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Cameroun : pourquoi les entreprises boudent le télétravail

Avec la crise sanitaire du coronavirus, les entreprises sont appelés à développer, en interne, de nouvelles méthodes de travail dans le strict respect des mesures barrières, tout en maintenant le cap de la performance. Cependant, le travail à distance ou télétravail qui se trouve être l’alternative la plus usité dans de nombreux pays à travers le monde, est encore boudée par les patrons camerounais.

Le 22 juin dernier, la Cameroon Airlines corporation (Camair-Co) a procédé à la mise en chômage technique de 65% de son personnel pour une période de 03 mois. Une mesure imputable à la cessation d’activités de l’entreprise du fait de la pandémie du Coronavirus qui sévit à travers le monde. Comme Camair-Co, 51% d’entreprises camerounaise ont mis en chômage technique une partie de leurs employés. C’est en tout cas ce que révèle  une récente étude de l’Institut nationale de la statistique(Ins) sur l’évaluation des effets socio-économiques du coronavirus au Cameroun. Mais il n’y a pas que cette mesure qui a été adoptée au plan interne par les entreprises pour faire face aux effets de la Covid-19. D’après l’Ins, 64,5% d’entre elles ont réduit les heures de travail et 60,3% ont procédé au report de leurs investissements. L’enquête de l’Ins a surtout permis de constater que  le recours au télétravail a été faiblement utilisé. Seulement 16% des entreprises l’ont pratiqué et essentiellement les grandes entreprises. Les Pme, qui représentent 56% des entreprises auprès desquels l’Institut a enquêté, ne semblent pas très ouvertes à cette alternative. « Plusieurs entreprises en Afrique et particulièrement au Cameroun sont basées sur un système de fabrication à la chaîne, un système de manutention  pour lequel les employés ont besoin d’être sur place. Ces chaînes de production ne peuvent pas fonctionner sans que les ressources humaines qui en sont les maillons essentiels ne soient en place » analyse le Dr Merlin Mfondo, expert en management. 

Dépenses impromptues

Entre le la nécessité de respecter la distanciation physique et l’urgence de continuer à faire tourner la boîte, le télétravail se trouve être un alternative viable pour les entreprises. Ceux qui l’ont adopté révèlent que les délais de transmission des dossiers ont été améliorés du fait que les employés n’ont plus due à se déplacer. «Notre productivité n’a souffert de rien. Au contraire ! Avec le télétravail, nous avons expérimenté une réactivité et une célérité dans la résolution des problèmes des clients » affirme Christian Missoup, responsable des ressources humaines à Grant Thornton International ; un cabinet international d’expertise fiscale. Pour cette structure, dont 96% des activités se font en ligne, les employés ont été appelés à rester chez eux pour travailler. Pour une première expérience, l’entreprise en est plutôt sortie satisfaite ; elle a même réalisé des économies. « Nous avons fait des économies en terme de consommation d’électricité et autres matériels de bureau » affirme t’il.

D’un autre côté, l’implémentation de cette alternative passe indubitablement par  l’acquisition d’un matériel  informatique important et des services numériques adéquats pour fluidifier le travail. De quoi susciter une nouvelle poche de dépense qui est loin d’être la moins onéreuse. Par exemple, pour mettre en application le télétravail, le Port autonome de Kribi(Pak) a dû débourser 80 millions de F CFA afin d’équiper le personnel en ordinateurs portables. L’infrastructure portuaire a également du renforcer sa bande passante laquelle est passée de huit à 18 mégas. «Le port a souscrit à des abonnements qui reviennent à 38 000 FCFA par mois et par personne » précise Jean Marcel Belinga Belinga, directeur des systèmes d’information et de la documentation au Pak.

Pour réduire le travail en présentiel, Minette Libom Li Likeng, Ministre des Postes et télécommunications a privilégié au sein de son département ministériel, les réunions virtuelles et à distance. La seule acquisition d’une licence « Zoom » a coûté 700. 000 F CFA à cette institution. Un sacrifice que beaucoup d’entreprises, avec au premier rang les Pme, ne sont pas prêts à consentir. « Nous avons mis sur pied un système rotatif entre les employés pour limiter toute contamination. Mais pour ce qui est du télétravail, nous réfléchissons encore. Vous-même vous savez qu’il faut acheter du matériel informatique et tout ce qui va avec ; ce sont des dépenses importantes que nous n’avions pas prévu » nous renseigne François Anango, responsable de la communication d’une microfinance de la place.

Performances

Au-delà des questions structurelles et matérielles qui rendent difficile le travail à distance pour certaines entreprises, il y’a un enjeu encore plus important qui est celui de la performance. Pour certains patrons, l’absence physique de l’employé à son poste pourrait constituer impacter considérablement sur les performances de l’entreprise. « Les entreprises estiment que payer les employés qui resteront à la maison pour intervenir en ligne c’est comme si on serait en train de payer des gens qui n’ont pas fait leur travail parce qu’ils n’ont pas fait le déplacement pour le lieu du service» analyse le Dr Merlin Mfondo.

 Pour Clément Kouonga, ingénieur des réseaux et télécommunications à l’Agence nationale des technologies de l’information et de la communication(Antic), « les employés ont tendance à avoir un rendement inférieur lorsque le télétravail est pratiqué à domicile ».  Ceci pour plusieurs raisons, notamment « l’augmentation du nombre de sources de distractions, les coupures d’électricité et d’Internet (pourtant au sein des entreprises, il existe en général des sources alternatives d’énergie), le relâchement du contrôle de l’employeur  et l’absence de la culture du travail à distance. » explique-t-il.

Lire aussi: Le port de Kribi investit 80 millions de F CFA dans le télétravail

Interview

« Le télétravail doit être utilisé comme une alternative au travail en présentiel »

Kouonga Fokam Clément Ruissel, ingénieur des réseaux et télécommunications, expert en sécurité des systèmes d’information et cryptographie

Pourquoi les entreprises camerounaises sont-elles réticentes au télétravail ?

Tout d’abord, il convient de rappeler que l’adoption du télétravail apporte un changement important dans le fonctionnement interne de l’entreprise. Et lors de tout changement, il est tout à fait normal qu’il y ait des réticences au début.  Plusieurs raisons peuvent justifier ces réticences. Il y’a d’abord le souci de préserver la productivité de l’entreprise et des employés car certains chefs d’entreprise craignent que les nombreuses sources de distractions qui existent dans l’environnement de l’employé à domicile (télévision, famille, voisinage, etc) ne puissent l’empêcher d’être productif. D’autres préfèrent le travail en présentiel parce qu’ils peuvent facilement surveiller l’activité de leur employé à tout moment.  Ensuite, il y’a les coûts. L’adoption du télétravail apporte de nouvelles sources de dépenses à l’instar de l’augmentation de la bande passante Internet de l’entreprise, la fourniture des modems Internet aux employées, l’acquisition ou l’abonnement à une plateforme de télétravail, etc. A cela s’ajoute l’adéquation du télétravail vis-à-vis de l’activité de l’entreprise. Toutes les activités professionnelles ne peuvent pas être exercées en télétravail en particulier celles des secteurs primaire (agriculture, élevage, etc.) et secondaire (menuiserie, brasserie, etc.). Malheureusement, c’est le cas pour plusieurs entreprises implantées au Cameroun. Enfin, la réticence à basculer vers le télétravail peut également provenir de la faible culture TIC au sein de l’entreprise. Ceci est particulièrement vrai pour les entreprises n’ayant jamais adopté l’outil informatique comme outil de travail au quotidien.

Le télétravail est-il plus coûteux pour les entreprises que le travail en présentiel ?

Tout d’abord, le télétravail et le travail en présentiel sont deux formes de travail qui sont chacun recommandé et efficace dans des conditions précises. Dans le contexte d’une entreprise ayant des équipes au même endroit, il est clair que le travail en présentiel devrait être la règle. Adopter le télétravail dans ce contexte va induire des coûts non nécessaires dans le fonctionnement de l’entreprise et augmenter la charge de la plateforme de télétravail. De plus, le travail en présentiel favorise les interactions sociales qui sont nécessaires pour le maintien d’une bonne ambiance au sein de l’entreprise. Lorsque les équipes sont éloignées, l’utilisation du télétravail permet de réduire les coûts en temps et frais de transport nécessaires pour réunir les équipes en vue d’une réunion en présentiel. Tout compte fait, le télétravail doit être utilisé comme une alternative au travail en présentiel lorsque les conditions ne permettent pas aux équipes de l’entreprise d’être réunies en présentiel.

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