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Cameroun-Banque Mondiale: bataille féroce autour de 74 milliards d’un fond d’appui à l’enseignement

Dans une correspondance dont copie est parvenue à notre rédaction, le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, demande à comprendre la procédure ayant conduit au limogeage de la coordinatrice générale du Projet d’appui au développement de l’enseignement secondaire et des compétences pour la croissance et l’emploi (Padesce), le 24 mai. Cette rupture de contrat en violation de l’accord de financement signé avec le bailleur de fonds émane des ministres des Enseignements secondaires et de la Formation professionnelle, en lieu et place du Minepat. Une enveloppe de 74 milliards de Fcfa en jeu. L’institution de Bretton Woods fait le dos rond.

Depuis le 24 mai dernier, les ministres de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Minefop) et des Enseignements secondaires (Minesec) ont, sur un motif questionnable, mis fin aux fonctions de la coordinatrice du Projet d’appui au développement de l’enseignement secondaire et des compétences pour la croissance et l’emploi (Padesce), Paulette Marceline Bayiha, qui en était à sa deuxième année de service à la tête de ce programme co-financé par la Banque mondiale à hauteur de 73,8 milliards de Fcfa et l’Etat du Cameroun qui, jusque-là, a décaissé 286 millions de Fcfa. 

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Issa Tchiroma Bakary et Nalova Lyonga, dans une correspondance administrativement pleine de contre-sens datée du même jour, ont reproché à cette dernière d’avoir, entre autres « actes d’insubordination » à leur égard, servi une lettre d’observation au responsable administratif et financier, contre leur avis. Et pour la suppléer, les deux maîtres d’ouvrage du projet ont désigné comme coordinateur général par intérim, Magloire Diamant Mbenoun, le 29 mai. Cette dernière qui assure par ailleurs les fonctions de conseiller technique no 1 au Minefop était  jusque-là coordonnatrice technique de la composante 2 du Padesce.

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La coordinatrice évincée et son entourage se demandent ce que valent cette lettre et la mesure la   mettant sur la touche, d’autant qu’a priori, le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), signataire de son contrat de commun accord avec le bailleur de fonds, ainsi que le prévoit l’accord de financement en sa section I.B, n’aurait pas été associé à cette démarche. En tout cas, ces deux administrations affichent une attitude ambiguë face à certaines explications du Minefop et du Minesec. Co-présidents du comité de pilotage du Padesce, Issa Tchiroma Bkakary et Nalova Lyonga disent n’avoir jamais validé le contrat de ce qu’il est convenu d’appeler désormais l’ancienne coordinatrice. 

Le Minepat 

Or, dans une correspondance datée du 14 février 2022, le Minepat Alamine Ousmane Mey informe ses deux collègues qu’avec l’appui des équipes nationales de son département ministériel et de leurs deux ministères, que le recrutement de la coordinatrice a suivi le processus de passation des marchés de la Banque mondiale, tout en précisant que le bailleur a donné sa non objection. Cependant, depuis l’éviction de dame Bayiha, le même Minepat s’est muré dans le silence et laisse faire ses collègues qui outrepassent manifestement leurs prérogatives.

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Le 13 juin dernier, le nouveau directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Cameroun, Cheick Kanté, qui a hérité de cette patate chaude en succédant à Elisabeth Huybens quelques jours plus tôt, le 1er juin, a adressé un courrier à Alamine Ousmane Mey avec en objet : « sollicitation du Minepat pour la confirmation et les dispositions appropriées pour la mise en œuvre du Padesce ». Dans cette correspondance que nous avons consultée, le patron de la représentation de la Banque mondiale au Cameroun demande au ministre de confirmer la désignation de la coordonnatrice par intérim, condition sine qua none avant toute collaboration de l’institution de Bretton Woods avec elle, « en attendant le lancement du processus de recrutement d’un nouveau coordonnateur, selon les termes de référence qui nous seront soumis pour avis de non objection préalable ». Nous n’avons pas pu obtenir la réponse du Minepat à ce courrier. Mais, tout porte à croire que le ministre de l’Economie ne trouve aucun inconvénient dans la désignation de dame Mbenoun. Cela va de soi, puisque la coordonnatrice générale par intérim est en poste. Il faut préciser qu’Alamine Ousmane Mey n’a pas signé personnellement le contrat de la coordinatrice générale évincée.

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Dans leur lettre du 25 mai adressée à l’ex-directrice des opérations de la Banque mondiale, le Minesec et le Minefop justifient leur décision de mettre fin à toute collaboration professionnelle avec Paulette Ngo Bayiha en tant que coordonnateur général du Padesce, par le fait que « ce n’est pas le ministre de l’Économie qui a signé son contrat ». « Si notre collègue avait engagé le gouvernement par sa signature, notre réaction aurait été différente », soulignent-ils. 

De source sûre, c’est effectivement l’ex-directeur général de la coopération et de l’intégration régionale au Minepat, Charles Assamba Ongodo, qui l’avait paraphé par délégation de signature. Ce dernier a été promu en mars dernier au poste de vice-président de la Commission de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). D’un point de vue juridique, ce contrat est bel et bien valable, le ministre de l’Économie lui-même ayant confirmé – comme indiqué plus haut – à ses collègues que la procédure ayant conduit au recrutement de dame Bayiha n’a été entachée d’aucune irrégularité. Il y a donc violation du principe du parallélisme des formes.

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Faute lourde

La Banque mondiale elle-même n’est pas exempte de tout reproche dans cette affaire qui cache mal une lutte d’intérêts pour le contrôle des 74 milliards de Fcfa mis à disposition pour ce projet. Or, pour un bailleur de fonds réputé intransigeant quant au respect scrupuleux de ses procédures, le limogeage dans des conditions cavalières du coordonnateur du Padesce est un dangereux précédent pour la vingtaine d’autres projets et programmes du portefeuille de la Banque mondiale au Cameroun. 

Pour rompre un contrat de travail sans préavis comme l’ont fait les deux co-présidents du comité de pilotage (Copil) du Padesce, il faudrait en principe que dame Bayiha ait commis une faute lourde.  « Ici c’est laquelle ? Le rappel à l’ordre de son collaborateur ? Le Copil est garant du suivi des résultats du projet et non du suivi de la relation professionnelle interne entre le coordonnateur et le staff. Dans une relation professionnelle entre un responsable et son collaborateur, de quoi se mêlent les maîtres d’ouvrage, si ce n’est parce qu’ils y ont directement intérêt ou parce qu’ils sont manipulés par des individus tapis dans l’ombre, qui lorgnent le projet pour leurs intérêts égoïstes ? Le contrat du coordonnateur n’est pas signé par ces membres du Copil, ils ont lu les prérogatives d’un comité de pilotage ? », s’interroge un responsable proche du dossier.

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Pour rappel, le Padesce est une initiative du gouvernement mise en place avec l’appui de la Banque mondiale. Il est structuré autour de quatre composantes et a pour objectif d’améliorer l’accès équitable à un enseignement secondaire de qualité et à une formation technique et professionnelle adaptée au marché ; avec un accent sur les filles les plus désavantagées et les apprenantes défavorisées des zones de faible niveau de scolarisation, les apprenants et enseignants des établissements scolaires de l’enseignement secondaire général des zones rurales ou périurbaines bénéficiaires du projet et les apprenants déplacés internes ou réfugiés des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il connaît un niveau de mise en œuvre « très critique », avec un taux de décaissement de seulement 14 % à fin mai 2023, estime la Banque mondiale, à 2,5 ans de sa clôture. Avant son éviction, dame Bayiha venait de lancer une douzaine de marchés.

Presidence de la République 

Dans une correspondance adressée il y a quelques jours au secrétaire général des services du Premier ministre et donc copie est parvenue à EcoMatin, le ministre d’État secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, lui demande de lui faire le point sur le dossier relatif à la rupture du contrat de Paulette Marcelline Bayiha, « pour la très haute et complète information du chef de l’Etat ». Le 04 juillet, l’on a annoncé une réunion relative à ce dossier à la Primature.

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