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Cemac : l’indépendance de la Beac en danger

Une décision du gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) contre des responsables de la Direction nationale de la Beac-Congo provoque la colère de Brazzaville. Même si elles reconnaissent du bout des lèvres la légalité et la légitimité de la sanction prise par Abbas Mahamat Tolli, les autorités congolaises qui contestent son opportunité et la considère comme disproportionnée, demandent au Tchadien de rapporter sa décision. Cette pression d’un Etat sur l’Institut d’émission de la Cemac est un précédent dans la sous-région. La démarche du Congo remet en question l’autorité et la crédibilité du gouverneur. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur l’indépendance de la Banque centrale.

« Beac : le Congo demande la réhabilitation des cadres relevés ». Le titre qui barre ce 18 mars 2021, la Une du journal congolais « Les dépêches de Brazzaville » est fort révélateur du climat particulièrement tendu qui prévaut depuis quelques mois entre la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) et les autorités congolaises. A l’issus de son tête à tête, le 16 mars dernier, avec le président Denis Sassou N’Guesso, le gouverneur de la Beac n’a pas laissé filtrer le moindre signe d’une dissension avec les autorités de Brazzaville. Officiellement, Abbas Mahamat Tolli s’est rendu au Congo pour rendre compte de l’évolution du Programme des réformes économiques et financières (PREF-Cemac), dont le Congolais est le Président dédié. Mais officieusement et selon des sources concordantes, celui qui tient le gouvernail de la Banque centrale a demandé une audience au président congolais pour lui faire part de sa gêne à la suite d’une correspondance que lui ont adressé les collaborateurs du chef de l’Etat, pour contester une décision interne de la banque. Un fait suffisamment grave qui met à mal le sacro-saint principe de l’indépendance de la Banque centrale vis-à-vis de ses Etats membres.

Les faits

Le 28 mars 2020, alors que les premiers cas de coronavirus surviennent dans les six pays de la Cemac, le Comité de politique monétaire (CPM), réuni en session ordinaire à Brazzaville, décide d’allouer une enveloppe de 90 milliards FCFA (soit 15 milliards par pays) pour le financement des projets des pays de la zone portant sur la lutte contre la pandémie du Covid-19 et le renforcement des systèmes sanitaires nationaux. Conformément à l’avenant n°03 de la Convention de prêt du 24 aout 2009, ces fonds seront mis à la disposition de la Banque de Développement des Etats de l’Afrique centrale (Bdeac) par la Beac, et logés dans un compte séquestre dédié. Le déblocage des financements devant se faire sur la base d’une liste des projets présentés par les autorités nationales, la Bdeac a transmis à la Beac, via la direction nationale du Congo – le Congo étant le siège de la Bdeac – les projets retenus. Elle autorisait par la même occasion, le virement des ressources directement dans les comptes des bénéficiaires. Sauf que par la suite, l’institut d’émission s’est bien rendue compte qu’en lieu et place des bénéficiaires, lesdits financements avaient été versés dans les comptes des trésors publics de trois pays à savoir, le Tchad, la Guinée Equatoriale et la République du Congo. Une violation flagrante de la convention de financement.

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Informé, Abbas Mahamat Tolli va ordonner une enquête interne. A l’issus de celle-ci, il sera établi que deux cadres, Jeannette Agathe Bakouetila et Daniel Ngona, respectivement numéros deux et trois à la direction nationale du Congo sont les ordonnateurs desdits versements. Le 22 février, le gouverneur prend la décision de les suspendre de leurs fonctions et de transmettre leur dossier au conseil de discipline de l’institution qui devra tabler en dernier ressort.

Un acte disciplinaire qui a visiblement provoqué le mécontentement des autorités de Brazzaville. Dans une correspondance datée du 08 mars 2021, Gilbert Ondongo, Ingrid Ghislaine Ebouka-Babackas et Ludovic Ngatse, respectivement ministre d’Etat, Ministre de l’économie, de l’industrie et du portefeuille public ; Ministre du Plan, de la statistique et de l’Intégration Régionale et Ministre Délégué auprès du Ministre des Finances et du budget, disent ne pas comprendre les sanctions infligées à ces hauts cadres de la Banque Centrale. « Nous nous interrogeons sur l’opportunité, le sens et la violence de cette sanction », peut-on lire. Les expéditeurs de cette missive iront plus loin en qualifiant la décision de la Beac d’« injuste » et qui ne vise ni plus ni moins qu’à « déstabiliser la position de la République du Congo au sein de la Beac ». Par conséquent, les trois membres du gouvernement demandent ni plus ni moins que la réhabilitation de leurs compatriotes suspendus. « Sans pour autant remettre en cause l’indépendance de la Beac, nous vous demandons de reconsidérer votre décision », peut-on lire.

Légitimité, légalité, indépendance

A la Beac, on se refuse tout commentaire sur cette affaire. Mais une lecture des statuts de l’institut d’émission confirment la légalité de la décision du Gouverneur. En son article 47, les statuts de la Beac précisent que dans ses missions, le gouvernement de la Banque Centrale, sous la conduite du gouverneur, « recrute, nomme et révoque l’ensemble du personnel de la Banque centrale dont la nomination ne relève pas du conseil d’Administration ». La décision du gouverneur s’adosse sur un motif suffisamment grave. En choisissant de virer ces financements dans les trésors des trois pays sus cités, ces hauts cadres ont, non seulement violé la convention de financement, mais aussi et surtout un sacrosaint principe de la banque centrale qui n’est en aucun cas autorisée à financer les Etats.

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S’ils reconnaissent la légalité et la légitimité de la sanction prise par Abbas Mahamat Tolli, les autorités congolaises contestent son opportunité et la considère comme disproportionnée, demandent au Gouverneur de la banque centrale de rapporter sa décision. Une demande aux allures d’instruction qui est perçue comme une forme de pression d’un Etat sur l’Institut d’émission de la Cemac. Une première dans la sous-région qui entrave l’indépendance dévolue à toute banque centrale et consacrée par les statuts de la Beac. « Les membres du gouvernement de la Banque et les agents de la Banque ne peuvent solliciter ou accepter d’instructions émanant des Etats, des institutions régionales ou de toutes autre personne », précise l’article 5 alinéa 2 des dits statuts.

Pour les banques centrales en général, ce principe vise en réalité à les soustraire de l’influence politique. « Si les gouvernements exerçaient un contrôle direct sur les banques centrales, les dirigeants politiques pourraient être tentés de modifier les taux d’intérêt à leur avantage afin de favoriser la croissance économique à court terme et mobiliser ou d’utiliser la monnaie de la banque centrale pour financer des mesures populaires, ce qui serait préjudiciable à l’économie sur le long terme », commente un ancien cadre à la Beac aujourd’hui à la retraite.

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