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Conjoncture : le spectre de la pénurie agricole plane à l’Est

De plus en plus, les consommateurs font face à la carence des spéculations sur le marché. A l’origine, la croissance exponentielle de la population due à l’arrivée massive des réfugiés centrafricains depuis 2013 et les déplacés internes en provenance des zones de crise, la forte demande des produits agricoles par les régions septentrionales et les pays de la zone CEMAC aux prix plus favorables ainsi que les mauvais rendements agricoles à cause des mauvaises pratiques culturales, les désastres naturels et les changements climatiques. Conséquence, une flambée des prix des différentes spéculations est perceptible sur le marché. La situation s’annonce plus grave car à la délégation régionale du Minader, seulement 8 tonnes de semences améliorées ont été livrés à quelques producteurs pour la campagne agricole 2021 contre 40 tonnes l’année dernière.

Samedi 17 avril 2021, le marché Deng-Deng, espace au marché central de Bertoua réservée à la vente de la banane-plantain n’a pas connu l’affluence habituelle des vendeurs et acheteurs. « Ce marché évolue en dent de scie. A cause du mois de ramadan, on ressent une affluence vers le soir mais certains clients ne trouvent pas les régimes de plantain qu’ils souhaitent acheter », affirme Yves Tcheumela, un grossiste de cette denrée, qui précise que « même quand il y a le stock, les consommateurs n’arrivent pas à payer le prix proposé à cause de l’étroitesse de leur porte-monnaie ». Rencontré sur le marché, Moussa Alim, propriété d’un restaurant, s’est battu pour trouver un petit régime de plantain à 3000 Frs alors qu’il a l’habitude de l’acheter à 1000 Frs. « Je veux juste satisfaire mes clients pendant la journée », indique-t-il. Au-delà du plantain, les vendeurs de macabo se plaignent aussi de la rareté de cette spéculation. « C’est très difficile de trouver un sac de macabo ce dernier temps. Si un consommateur n’a pas 1000 Frs, il ne peut pas s’acheter un sceau de macabo », affirme Mireille Nebou, revendeuse.

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De l’autre côté, l’absence du manioc en grande quantité a provoqué la flambée du prix des dérivés de cette spéculation. C’est le cas de la farine de manioc dont la cuvette est vendue à 7500 F contre 5000 F habituellement alors que la grande cuvette est proposée à 13.000 F.

Origines

Plusieurs facteurs combinés sont à l’origine de la rareté des produits agricoles sur le marché. D’abord, l’’augmentation exponentielle de la population de la région de l’Est à causes des diverses crises. Depuis le déclenchement de la crise sociopolitique en République Centrafricaine en 2013, de milliers de réfugiés se sont installés dans la région. La ville frontalière de Garoua-Boulaï en est un exemple palpable. Depuis quelques années, cette ville fait face à une pression démographique à cause des multiples crises sécuritaires en RCA. « A date, la population de la ville de Garoua-Boulaï est estimée à environ 30. 000 âmes. Avant le 23 décembre 2020, la population des réfugiés centrafricains du camp de Gado-Badzéré était de 26.000 et depuis la nouvelle crise en Rca, Garoua-Boulaï a déjà accueilli plus de 5000 nouveaux réfugiés. Ce qui porte le nombre de la population réfugiée à environ 31.000 âmes, ajoutées à la population locale », a affirmé Adamou Abdon, maire de la commune de Garoua-Boulmaï lors d’un atelier sur la malnutrition tenu à Bertoua. Ajouté aux réfugiés, il y a eu dans cette ville, l’arrivée de plus de 1600 personnes composées des chauffeurs des gros porteurs et leurs motos boys, bloqués à cause de l’insécurité sur le corridor Garoua-Boulaï-Bangui et plus de 150 ressortissants de la Chine, victimes des pillages en territoire centrafricain. Dans le département de la Kadey, à la date du 31 octobre 2020 et selon l’UNHCR, la population réfugiée du Bureau de Batouri, couvrant la Kadey et la Boumba-et-Ngoko est de 86 885 individus qui s’est ajouté à la population locale. Avec ce boom démographique, les villes abritant ces réfugiés sont exposées à plusieurs risques dont le spectre de la famine et de l’insécurité alimentaire.

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Selon une étude menée par le CIFORD, APDRA et RADEC, un consortium des organisations de la société civile, les Communes de Bertoua 1ère, Mandjou dans le Lom-et-Djerem ainsi que Kétté dans la Kadey ont été identifiées comme vulnérables à l’insécurité alimentaire. Au niveau de la Commune de Bertoua 1ère, sur une population d’environ 56.695 habitants, environ 406 sont des réfugiés. « Même s’il n’y a pas un site officiel des réfugiés, il y a des déplacés dans des familles d’accueil », affirme Lantin Ndongo, 2eme adjoint au maire. A Mandjou, la population actuelle est estimée à 18.514 tandis que celle de Kétté est de 33.709. Dans ces deux Communes, la population a presque triplée depuis 2013.

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Sur un autre plan, la pénurie observée est le résultat de la forte demande des produits agricoles par les commerçants pour ravitailler les régions septentrionales et les pays de la sous région CEMAC où les prix pratiqués sont plus profitables. « Il y a des commerçants qui achètent les produits agricoles auprès des producteurs directement dans les champs et collectent avec des camions pour amener en Guinée Equatoriale, au Gabon, au Tchad et au Grand-Nord. Ce qui fait que rien n’arrive ici au marché. D’où la carence observée », témoigne Emmanuel Lembou commerçant.

Catastrophes

Par ailleurs, les catastrophes naturelles et les changements climatiques ont négativement affecté la production agricole dans la région de l’Est. « Il n’y a pas le plantain. Plusieurs plantations ont été brulées sur la route de Mbang et à Gbakombo l’année dernière», regrette Alain Mopa, un revendeur au marché de Bertoua. Sur ce point M. Nek, délégué régional de l’Agriculture et du développement rural (DRADR) va plus loin en affirmant que « plus de 500 plantations de banane-plantain associées au cacao ont été brûlées aucours de l’année 2020 ». A l’origine de ce désastre, les environnementalistes accusent « la longue sécheresse et les actions humaines notamment la pratique qui consiste à brûler les champs en saison sèche ». Toute chose qui couplée aux variations climatiques ont un impact négatif sur la production agricole. Plusieurs agriculteurs rencontrés déplorent le faible taux de rendement agricole au cours de la deuxième campagne agricole des mois de septembre à décembre 2020.

Vers un rendement nul en 2021

La situation des pénuries sur le marché dans la région de l’Est s’annonce plus grave au vue de la chute en perspective de la production agricole en 2021. En effet, selon les statistiques de la délégation régionale de l’Agriculture et du développement rural, « seulement 8 tonnes de semence améliorées capables de donner de bon rendement ont été livrés à quelques producteurs pour la campagne agricole 2021contre 40 tonnes l’année dernière ». Il s’agit notamment des semences de maïs. A la délégation régionale du MINADER l’on explique que « les producteur de semences n’ont pas produit à cause de la sécheresse du mois d’août 2020 ». Ces sont ces derniers qui livrent les semences au MINADER qui redistribue aux producteurs en début de la campagne agricole. Plus grave, certains producteurs de semences réclament les arrières d’impayés auprès du MINADER. C’est le cas de l’un des plus grands producteurs de semences basé à Batouri dont 40 tonnes livrés depuis 2014 ne sont pas encore payées. « Depuis 2014, les producteurs de semences de maïs de la région de l’Est ont produit et livré des semences au ministère de l’Agriculture à hauteur de plusieurs millions. Jusqu’à présent, certains de ces semenciers n’ont pas encore été payés. Toutes les tentatives de réclamation sont restées sans réponses. Sachant que vous alliez présider l’ouverture du mini-comice, ceux-ci nous ont demandé de porter directement à votre attention leurs doléances car certains d’entre eux sont découragés et leurs activités ont pris un coup sérieux », avait martelé le représentant des producteurs de l’Est au ministre de l’Agriculture lors du mini-comice agropastoral de l’Est en décembre 2020.

« Les agriculteurs n’ont pas un guichet de financement »

MBOBLE DOB Président régional de la Plateforme nationale des organisations professionnelles agro-sylvo-pastorales et halieutique du Cameroun (PLANOPAC).

Les producteurs sont obligés d’emprunter des sentiers, de traverser des marécages sur des longues distances à pied portant de lourds bagages sur la tête, réduisant ainsi leurs potentiels. Il serait donc judicieux pour le gouvernement, avec les collectivités territoriales décentralisées, de créer des lotissements agricoles bien aménagés pour faciliter l’installation des producteurs et même la création des villages agricoles. Parlant de la main d’œuvre agricole, elle peine à être quantitative. Le MINADER a certes créé des structures de formation agricole produisant des conseillers agricoles, des entrepreneurs agricoles afin de rajeunir la main d’œuvre vieillissante. Malheureusement, ici à l’Est, la main d’œuvre est inexistante et non formée. S’agissant du financement, les agriculteurs manquent d’un véritable guichet de financement auprès duquel ils pourraient s’adresser. Nous souhaitons donc pour cela qu’une banque agricole formelle et efficace vienne répondre à ce problème.

Martin Foula

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