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Covid-19 : Pourquoi les banques boudent les liquidités de la Beac

Depuis deux semaines, la banque centrale essaye en vain, de « vendre » des liquidités aux banques commerciales. Voici pourquoi.

Le 8 avril 2020, la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) a rendu publics les résultats de l’appel d’offre émis la veille, 7 avril 2020, sur son marché monétaire. Sur un montant de 250 milliards Fcfa mis en adjudication au taux de 3,25%, le nombre total d’offres s’est monté à 57,3 milliards Fcfa, soit un taux de souscription de 22,93 %. Le taux d’intérêt, inférieur au taux pratiqué par la Beac pour le même type d’opérations jusqu’en mars 2020 qui était de 3,50% et inférieur aussi au taux d’imposition moyen pondéré de référence du marché interbancaire (sept jours) de 3, 56%, n’a pas suffi à inciter plus de banques à participer à l’opération.

Une semaine plus tôt, le 1er avril 2020, une opération similaire de la Banque d’émission des pays de la sous-région (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, République centrafricaine, Guinée Équatoriale), s’était soldée par un résultat encore plus décevant. La Beac avait proposé, au même taux d’intérêt, aux banques des liquidités d’un montant total de 250 milliards de francs Cfa. Celles-ci ont préféré n’en « acheter » que 32, 7 milliards Fcfa.

Riposte sous régionale

Pour rappel, ces injections de liquidités avaient été décidées lors de la session du 27 mars 2020 du Comité de politique monétaire (CPM) de la Beac, dans le cadre de la riposte sous régionale à la crise économique due à la pandémie du Coronavirus. A cet égard, le CPM de la Beac avait, « après avoir analysé l’impact de la crise du Covid-19 et de la chute des cours du pétrole brut sur les économies de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, ndlr) d’une part, et au regard des facteurs de risques pesant sur la stabilité monétaire et financière, d’autre part, (…) pris acte de la mesure de suspension de l’absorption de liquidité et (…) décidé de mesures d’assouplissement monétaire ».

Précisément, la Beac avait décidé de «réviser à la baisse le taux d’intérêts des appels d’offre (Tiao) de 25 points de base, soit de 3,50% à 3,25% ; réviser à la baisse de 100 points de base le taux de facilité de prêt marginal, soit de 6,00% à 5,00% ; de porter les injections de liquidités de 240 milliards Fcfa à 500 milliards Fcfa et se rendre disponible à relever ce montant en cas de besoin ; élargir la gamme des effets privés admis comme collatéral des opérations de politique monétaire ; revoir à la baisse les niveaux des décotes applicables aux effets publics et privés admis comme collatéral pour les opérations de refinancement à la Beac ».

Validée le lendemain 28 mars 2020 par la troisième session extraordinaire du Programme des réformes économiques et financières de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (PrefCemac), qui avait en outre décidé d’appuyer la Beac dans sa proposition de hausser ce niveau d’injections de liquidités « en cas de besoin », cette décision avait été globalement bien accueillie dans les milieux bancaires.

Apeccam

L’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam) avait d’ailleurs déjà appelé la Beac à adopter une politique monétaire plus accommodante. «(…) la Beac devrait renoncer temporairement à la décision de réduction des liquidités dans le système bancaire qui a été prise par le Comité du marché monétaire (CMM) lors de la session de février 2020 et envisager plutôt de faciliter l’accès des banques au marché monétaire par la baisse de ses taux d’intérêt et l’augmentation des plafonds de refinancement en cas de pression de liquidités, ceci permettra aux établissements de crédit de la Cemac d’anticiper sur les difficultés de nos économies », préconisait en effet cette association qui s’est depuis sa création constituée en pôle d’influence, le 20 mars 2020.

Il n’est pas jusqu’au Gicam, l’influent groupement patronal du Cameroun, qui, le 31 mars 2020, avait appelé l’autorité monétaire, à activer « des leviers monétaires pour approvisionner le système bancaire en liquidités (facilitation de l’accès des banques au marché monétaire par la baisse de ses taux d’intérêt ; augmentation des plafonds de refinancement) ». Alors comment comprendre ce peu d’enthousiasme des banques pour les liquidités injectées par la Beac ? Pour les banquiers interrogés par EcoMatin, cette situation curieuse en apparence, ne l’est pas en réalité. « Je ne vois pas l’interprétation négative que l’on veut donner à cette situation commence le banquier Pierre Kam. Qui poursuit : « Quand vous êtes sur un marché et que vous proposez un produit, les gens l’achètent s’ils en ont besoin. Ils ne l’achètent pas s’ils n’en ont pas besoin. Et c’est le cas des banques camerounaises pour le moment. Mais, quand on met des disponibilités, c’est une très bonne chose. Les banques savent qu’en cas opportun, elles pourront s’en servir ».

« Cela veut dire qu’à leur tour, les banques n’ont pas besoin de refinancement ou elles n’ont pas augmenté leurs positions créditrices vis-à-vis de leurs clients. Car pour se refinancer, il faut avoir financé », indique une autre source bancaire.

Extrême prudence

Pourquoi les banques de la sous-région n’auraient pas besoin de ces liquidités en ce moment ? Première raison invoquée par les acteurs du secteur, la frilosité de ces banques à financer l’économie réelle. Traditionnellement en effet, les banques de la sous-région ne sont pas connues pour accompagner massivement le tissu productif sous-régional. « Elles en auraient besoin si elles s’engageaient massivement à soutenir l’activité. Or, depuis le début de la crise sanitaire liée à la pandémie du Coronavirus, elles ont plutôt resserré les conditions du crédit. La plupart d’entre elles n’en accordent pratiquement plus », assure un expert du secteur.

Après enquête auprès de quelques établissements de crédit opérant au Cameroun, EcoMatin a pu constater que les conditions d’octroi des crédits ont été drastiquement durcies pour l’ensemble des agents de l’économie réelle. Le système bancaire camerounais, très sceptique sur les capacités des entreprises et des ménages-encore plus fragilisés par les conséquences économiques des mesures gouvernementales visant à limiter la propagation de la pandémie à Coronavirus-à honorer leurs engagements bancaires, ont choisi l’extrême prudence.

Deuxième raison invoquée, la surliquidité ante-Coronavirus de ces banques. Fin février 2020, le Fonds monétaire international (FMI), avait en effet estimé les réserves excédentaires des banques Cemac à près de 2000 milliards de FCFA. Préoccupée par les risques que cette surliquidité bancaire faisait courrier à la stabilité monétaire et financière de la sous-région, le FMI avait encouragé, et c’est un euphémisme, la Beac à la réduire. A peine l’institution d’émission sous régionale avait-elle décidé d’entamer les opérations de ponction de cette liquidité, en février 2020, qu’elle a dû, un mois plus tard, les suspendre. De sorte qu’à date, c’est un système bancaire sous régional encore repu de liquidités qui observe, distrait, les opérations de la Beac.

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