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Cemac : pourquoi les entreprises publiques boudent l’entrée en bourse

L’opacité dans leur gestion alimentée par l’éternel conflit entre d’une part leurs fonctions sociales et politiques et d’autre part, leur missions économiques, les rend presque toutes inaptes à s’obliger aux exigences de trans­parence des marchés financiers.

C’était l’une des grandes annonces de la «Journée du marché financier» organi­sée par la Commission de surveillance du marché fi­nancier d’Afrique centrale (Cosumaf) le 3 mars 2020 à Brazzaville au Congo : la Guinée équatoriale avait déjà décidé d’introduire trois de ses entreprises à la Bourse des Valeurs mobi­lières de l’Afrique centrale (BVMAC). Il s’agit de Banque nationale de Guinée Équatoriale; Guinée Équatoriale de Télécommunications (­Getesa); Société d’électri­cité de Guinée Équatoriale (Segesa).

Ces trois entreprises font partie de la liste d’entre­prises équato-guinéennes à introduire en bourse, liste transmise par le ministre des Finances, de l’Économie et de la Planification de Gui­née Equatoriale à la Beac le 31 janvier 2020, en appli­cation du règlement Cemac relatif à l’introduction en bourse d’entreprises à parti­cipation publique.

Cadres législatifs

Réunis le 2 octobre 2019 à Yaoundé, les membres du Comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac) avaient en effet adopté le rè­glement relatif à l’introduc­tion en bourse des partici­pations des États et de leurs démembrements, dans les entreprises exerçant dans la Cemac. Selon ce règlement, dont le but est de dynamiser la bourse unifiée conformé­ment à l’article 8 de l’Acte additionnel du 19 février 2018, les États membres de la Cemac avaient jusqu’au 19 février 2020, pour « pro­céder à la cession partielle ou totale en bourse de leurs participations dans le capi­tal d’entreprises publiques, parapubliques, ou issues de partenariat public-privé, notamment dans le cadre de programme de privatisa­tion ».

L’acte additionnel du 19 fé­vrier 2018 prescrivait aussi aux Etats de la sous-région, « l’adoption de cadres légis­latifs rendant obligatoire la cotation ou l’ouverture en bourse du capital d’entre­prises ayant pour profession habituelle, la gestion ou la conservation de l’épargne publique (banques, com­pagnies d’assurance, etc.) et d’entreprises multina­tionales ou filiales de mul­tinationales exerçant leurs activités sur le territoire des États membres ».

Au moment où ces lignes sont écrites, cette échéance est dépassée. Seule la Guinée équatoriale a déjà entamé le processus de mise en conformité avec ce règle­ment. Plus préoccupant, les cadres législatifs rendant obligatoires ces entrées en bourse n’ont pas encore été adoptés (le cas du Came­roun par exemple). De plus, et en l’absence de démarche volontaire et claire de la part des Etats, les entreprises du secteur privé concernées par ce règlement attendent elles aussi.

Explications

Alors pourquoi ce règlement international est-il si large­ment foulé aux pieds par les parties qui l’ont adopté ? « Les conditions d’entrée en bourse sont particu­lièrement rigides », com­mence un haut responsable de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac). Qui poursuit : « Pour en­trer en bourse, l’entreprise doit être rentable, toute son information financière doit être disponible ; il faut qu’elle ait dégagé des béné­fices sur les 3 précédentes années ; qu’elle ait distribué des dividendes au moins une fois sur les trois précédentes années…Dans tous les pays de la sous-région, les entre­prises publiques remplissent rarement tous ces critères. Il y en a seulement quelques-unes, notamment celles qui ont des capitaux étrangers, qui peuvent atteindre un tel niveau de transparence ».

Un ancien directeur général adjoint d’entreprise para­publique au Cameroun est plus prosaïque : « mon ex­périence de ces entreprises m’a appris une chose : ce n’est pas la rentabilité éco­nomique qui constitue le «Mindset» de leur gestion. Tant que le dirigeant d’une entreprise parapublique remplit les objectifs po­litiques et sociaux qui lui sont discrètement et même secrètement assignés, il a de bonnes chances de res­ter à la tête de cette entre­prise même si celle-ci perd de l’argent chaque année», commence-t-il, avant de poursuivre : «conscients de cette priorité du «politique » et du «social», les conseils d’administration valident en général-pour peu le Dg sache bien «gérer» ses membres-les comptes dont on aurait beaucoup à dire si on voulait être un peu rigou­reux.»

La deuxième explication tient au règlement lui-même. « C’est un règlement communautaire, qui a donc valeur de traité internatio­nal qui, dans la hiérarchie des normes juridiques, est au-dessus des instruments nationaux. Les Etats qui l’ont dûment signé, doivent s’y conformer ! », S’énerve un cadre de la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique Cen­trale (COSUMAF).

« C’est un règlement non contraignant, puisqu’il n’est pas assorti de sanctions en cas de non application. Donc les Etats prennent leur temps. Et c’est l’une des fai­blesses majeures de ce rè­glement : on ne peut pas de­mander aux Etats d’amener leurs entreprises en bourse, sans les y contraindre aux moyens de sanctions. Cela est à la limite ridicule » ré­pond le responsable de la Beac cité plus haut.

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