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Construction de 14 péages automatiques : « Le projet a été largement surfacturé de 6 à 7 fois », Samuel Billong(Interview)

L’État du Cameroun a récemment signifié à son partenaire la résiliation du contrat de partenariat public privé (PPP) attribué, le 24 avril 2019, au groupement français Fayat (Razel Bec) et Egis (Egis Projects) pour le financement, la conception, la construction, l’équipement, l’exploitation et la maintenance de 14 postes de péages automatiques sur certaines routes bitumées du pays. Samuel Billong, fondateur du Cabinet 3F&B, un bureau d'études et de Conseil en Bâtiment et Travaux publics qui connaît bien le projet, affirme avoir mené une contrexpertise de ce projet en janvier 2021 et avoir saisis la Conac en novembre dernier pour en dénoncer les défaillances et des cas graves de surfacturations. Il a accepté d’en parler à EcoMatin. Dans cette interview exclusive, Samuel Billong revient aussi sur la décision de résiliation du Ministre des Travaux publics qui a laissé les Camerounais interrogateurs, ainsi que les possible conséquences de cette décision.

Quelle appréciation faites-vous de la décision du gouvernement de résiliation du contrat de Tollcam ?

Nous avons effectivement pris connaissance de la décision du Gouvernement camerounais de suspendre l’exécution du projet en question en mode PPP pour sa mutation en un marché public.

C’est une décision malheureuse car au vu de la correspondance du Ministre, elle semble unilatérale, non fondée et relevée finalement du fait du prince. La Communication du Ministre met le Gouvernement et l’Etat en difficulté dans ces conditions. Elle est aussi malheureuse parce qu’il est trop tard. Nous avons appelé l’attention des autorités sur ce PPP depuis janvier 2021 juste après l’annonce de ce contrat ayant pris connaissance des éléments de celui-ci par voie de presse.

Dans tous les cas, le Gouvernement devrait apporter des éclaircissements sur cette mutation contractuelle en prenant des mesures pour prévenir une éventuelle demande d’indemnisation intégrale de TOLLCAM          

Il y a trois ans, votre cabinet faisait une contre-expertise sur l’évaluation financière de ce projet, qu’est-ce que votre rapport décrivait ?

 D’abord, il convient de relever qu’en l’absence de la clarification du Gouvernement sur les motifs de cette mutation, nous ne pouvons que conjecturer sur les raisons qui ont conduit à celle-ci. C’est dans ce sens que nous pensons que l’action citoyenne de dénonciation de ce contrat depuis trois ans, réitérée auprès de la CONAC en novembre dernier a fait prendre conscience aux autorités de la réalité de ce projet, à savoir le détournement de la totalité des recettes du péage routier au bénéfice des intérêts privés avec un engagement de l’Etat du Cameroun pour un loyer annuel de 8,5 milliards FCFA alors que le Ministre pour justifier ce projet a annoncé une perte moyenne annuelle de 4 milliards sur un total moyen annuel de recette de 8 milliards en 25 ans. Et pour justifier ce loyer, le projet devrait faire passer les recettes de 8 milliards FCFA entre 1995 et 2020 à 35 milliards FCFA entre 2021 et 2039 en moyenne annuelle. Un vrai tour de prestidigitation en somme pour faire passer ce détournement. 

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Y-a-t-il réellement eu surfacturation ?

 Oui. Le projet était largement surfacturé de 6 à 7 fois par rapport à notre estimation. Il a été conçu avec cette surfacturation pour justifier le montant du loyer. Il ne faut pas oublier que nous avions déjà des péages sur ces axes et pour sécuriser la moitié des recettes qui était détournée, il fallait seulement de notre point de vue sécuriser la production des tickets de péages en réformant le Programme de Sécurisation des Recettes Routières (PSRR) et ajouter au niveau des postes un système automatique de contrôle d’accès couplé à la vidéo surveillance. Il fallait faire un système léger de sécurisation des recettes ceci d’autant plus que les axes routiers concernés vont perdre une bonne partie de leur trafic au bénéfice des autoroutes  à venir. Autrement, le Gouvernement n’avait pas besoin de faire des gros investissements ou de prendre des engagements de l’ordre de 36 ou 42 milliards FCFA pour cette sécurisation des recettes du péage sur les 14 postes en question. Mais le choix du PPP a conduit à gonfler tous les postes du projet avec par exemple un cumul de près de 7 milliards FCFA pour les études seulement, des poids de 20% et 39%  respectivement pour les bâtiments d’une part, les chaussées et travaux connexes d’autre part. Le PPP avait largement dépassé le cadre de la sécurisation des recettes du péage.

 De l’avis des experts, le Cameroun aurait été floué dans le cadre de ce projet. Quelle analyse pouvez-vous en faire ?

 On ne peut pas dire que le Cameroun a été floué. C’est en conscience que les camerounais, Ministres et hauts fonctionnaires impliqués dans ce projet ont agi en complicité avec des opérateurs privés. Ils ne devraient plus être là pour permettre aux autorités judiciaires de mener sereinement les investigations sur cette tentative de détournement des fonds publics d’autant plus que ce serait dramatique pour l’image du pays de laisser penser que l’Etat a abusé d’un opérateur privé en annulant unilatéralement son contrat PPP.  C’est ce que laisse penser malheureusement la correspondance du Ministre des travaux publics.

Dans certains pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire où ce   type de projet a fonctionné en mode partenariat public-privé, le fait pour le gouvernement de reprendre entièrement le projet ne serait-il pas préjudiciable ?

En 2021, nous avons demandé l’annulation du contrat de Partenariat Public Privé (PPP) entre le Gouvernement et le groupement RAZEL-BEC/EGIS pour violation des règles d’éthique parce que EGIS qui a bénéficié d’un contrat étatique de 2,15 milliards des études de ce projet n’aurait pas dû se trouver dans le consortium en charge de la réalisation de ce projet. Ce conflit d’intérêt a été sans doute préjudiciable pour le projet. Nous sommes ici dans un cas flagrant de mauvaise gestion du projet. Ce n’est pas sûr que dans les pays que vous citez ce soit la même chose ou que les conditions de construction des postes de péage là-bas soient les mêmes

Peut-il avoir des répercussions de cette décision sur le projet en particulier et le Cameroun en général ?

Tout dépend des négociations à venir avec TOLLCAM qui, de notre point de vue, ne devrait plus avoir les mêmes interlocuteurs au Ministère des travaux publics. Ceci d’autant plus que la communication du Ministre des Travaux publics est loin d’être rassurante.

Doit-on craindre des représailles de la part de Tollcam ?

 A défaut d’un arrangement amiable, bien entendu. L’on ne rompt pas un contrat de manière unilatérale sans conséquences. L’Etat doit anticiper ces représailles en insistant sur le caractère frauduleux ou l’intention malveillante de ce PPP et en prenant les décisions difficiles qui s’imposent à cet effet.

Note de la rédaction : Par souci d’équilibre dans le traitement de cette actualité, EcoMatin a entrepris d’adresser une note d’information à Tollcam pour avoir sa version des faits, que nous nous proposons de publier à la suite de cette interview. 

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