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Compte unique du Trésor : l’Etat va ponctionner 20% des ressources dans les banques

Le secteur bancaire gère actuellement près de 1000 milliards de FCFA de dépôts des entités publiques. Au-delà des aspects réglementaires, la centralisation de toutes les ressources publiques est un impératif pour une gestion efficace de la trésorerie.

C’est un tournant décisif dans l’histoire des finances publiques camerounaises qui devrait s’opérer à compter de ce mois de mars. Après plus de trois années de sensibilisation, le gouvernement donne un coup d’accélérateur au rapatriement des ressources de l’Etat des banques commerciales vers le compte unique du Trésor(CUT). L’article 79 de la loi du 11 juillet 2018 portant Régime financier de l’Etat et des autres entités publiques stipule que : “Les ressources publiques sont toutes quel qu’en soit la nature et l’attributaire, encaissées et gérées par des comptables publics. Elles sont versées et conservées dans un compte unique ouvert au nom du Trésor à la banque des Etats de l’Afrique centrale. Ce compte unique qui peut être divisé en sous-comptes, ne peut présenter un solde débiteur. Les dépenses publiques sont payées à partir de ce compte unique sur ordre des comptables publics. Aucun compte ne peut être ouvert par une administration publique dans une banque commerciale sans l’autorisation expresse du ministre chargé des finances dans les cas et dans les conditions déterminées par décret pris sur son rapport. Les fonds détenus par les comptables sont gérés selon le principe d’unité de caisse.”

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Après la phase de recensement, les équipes de la direction de la comptabilité ont inventorié plus de 1000 comptes appartenant aux entités publiques. Au 31 décembre 2021, le volume des dépôts publics dans les banques camerounaises est évalué à 1 186 milliards de FCFA, soit 20% de l’encours global des dépôts au cours de la période sous revue. De manière détaillé, les entreprises publiques détiennent dans le système bancaire 515,6 milliards contre 495,3 milliards et 29,1 milliards respectivement pour les administrations publiques centrale et locale. Quant aux autres organismes publics, leur participation s’élève à 146,2 milliards de FCFA, soit 2,35% de l’encour global des dépôts. En termes de répartition des détenteurs de ces avoirs, Banque Atlantique Cameroun arrive en tête avec un encours de dépôts de 254 milliards des entités publiques, elle est suivie par Société générale (185,9 milliards) et UBA (153,1 milliards). Le top 5 est complété par SCB (124,1 milliards) et CBC (103,7 milliards) respectivement 4e et 5e.

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S’il est bien mené, le rapatriement de ces avoirs devrait permettre à l’Etat de gérer avec plus d’efficacité les tensions de trésoreries auxquelles il fait très souvent face depuis 2014. La réforme en cours tranche avec le système actuel où le CUT est géré par l’Agence centrale comptable du Trésor (Acct), seul interlocuteur de l’ensemble du réseau comptable de l’Etat vis-à-vis du système bancaire auquel il est interconnecté par le biais des plateformes Systac et Sygma. Désormais, « un compte ’’pivot’’ va centraliser toute la liquidité qui fera l’objet de recouvrement et chaque intervenant aura un relevé d’identité bancaire (RIB) qui lui permettra d’agir directement dans le compte de règlement soit pour encaisser soit pour décaisser » explique une source au ministère des Finances(Minfi).

Risque de liquidité

En retirant ses ressources du système bancaire, l’Etat du Cameroun réduirait les capacités de certaines banques sur le marché du crédit. Le constat a d’ailleurs été dressé par Louis Paul Motaze, le 17 février dernier à Douala, lors de la présentation du programme de mobilisation des financements de l’Etat pour le compte de l’exercice budgétaire 2022 : « Les émissions des mois de janvier et février ont eu des taux de couverture extrêmement faible, soit moins de 50% pour certaines émissions…. Mes collaborateurs m’ont néanmoins donné quelques éléments de réponses, que j’ai trouvés peu pertinents. Il s’agirait entre autres du rapatriement imminent dans le Compte unique du Trésor (CUT), des dépôts des administrations dans les banques commerciales » qui a néanmoins tenu à rassurer ces derniers sur le fait que ce rapatriement devrait se faire « de manière progressive sans ébranler le système financier ». Quoi qu’il en soit, celles des banques ayant un fort niveau d’exposition sur l’Etat devraient sentir passer cette réforme sur leur trésorerie et donc impacter sur leur capacité de financement. « Les fonds des entités publiques étaient un très bon coussin de sécurité pour ces banques qui étaient fortement ou moyennement corrélés aux Etats. Si on vous enlève votre coussin de sécurité, il ne vous reste plus grande marge de manœuvre pour pouvoir participer aux opérations sur le marché monétaire » explique un banquier.

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Outre les banques, le marché monétaire de la Beac devrait lui aussi subir les effets de cette réforme. « Les ressources de l’Etat qui dorment dans les banques privées sont supérieures aux fonds levés sur le marché financier ou sur le marché domestique. Si on met cet argent à la disposition de l’Etat, nos emprunts seront réduits et nous n’aurons plus à nous endetter pour des sommes qui seront désormais à notre disposition », confirme Achille Bassahag, le directeur de la comptabilité publique au ministère des Finances. Sur le marché monétaire de la Cemac, le Cameroun fait office de leader en matière de mobilisation des ressources. Avec un encours des valeurs du trésor de 1214 milliards, le pays détient plus du quart de l’encours global des valeurs du Trésor actuellement en circulation dans la sous-région. «L’Etat est plus riche que les gens ne le pensent en réalité ; ce qui se passe dans les pays développés c’est que l’Etat après avoir utilisé les ressources dont il a besoin pour ses besoins de développement, place l’excédent auprès des banques commerciales sous forme de prêts », poursuit-il.  Une bonne nouvelle à priori, mais qui pourrait casser la dynamique d’envol du marché monétaire domestique.

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