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Cameroun : avec 110 milliards FCFA payés en 2023, l’État dit avoir épongé «toute» sa dette vis-à-vis d’Eneo mais…

Pour Yaoundé, la dette consolidée due à Eneo est, à date, réglée. L’électricien s’appuyait pourtant dessus pour justifier les non-paiements à ses fournisseurs dont KPDC et DPDC qui lui réclamaient environ 108 milliards FCFA. La solvabilité revendiquée par l’Etat suffira-t-elle pour assainir les finances du secteur de l’électricité et par ricochet réduire les délestages ? Immersion dans un cercle vicieux où le consommateur final est la seule victime.

Entre le 1er janvier et le 20 décembre 2023, l’État Camerounais a versé un total de 109,9 milliards de FCFA à Eneo, selon des données du Trésor public consultées par EcoMatin. Ce montant est divisé ainsi qu’il suit : 28 milliards FCFA au titre de la consommation publique d’électricité ; 31,9 milliards FCFA représentant la compensation tarifaire (subvention au consommateur supportée par l’État) ; 14 milliards FCFA au titre des remboursements de la TVA et 5 milliards FCFA de travaux remboursables. Ajouté à cela, Yaoundé dit avoir versé à l’énergéticien, 30 milliards FCFA en décembre 2023 représentant la dette partielle de certaines entreprises publiques notamment Alucam (17 milliards), CDC (4,8 milliards), CICAM (2,2 milliards) , Camwater (5,6 milliards).

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Ainsi, ces paiements réalisés sous plusieurs formes (cessions de créances, paiements directs du trésor, etc) portent à 329 milliards FCFA les sommes versées au distributeur exclusif de l’électricité au Cameroun entre 2021 et 2023. « A date, l’État ne doit rien à Eneo », tempête fermement un cadre du ministère des finances.

Commun accord

Le montant cumulé des paiements avancé par le Trésor semble minime par rapport à ce que réclamait Eneo. La filiale du britannique Actis estimait le montant dû par l’État et ses démembrements à 234 milliards de FCFA, au 30 septembre 2023. Un montant qui a visiblement connu une importante coupe au sortir des évaluations faites avec les différentes parties prenantes et qui a abouti sur la signature d’un procès-verbal. En effet, les réclamations d’Eneo ont été confrontées aux paiements effectuées par l’État à la période sous revue, ce qui a même permis de constater un excédent de 16,3 milliards de FCFA. « Après plusieurs séances de pointages contradictoires des paiements effectuées par l’État central à Eneo et des pièces justificatives des dépenses validées, exigibles et payées, une situation consolidée a été arrêtée de commun accord entre les équipes du Minfi, d’Eneo et de l’Arsel et consigné dans un procès-verbal » explique notre source avant de conclure « tant que ce n’est pas encore validé, l’État, de manière légitime, ne doit rien à Eneo ».

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Toutefois, la dette de l’État n’est pas totalement apurée car d’autres montants dus sont en cours de validation avec l’ARSEL et devraient suivre le même cheminement que les précédentes. Les documents du Minfi laissent, par exemple, voir que l’Etat n’a rien payé en 2023 au titre de l’éclairage public ; poste pour lequel la filiale d’Actis réclamait un peu plus de 52 milliards FCFA à fin avril. «Il ne s’agit que de prétentions, qui doivent maintenant faire l’objet de vérifications, de rapprochements et de consolidations entre le gouvernement et ENEO, sous l’égide du régulateur ARSEL. Il ne s’agit pas encore d’une dette exigible à l’Etat par ENEO. Et en général, ces réclamations sont très loin de la réalité», explique, optimiste, notre source.

Entre temps, les délestages…

Le règlement par l’État de sa dette consolidée vis-à-vis du distributeur signifie-t-il que les populations subiront moins de délestages ? Difficile de répondre par l’affirmative même si Eneo a toujours présenté l’insolvabilité de l’État comme le facteur majeur du déséquilibre du secteur de l’électricité. Car étant donné que Yaoundé ne paye pas ses consommations en amont, le distributeur est en incapacité de régler ses fournisseurs d’énergie en aval notamment EDC (electricity development corporation), la Sonara, KPDC et DPDC. D’ailleurs ces deux dernières, filiales de Globelec, ont coupé, en fin d’année 2023, l’approvisionnement à Eneo en raison d’impayés de plus de 107 milliards FCFA. La conséquence de cette fermeture des vannes est que Eneo a dû rationner la fourniture de l’énergie électrique pendant plusieurs semaines provoquant de longues coupures pour les populations. C’est le paiement par l’État de 30 milliards FCFA, représentant une partie de la dette des entreprises publiques, qui a permis à Eneo d’atténuer sa dette vis-à-vis de Globeleq rétablissant ainsi l’approvisionnement.

C’est dire qu’on est pas à l’abri d’une nouvelle rupture d’approvisionnement de Globeleq dont l’autre partie de la dette n’a pas été apurée. Pour que cela soit possible, Yaoundé doit s’acquitter de ces arriérés. En plus de la facture de l’éclairage public sus évoquée, (qui est en cours de validation auprès de l’Arsel), il faut ajouter le solde de la dette des entreprises publiques. Cette dette, selon les données du ministère des finances est évaluée à 20,5 milliards FCFA au 20 décembre 2023 dont 602 millions de FCFA du Palais des Congrès, 898 millions de FCFA de Camtel, 2,3 milliards de FCFA de la CRTV et environ 12 milliards de FCFA de Camwater.

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L’État est le garant en dernier ressort de cette créance et en cas d’insolvabilité, devra prendre les devants pour régler. Même si, au ministère des finances, on explique qu’un cadre permanent a été mis en place pour assurer le suivi des paiements mensuels par ces entités publiques de leurs factures d’électricité. Nous sommes parvenus à convaincre les entités publiques qui disposent de l’autonomie financière, à rationaliser leurs consommations d’électricité et à les payer mensuellement. Le trésor public ne prendra désormais en charge que les paiements de l’éclairage public, de la compensation tarifaire, et des consommations des administrations centrales» commente le Minfi.

Le casse-tête Nachtiga

Alors que le gouvernement semble sur la bonne voie pour assainir les finances du secteur de l’électricité, l’entrée en production cette année 2024 du barrage de Nachtigal (420 MW) devrait davantage lui compliquer la tâche. Et pour cause, l’injection de l’électricité de Nachtigal augmentera pour l’État, le coût de la compensation tarifaire. Rien que pour ce nouveau barrage, cette compensation est pondérée à un coût fixe mensuel de 10 milliards FCFA que doit payer le Trésor public. Une couleuvre difficile à avaler que Yaoundé attribue au sous d’investissement d’Eneo.

« La subvention ou la compensation tarifaire va augmenter significativement dès 2024, faute d’accroissement des recettes du fait d’un sous investissement notamment en distribution pour la vente de l’électricité de Nachtigal (…) La société Eneo n’a pas pu lever des ressources financières longues auprès de la SFI notamment d’environ 210 milliards F CFA pour le financement des investissements surtout en distribution en prélude à l’arrivée de la Centrale hydroélectrique de Nachtigal », reconnaît le ministère de l’Eau et de l’énergie dans son Plan de redressement du secteur de l’électricité.
L’amélioration de la distribution sera donc le premier défi de l’Etat qui est en passe de racheter Eneo. Pour ce faire, Yaoundé a mis sur pied un « Plan d’Urgence Transport-Distribution (2023-2026) » d’un coût de 400 milliards FCFA.

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