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Nouveaux clashes en perspective entre producteurs de boissons, consommateurs et l’Etat

Le gouvernement a notifié aux brasseurs une injonction de s’arrimer aux dispositions du marquage fiscal des bières. Il invoque une volonté de conciliation fiscale, mais le choix du partenaire et la démarche ne sont pas exemptes de critiques.

Début mai 2019, le gouvernement a informé les entreprises du secteur de production des boissons, de son intention de poursuivre avec le marquage fiscal des bières. Le ministère des Finances à la manette de cette nouvelle initiative a donné deux mois pour que soient effectuées les préparations en vue de la mise en place de ces solutions de marquage. Les objectifs du gouvernement sont restés constants. Il dit vouloir s’assurer de la traçabilité, la réconciliation fiscale et du contrôle de production des produits les plus touchés par le commerce illicite. Il invoque aussi sa volonté de mettre à la disposition des industriels des solutions leur permettant également de protéger et authentifier leur production.


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Les acteurs du secteur de production des boissons se refusent à commenter officiellement cette démarche de politique publique, mais n’affichent pas un grand enthousiasme à cette démarche du gouvernement. « On n’est pas sûr, déjà que cette mesure sera suffisamment efficace à la lutte contre les importations frauduleuses qui bénéficient d’autres facteurs. Le plus difficile, c’est cette volonté de protéger, en mettant en place un processus qui induira des coûts supplémentaires, alors que la pression de la fiscalité sur le secteur est suffisamment importante », a confié le responsable d’une des entreprises établies de productions de boissons au Cameroun.

Le passage en force du gouvernement

En effet, les entreprises brassicoles notamment n’ont pas attendu la règlementation sur le marquage pour mettre en place un système de traçabilité de leurs produits. « Pour nous c’est vital, ne serait-ce que pour avoir un contrôle sur notre chaîne d’approvisionnement d’avoir un système de marquage. Nous avons des contraintes de qualité et de processus en tant que filiale de groupes étrangers. Ce que nous espérons surtout, c’est que les décisions de ce type doivent faire l’objet de concertation, afin que soient bien compris les contraintes de toutes les parties prenantes », a expliqué un responsable de l’un des deux groupes brassicoles du pays.

Les différentes crises socio-politiques dans les parties Nord et Sud-ouest du pays, dans le Septentrion et à l’Est du Cameroun, sont devenues une vraie contrainte pour les producteurs locaux

En effet, des entretiens sur les processus de productions des trois principaux brasseurs, révèlent que, conscientes des enjeux de sécurité alimentaire et de santé publique, et aussi contraintes de se conformer aux standards de leurs partenaires internationaux, elles se sont engagées dans des démarches de qualité, qui ont plusieurs fois reçu des certifications. Elles se sont aussi fixées des standards de qualité et de contrôle en matière de sécurité alimentaire qui les ont obligées chacune depuis quelques années à acquérir un dispositif automatisé de contrôle et de traçabilité relevant des technologies avancées. Dans le cadre de la concertation avec les autorités, les installations des brasseurs avaient fait l’objet en avril 2018, d’une inspection par un groupe de travail mixte comprenant, des représentants des ministères des Finances, du Commerce et de l’Agence nationale des normes (ANOR). En plus des producteurs, la rencontre avait associé les associations des consommateurs et les syndicats des vendeurs de boissons.

Des surcouts importants pour les producteurs locaux

Lesdits travaux étaient suivis par le Secrétaire général du Premier ministère. Au sein du secteur brassicole, on peut ressentir un certain embarras. La décision du ministère des Finances tombe en effet à un moment difficile. Les différentes crises socio-politiques dans les parties Nord et Sud-ouest du pays, dans le Septentrion et à l’Est du Cameroun, sont devenues une vraie contrainte pour les producteurs locaux. Les frontières nationales qui, à une période plus calme étaient déjà poreuses, sont devenues davantage perméables et difficiles à contrôler, ce qui pénalise les activités de production nationale dans l’ensemble du secteur.  Mais pour les brasseurs, les défis sont beaucoup plus financiers. Le dispositif de marquage actuel devrait se traduire par des coûts supplémentaires. Il s’agira en effet pour eux d’abandonner le dispositif de marquage et de traçabilité sur lequel chacun d’eux a investi d’importants moyens, il y a quelques années. Les analystes financiers y voient déjà une perte financière, car ils n’auront pas eu le temps de tirer le bénéfice complet de ces investissements. Aussi pour se conformer, à l’injonction ministérielle, elles sont contraintes de modifier dans un bref délai la disposition des lignes de productions acquises afin d’intégrer les spécifications de l’appareillage du prestataire qui accompagne le gouvernement, la SIPCA. Il y a aussi à prévoir des pertes de gestion inhérentes aux phases d’installation et de test auxquelles il faudra ajouter les coûts de complexité liés à ces changements, et enfin ceux liés à l’adaptation et de formation du personnel à l’usage et à la maîtrise de ces nouvelles technologies.


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Pour l’amortissement de l’ensemble de ces charges, il n’est pas exclu, que les brasseurs soient contraints de passer les prix aux consommateurs. Or, c’est là une des complexités du secteur brassicole, c’est que ses produits sont considérés comme sensibles à la stabilité sociale. Mais dans le même temps, au contraire des produits de cette catégorie comme le riz, le lait le sucre et autres, ils sont la cible privilégiés des administrations de prélèvements obligatoires, qu’elles soient fiscales ou para fiscales. L’entreprise la plus exposée finalement risque d’être le Groupe Société Anonyme des Brasseries du Cameroun. Ce dernier est le plus gros acteur du marché et fait face à de gros arbitrages aussi bien de conjoncture que de régulation, pour continuer de délivrer de bonnes performances.

…avec une contribution fiscale qui frôle les 430 milliards de FCFA en 2018, le secteur brassicole a apporté plus de ressources à l’Etat, que les recettes et ressources fiscales pétrolière et gazière

En plus des actions entreprises par tous les autres brasseurs, ses dirigeants ont accompagné un processus de formalisation de son réseau de distribution. Ses dirigeants se refusent cependant à commenter la nouvelle mesure et préfèrent privilégier la voie des discussions avec les autorités.

SIPCA, un partenaire qui n’a pas toujours dopé les recettes fiscales

Un autre point qui risquera de soulever les attentions, c’est la qualité du partenaire. Des responsables du ministère des Finances défendent bec et ongle le projet au motif que cela rapportera plus de ressources. Mais avec une contribution fiscale qui frôle les 430 milliards de FCFA en 2018, le secteur brassicole a apporté plus de ressources à l’Etat, que les recettes et ressources fiscales pétrolière et gazière. Et au contraire des hydrocarbures, la chaine des valeurs brassicoles impacte en aval, plus de personnes en termes d’emplois directs et indirects. L’argument d’une amélioration fiscale ne semble donc pas être suffisamment solide. Il y a enfin le mode de sélection du partenaire, l’entreprise Suisse SIPCA a été retenue suite à un gré à gré. Une procédure qui vaut lorsqu’il est question de recruter un partenaire dont l’expertise ne souffre d’aucun doute. Ce qui ne semble pas être le cas pour cette dernière. Un des pays où est intervenu SIPCA, c’est le Maroc. On lui reproche notamment des surcoûts qui finalement plombent les prix des produits marqués, ce qui n’aura pas pour avantage de réduire la concurrence des produits importés, qui progresse surtout dans des segments de demandes de boissons à bas prix. L’exemple marocain est assez intéressant car, il a inspiré les responsables camerounais. Une étude publiée par l’organisation Oxford Economics, a démontré, que la solution du marquage sur les cigarettes notamment, n’a pas contribué à réduire le volume des cigarettes frauduleuses. De même, des études similaires au Kenya ont démontré que le marquage fiscal comme mode de protection des produits locaux ou amélioration des recettes fiscales n’a pas pleinement été éprouvé. Or dans ces pays cités en exemple, l’entreprise SIPCA avait été recrutée par les administrations en charge des collectes fiscales. Enfin, les termes du contrat de SIPCA ne sont pas clairs, et on ignore donc comment au-delà du timbre, il parviendrait à sécuriser le marché des boissons.

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