paul Nana Sandjo, Ernest Dikoum, et Louis Georges Njipendi Kouoto, l’actuel encore en poste. Que dire de la valse des pré- sidents du conseil d’administration de la compagnie aérienne : Philémon Yang, Edouard Akame Mfoumou, Mefiro Oumarou, Louis Georges Njipendi Kouoto, Jean Ernest Masséna Ngalle Bibehe etc….Soit deux pré- sidents du conseil d’administration tous les deux ans. L’un des ressorts profonds de cette valse de dirigeants, ce sont les batailles de tranchées que ceux-ci se livrent souvent, avec férocité. Conflits entre ministères de tutelle (ministère des transports et ministère des finances) et présidents du conseil d’administration ; conflits entre ou entre présidents du conseil d’administration et directeurs généraux… Deux cas illustrent parfaitement ces tensions intestines. Il y a d’abord eu l’humiliation infligée publiquement par Robert Nkili, le ministre des Transports de l’époque, à Frédéric Mbotto Edimo, lors de la cérémonie d’installation de Jean Paul Nana Sandjo, le 25 juin 2014: «Il faut respecter la hiérarchie. On ne discute pas les ordres de son supérieur», avait-il lancé au Directeur général sortant totalisait seulement 10 mois à la tête de la Camair-co.

Les relations entre l’expert en aéronautique et Edouard Akame Mfoumou, alors Président du Conseil d’administration, étaient en effet devenus exécrables. Profondes divergences Il y a ensuite les tensions à répétition entre Jean Ernest Masséna Ngalle Bibehe, actuel ministre des Transports, Président du conseil d’administration de la Camair-co, et Louis Georges Njipendi Kouoto. Par correspondance, les deux dirigeants ont étalé ces dernières semaines, leurs profondes divergences dans la prise de décisions au sein de la compagnie aérienne. Le conflit a atteint son paroxysme lorsque dans une correspondance du 20 août 2019, le président du conseil d’administration va requérir du directeur géné- ral l’annulation de plusieurs de ses décisions de nomination de responsables à Camair-Co: «Je vous demande de procéder à l’annulation de tous ces textes signés le 19 août, jusqu’à la validation de l’organigramme de la société par un prochain conseil d’administration». Réplique de Louis Georges Njipendi Kouoto, le 23 août 2019: «….Lesdites dé- cisions portent nomination des responsables jusqu’au rang de chef de service. Celles relatives à la désignation à titre intérimaire de certains responsables ayant rang de chef de dé- partement, le sont en guise de mesures conservatoires.

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 Elles interviennent toutes dans un contexte marqué, aussi bien par d’impé- rieuses nécessités de service que par l’impulsion de la dynamique commandée par la mise en œuvre de la stratégie de stabilisation à moyen terme, pour laquelle j’ai sollicité et obtenu l’approbation du conseil d’administration en date du 25 juin 2019». Le 23 mars 2020, le Pré- sident du conseil d’administration de la Camair-Co a par ailleurs rejeté la requête de financement d’urgence sollicitée par le directeur général pour sortir la compagnie aérienne de l’impasse managériale. Montant de l’enveloppe demandée par Louis Georges Njipendi Kouoto, 2 milliards de FCFA.

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