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Convention fiscale Cameroun-Chine : enjeux et défis pour l’Etat du Cameroun

Après plusieurs rounds de négociations qui ont duré 10 ans, le Cameroun a signé avec la Chine, une convention fiscale le 17 octobre 2023, selon une annonce faite le même jour par le ministre des Finances, Louis Paul Motazé. L’accord entre les deux Etats vise à éviter la double imposition des revenus des travailleurs et des entreprises, unanimement reconnue comme un obstacle aux échanges commerciaux et aux investissements. En l’absence de la diffusion du document visiblement confidentiel, Ecomatin s’essaye à l’analyse des enjeux que sous-tend cet accord, ainsi que les défis à relever par le Cameroun pour en tirer grand parti.

Depuis le 17 octobre 2023, après des négociations débutées en 2013, le Cameroun tient sa 15ème convention de non double imposition avec ses partenaires bilatéraux, grâce à la convention fiscale signée avec la Chine, selon une annonce faite le même jour depuis Beijing par le ministre des Finances, Louis Paul Motazé. En plus d’éviter entre les pays signataires la double imposition des revenus des travailleurs et des entreprises, qui est« la perception d’un impôt comparable dans deux États, auprès d’un même contribuable (individus ou entreprises), sur une même matière imposable et pour une même période de temps », selon l’Ocde, cette convention fiscale, précise Louis Paul Motazé, permettra également de combattre mutuellement la fraude et l’évasion pays entre les deux pays.

Dans la note d’information diffusée par le ministère des Finances après la conclusion de cet accord, il est précisé qu’il s’agit d’une « étape décisive dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement 2020-2030 (SND30) et vers l’émergence de notre pays à l’horizon 2035. (…) La Chine étant l’un des premiers partenaires économiques et commerciaux du Cameroun, il était nécessaire de négocier une convention fiscale, afin de lever les obstacles au plan fiscal des échanges entre les deux pays, notamment la double imposition des entreprises qui opèrent dans les deux pays ». Dans ce propos gouvernemental, il apparaît non seulement l’ambition de renforcer la position de leader de la Chine dans les échanges commerciaux entre le Cameroun et le reste du monde, mais aussi d’attirer davantage d’investissements chinois vers le Cameroun, en renforçant également le leadership de ce pays d’Asie sur ce volet.

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En effet, bien que la Chine soit devenue le premier investisseur au Cameroun depuis les années 2010, le pays, en comparaison avec le volume des investissements chinois capté par d’autres pays d’Afrique de niveau égal, dispose encore d’importante marges de manœuvres. Par exemple, d’après la Conférence des nations unies pour le développement (Cnuced), pendant que le stock d’investissements directs étrangers (IDE) provenant de la Chine et entrant en Côte d’Ivoire est passé de 2,483 milliards de dollars en l’an 2000 à 12,237 milliards de dollars en 2020, celui du Cameroun a culminé à seulement un peu plus de 9 milliards de dollars en 2020, après 917 millions de dollars en l’an 2000. Pourtant, la Côte d’Ivoire ne figure même pas dans le top 10 des pays africains (Afrique du Sud, RD Congo, Angola, Zambie, Ethiopie, Nigeria, Ghana, Algérie, Zimbabwe et Kenya), qui captent le plus les IDE chinois. Selon un rapport des officiels chinois remontant à 2021, ces pays représentent 63% du stock d’investissements directs de la Chine en Afrique depuis la création du Forum sur la Coopération Chine-Afrique en l’an 2000.

Capter la manne des emplois à défaut des impôts

La convention fiscale signée le 17 octobre dernier ayant vocation à attirer davantage d’IDE chinois, il est donc possible que cet accord ouvre davantage les vannes des investissements au Cameroun. Il est plus prudent ici de se projeter en termes de possibilité et non d’effectivité, dans la mesure où la signature d’une convention fiscale toute seule ne suffit pas à drainer plus d’investissements.  Pour preuve, le premier investissement émirati reste attendu au Cameroun, alors que cet émirat du Golfe est lié au pays par une convention fiscale depuis 2017. Les investissements suisses, tunisiens et sud-africains ne pullulent non plus au Cameroun, bien que des conventions fiscales avec ces pays existent depuis respectivement 1990, 1999 et 2015. 

Par ailleurs, selon différents experts, les conventions fiscales, dont le but est d’éliminer la double imposition, ont la particulier de définir comment est déterminée la résidence fiscale du contribuable. En d’autres termes, elle détermine généralement le pays signataire dans lequel le contribuable doit payer ses impôts. Dans les différents rounds des négociations avec la Chine, le Cameroun, soucieux à la fois de doper ses revenus fiscaux et les investissements chinois, a-t-il pu obtenir que les entreprises chinoises s’établissant au Cameroun pays leurs impôts dans ce pays ? Rien n’est moins sûr, au regard du déséquilibre des moyens de persuasion et des agissements traditionnels des forces en présence.

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Au demeurant, si jamais le Cameroun n’a pas réussi à capter la manne fiscale des entreprises chinoise dans le cadre de la convention fiscale signée le 17 octobre, il lui reste d’actionner le levier de la délocalisation des grands industriels chinois, pour pouvoir capter au moins la manne des emplois locaux, dans un contexte de chômage endémique des jeunes diplômés. En effet, selon une étude publiée en 2018 par le ministère de l’Economie, avec l’appui technique du Centre d’analyse et de recherche sur les politiques économiques et sociales (Camercap-Parc), au Cameroun, les opérateurs économiques chinois ont créé plus de deux fois de PME au Cameroun que les Français.

Le besoin d’industrialisation du Cameroun par la Chine

Mais, apprend-on du rapport de l’étude, entre 2010 et 2015, ces investisseurs asiatiques ont montré une forte tendance à créer des entreprises de type Etablissements (Ets), « sans gros investissements réalisés au départ et réalisant des bénéfices immédiats, mais faibles ». Généralement, ces Ets sont actifs dans les activités commerciales, agricoles et de prestation de service. Dans le même temps, les Français, eux, créent plus d’entreprises de types Sociétés anonymes ou Sociétés à responsabilité limitée (76% des entreprises créées par les Français), qui nécessitent un « minimum d’investissement et sont plus orientées vers la production et donc de la valeur ajoutée, source de croissance ». Sur ce constat, à la faveur de la convention fiscale entre le Cameroun et la Chine, le premier pays devrait inciter son premier partenaire bilatéral, après la forte implication de ses grands groupes de constructions dans le développement des infrastructures au Cameroun depuis 2012 (routes, ports, centrales hydroélectriques, projets immobiliers, infrastructures des télécoms…), à œuvrer davantage pour l’industrialisation du pays. Comme c’est le cas dans certains pays africains.

A titre d’exemple, dans un document publié sur le site de la Banque mondiale et intitulé « La Chine et l’Afrique : développer les liens économiques sur fond d’évolution de l’environnement mondial, il est révélé qu’au Nigeria, « le groupe chinois Yuemei a investi 1,2 million de dollars en 2006 pour subventionner les industries manufacturières locales, et 50 millions de dollars en 2007 pour créer un parc industriel dédié au textile, avec une chaîne de production complète. En 2009, le parc abritait 5 entreprises textiles et employait 1 000 ouvriers locaux. Aujourd’hui, le groupe gère 10 usines au Nigéria, possède des bureaux de vente dans d’autres pays d’Afrique et a créé une nouvelle usine au Sénégal ».

En Ethiopie, apprend-on, « le groupe Huajian a investi quelque 10 millions de dollars pour créer une usine de chaussures. Avant de démarrer l’activité, il a envoyé plus de 90 employés suivre une formation technique en Chine. L’usine, ouverte en 2012, a été rentable dès la première année de fonctionnement. En 2013, ses 3 500 ouvriers ont produit 2 millions de paires de chaussures ». En Tanzanie, « la plupart des entreprises privées chinoises opèrent dans des secteurs de faible technologie et intenses en main-d’œuvre, pour des produits destinés au marché local. Elles ont créé entre 80 000 et 150 000 emplois, et la plupart assurent une formation managériale sur le tas. Plusieurs entrepreneurs locaux se sont lancés après un passage dans des firmes chinoises ».

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