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Cameroun : comment Nachtigal va impacter le secteur de l’électricité

A sa mise en service complète, ce barrage de 420 MW augmentera de 1/3 les capacités du pays et réduira substantiellement le thermique dans le mix-énergétique. Lire notre analyse.

A la fin du mois de février 2023, les travaux de construction du barrage de Nachtigal étaient officiellement rendus à 83%, selon Nachtigal Hydro Power Company. Ce rythme d’avancement des travaux sur le terrain permet à cette entreprise de gestion du projet, d’envisager avec sérénité l’injection des premiers mégawatts (MW) d’électricité dans le Réseau interconnecté Sud (RIS) au mois de décembre 2023, après le retard accusé dans les travaux du fait de la pandémie du Covid-19. Mais, à NHPC, l’on annonce qu’il faudra attendre l’année 2024 pour voir la plus grande centrale de production d’électricité du Cameroun tourner à plein régime, avec des impacts considérables sur l’ensemble de l’écosystème de l’électricité au Cameroun.

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Parmi ces impacts considérables, il y a d’abord l’accroissement substantiel de la production d’électricité au Cameroun. En effet, avec ses sept turbines de 60 MW chacune, cette infrastructure énergétique produira à elle seule 420 MW d’énergie électrique. Ce qui correspond aux capacités cumulées de la centrale à gaz de Kribi (216 MW) et du barrage de Memvé’ele (211 MW), en période de production maximale. Selon la Banque mondiale, cette puissance du barrage de Nachtigal permet au Cameroun d’envisager l’augmentation, dès l’année 2024, de 30% de ses capacités de production actuelles, estimées en environ 1 500 MW.

De quoi redonner de l’espoir aux quelque 1,7 million de clients connectés au réseau de la société Eneo, chargée de la production et de la distribution de l’électricité au Cameroun. En effet, depuis des années, et malgré les investissements consentis dans le secteur de l’électricité, ces clients n’ont de cesse de se plaindre des délestages, souvent consécutifs au déficit de production enregistré par le pays. A titre d’illustration, dans une note confidentielle adressée le 17 février 2023 au directeur général de la société Eneo par le ministre de l’Eau et de l’Energie, Gaston Eloundou Essomba chiffre ce déficit de production dans les six régions couvertes par le Réseau interconnecté Sud (RIS), entre 40 et 150 MW par jour, depuis le mois de janvier 2023.

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Comme autre impact de la mise en service totale du barrage de Nachtigal, l’on peut citer le renforcement de la prédominance de l’hydroélectricité, moins coûteuse et plus propre, dans le mix-énergétique du Cameroun. Jusqu’ici estimée à 61,77%, la contribution de l’hydroélectricité dans le mix-énergétique du Cameroun devrait tourner autour de 90% avec l’opérationnalisation du barrage de Nachtigal, rendant pratiquement résiduelle la part du thermique, actuellement estimée à 38,2%. Cette contribution du thermique au mix-énergétique pourrait même devenir quasiment insignifiante, dans la mesure où, même dans le Réseau interconnecté Nord (RIN), l’entrée en jeu des centrales solaires modulaires installées par la société Scatec, avec la bénédiction du gouvernement, a éclipsé le thermique.

Réduction des coûts de production

Cette catégorie d’énergie s’était pourtant imposée dans la partie du Cameroun couverte par le RIN, à cause du déficit de production du barrage de Lagdo, dont la production culmine souvent à moins de 30 MW, sur une capacité installée de 72 MW. Dans une correspondance adressée au ministre de l’Eau et de l’Énergie le 5 septembre 2022, la société Eneo, parlant de la situation énergétique dans les trois régions septentrionales du Cameroun au mois d’août 2022, révèle que grâce aux centrales solaires de Scatec, « la sollicitation des centrales thermiques a considérablement baissé, et représente aujourd’hui environ 10% dans le mix énergétique du Réseau interconnecté Nord (RIN), contre plus de 80% les mois précédents ».

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La réduction considérable du thermique dans le mix-énergétique, que va provoquer la mise en service du barrage de Nachtigal, charrie d’importants enjeux financiers. « Quand il sera opérationnel, le barrage de Nachtigal permettra au pays d’économiser chaque année 100 millions de dollars supplémentaires de coûts de production », soit plus de 60 milliards de FCFA, selon un article publié sur le site de la Banque mondiale, sous le titre : « le barrage de Nachtigal : une étape clé dans le développement de l’hydroélectricité au Cameroun ». En effet, en plus d’être plus polluant que l’énergie hydroélectrique, le thermique est très onéreux à cause des coûts exorbitants des combustibles (gaz, fioul, gasoil). A titre d’illustration, la décision prise en début d’année 2021 de transférer dans la partie Nord du Cameroun une capacité de 20 MW de thermique démontés à la centrale d’Ahala, non loin de Yaoundé, a engendré des besoins en combustibles d’un montant de 80 millions de FCfa par jour. Ce qui, en un mois, correspond à une dépense de 2,2 milliards de FCfa.

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Comme le souligne l’article de la Banque mondiale cité plus haut, ce type de dépense va être considérablement réduit avec la mise en service du barrage de Nachtigal. Ce qui, d’un autre côté, va provoquer une baisse substantielle de la compensation tarifaire. Il s’agit d’une subvention versée par l’Etat à la société Eneo, afin de permettre à cette entreprise de facturer aux ménages et aux entreprises le kilowatt aux tarifs décidés par l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (Arsel). Ce tarif étant généralement largement en dessous du coût réel de production de l’opérateur. Entre 2012 et 2022, cette compensation tarifaire a coûté 300 milliards de FCFA à l’Etat du Cameroun, selon les chiffres révélés par le ministre de l’Eau et de l’Energie le 31 mars 2022, au cours d’une conférence de presse à Yaoundé.

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Selon l’article consulté sur le site de la Banque mondiale cité plus haut, « avec la construction du barrage de Lom Pangar en 2016, le montant annuel estimé de la compensation tarifaire est passé de 25 millions de dollars (15,2 milliards FCFA) pour 12 mois (2017), à 16 millions de dollars (9,7 milliards FCfa) pour 24 mois (2018-2020) ». Avec le barrage de Nachtigal, qui va provoquer la baisse des coûts de production dans le secteur de l’électricité, grâce à la diminution de la sollicitation des centrales thermiques, cette compensation tarifaire se réduira davantage et considérablement, pour le grand bonheur de la trésorerie publique.

Les producteurs du thermique embarrassés

L’opérationnalisation annoncée du barrage de Nachtigal ne fait pas que des heureux au Cameroun. A la vérité, il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour les producteurs indépendants de l’électricité, qui ont afflué au Cameroun il y a quelques années, pour mettre leurs centrales thermiques et à gaz au service d’un secteur de l’électricité alors en proie aux difficultés de production. Sur ce registre, l’on peut citer la société britannique Aggreko, qui a installé plusieurs centrales thermiques au Cameroun, mais surtout Globeleq. Ce producteur indépendant détenu par le fonds d’investissement British International Investment exploite deux centrales au Cameroun, d’une capacité de production de 304 MW.

Il s’agit de la centrale à fuel lourd de Dibamba, d’une capacité de production de 88 MW, et gérée par la société Dibamba Power Development Company (DPDC) ; et de la centrale à gaz de Kribi, d’une capacité de production de 216 MW, gérée par la société Kribi Power Development Company (KPDC). C’est d’ailleurs de ces deux sociétés qu’apparaissent les premières secousses de la mise en service prochaine du barrage de Nachtigal. En effet, après les révélations de la presse faisant état de la mise en œuvre d’un plan social au sein de ces entreprises, leur maison-mère, Globeleq, a dû reconnaître la restructuration de ses opérations au Cameroun.

« Globeleq confirme qu’elle est entrée en négociation avec les délégués de son personnel, sous la supervision du ministère du Travail, au sujet de la restructuration de ses opérations au Cameroun. Le but de cette restructuration est d’améliorer l’efficacité opérationnelle, en supprimant les doublons dans nos activités au Cameroun. Une fois achevés, les changements proposés placeront les opérations de l’entreprise au Cameroun sur une base financière plus solide et permettront la durabilité de l’entreprise à long terme. Il est prévu que la réduction du nombre d’employés résultant de cette restructuration soit d’environ 20% de la main-d’œuvre », a annoncé l’opérateur britannique dans un communiqué officiel publié le 9 décembre 2022.

Cependant, si Globeleq explique les manœuvres en cours au sein de ses filiales au Cameroun par le besoin d’asseoir une gestion assise sur des bases financières solides, les observateurs et les experts du secteur de l’électricité y voient plutôt une manière de se prémunir de l’arrivée du barrage de Nachtigal. Dans la mesure où la mise en service de cette infrastructure va réduire la sollicitation des centrales de Dibamba et de Kribi, avec à la clé d’importantes pertes financières pour Globeleq.

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