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Criminalité transfrontalière : au cœur du business des prises d’otages à la frontière Cameroun-RCA

Entre 2012 et 2021, le nombre élevé de camerounais kidnappés et libérés après des négociations financières à la frontière entre les deux pays, démontre à suffire que le phénomène est devenu une activité lucrative et entretenue par les acteurs de l’ombre et parfois avec la complicité des otages. L’activité est également la conséquence des multiples crises politiques en Centrafrique, avec à la clé l’éclosion des bandes armées qui écument les localités frontalières et multiplient les enlèvements pour réclamer des rançons. Enquête au cœur d’un business lucratif qui ne cesse de semer la terreur dans la région du soleil levant.

L’activité est tellement rentable au point où courant juin 2021, une femme à Batouri dans le département de la Kadey s’est fait kidnappée en complicité avec une bande de malfaiteurs afin d’extorquer l’argent de son compagnon à travers une rançon. En effet, selon les sources sécuritaires, la nommée Assia est soupçonnée de tentative d’extorsion de l’argent de son compagnon dans la même ville. Elle a été interpellée et écrouée à la prison principale de Batouri. Nos sources indiquent que son copain, un jeune enseignant aurait perçu son rappel de salaire de près d’un million de FCFA. Pour atteindre son objectif, l’accusée s’est faite kidnappée par une bande pour une destination inconnue. Une fois dans leur destination dans la brousse, le porte -parole de la bande a posté une vidéo sur le groupe watsapp du lycée de Sambo de Batouri à l’attention du compagnon d’Assia, ligotée et entrain de se rouler au sol entre les mains de la bande. « Je veux l’argent, on est très loin de toi, je ne blague pas, j’ai déjà tué une centaine de personne », peut-on écouter sur la vidéo. Malheureusement, le sketch est tombé entre les mains des services de sécurité locaux qui ont immédiatement organisé une traque qui a permis de mettre la main sur toute la bande. Dans la même logique, un mois plus tard, à Mborguené, localité de Garoua-Boulaï, située à 54 kilomètres en provenance de Bertoua, Iliassou, un conducteur de camion et son motor boy, Saoudi ont été enlevés par des hommes armés non identifiés. Deux jours après, au cours d’une opération de ratissage, les forces de défense camerounaises ont retrouvé les victimes parmi 4 personnes dans la brousse de Bongo, sur la route nationale n°10, arrondissement de Bétaré-Oya. « Les éléments sont entrés en profondeur dans la brousse de cette localité et sont tombés sur 04 otages qui venaient d’être libérés par leur ravisseurs », rapport une source sécuritaire. Sur les circonstances de leur libération, l’on soupçonne le paiement d’une rançon aux ravisseurs. « Ces derniers, âgés de 15 a 80 ans refusent de dire qu’ils ont payé une rançon par peur des représailles. Dans tous les cas, les forces de sécurité sont aux trousses des ravisseurs», apprend-t-on.

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De façon générale, les enlèvements pour demander les rançons ont le vent en poupe dans les zones frontalière de la région de l’Est au fil des années. C’est ainsi que le 02 mai 2014, 18 Camerounais sont pris en otage à Yoko-Siré à 9 km de Garoua-Boulaï. Les victimes étaient les occupants d’un véhicule de transport en provenance de Ngaoundéré. Le 08 mai de la même année, 10 éleveurs Bororos sont enlevés respectivement à Kwélé, à 30 km de Batouri et Nyabi, localité situé à 60 km de Batouri sur la route de Kentzou par des terroristes. Après quatre jours de captivité, les otages avaient été libérés après une bataille entre les ravisseurs et les forces de défense camerounaises dans une forêt à Kentzou. D’après Alladji Ahmadou, l’une des victimes, ces ravisseurs lui ont exigé une somme de 20 millions de FCFA avant d’arracher finalement la somme de 6 millions de FCFA en sa possession, fruits des ventes de ses bétails pendant plusieurs mois. Aux autres victimes, des sommes allant de 3 à 5 millions ont été exigées par les ravisseurs et chacun versait selon ses disponibilités. Alladji Ahmadou racontait ces faits à l’esplanade de la compagnie de gendarmerie de Batouri le 12 mai 2014 après quatre jours de captivité.

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Mais le cas d’enlèvement et libération le plus spectaculaire et médiatisé aura été celui de Mama Abakai, maire de la commune de Lagdo dans la région du Nord. En effet, le 17 juillet 2016, le président de la République, Paul Biya, par le biais de son secrétaire général, Ferdinand Ngo Ngo avait annoncé la libération du maire de Lagdo et 10 de ses compagnes de fortune détenus par des rebelles centrafricains depuis le mois de mars 2015. A cette occasion, le chef de l’Etat avait remercié les forces de défense, de sécurité et tous ceux qui ont ouvré pour cet heureux dénouement. Paul Biya avait, en même temps annoncé que les auteurs de cet acte ne resteront pas impunis. Dans sa première sortie médiatique, Mama Abakai avait fait comprendre que pendant 16 mois de captivité, ils ont été conduits dans 7 campements dans différentes localités sur le territoire centrafricain par leurs ravisseurs qui leur infligeaient un traitement inhumain (un litre d’eau et un repas par jour, ndlr). Cette déclaration de Mama Abakai démontre tout au moins que le réseau de preneurs d’otage est solidement implanté en RCA. Parmi les 16 otages enlevés dans la nuit du 19 au vendredi 20 mars 2015, seuls 11 avaient regagné le territoire camerounais. Sur les circonstances de leur libération, rien n’a été mentionné. Cependant, des indiscrétions laissaient entendre qu’il y aurait eu des altercations entre la première bande armée qui détenait les victimes et des rebelles qui ont débouté la première bande.

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C’est ainsi qu’ils ont récupéré les otages pour présenter aux autorités camerounaises comme « butin de guerre » ». Par la suite les vainqueurs vont faire intervenir la MINUSCA (Mission des nations unies pour la sécurisation de la Centrafrique) pour engager des négociations avec les autorités camerounaises dans le plus grand secret. Il faut relever que Yoko Siré où cet enlèvement avait eu lieu est réputé pour des actes de criminalité victorieux du même genre. En septembre 2012, un fonctionnaire des impôts, Emmanuel Mandjomi Moloh et Jean Paul Alim, un jeune villageois avaient été abattus dans un poste de contrôle mixte proche de Yoko Siré tandis que 4 villageois avaient été pris en otage. Le 02 mai 2014, 18 Camerounais sont pris en otage et amenés en RCA dans la même zone. Par ailleurs au cours des mois d’octobre et de septembre 2014 plusieurs enlèvements avaient eu lieu dans le même endroit. Au cours de ces deux enlèvements, les ravisseurs se réclamaient des fidèles du Front démocratique du peuple centrafricain (Fdpc), groupe armé en RCA. Ils revendiquaient alors, « la libération de Abdoulaye Miskine en détention à l’époque au Cameroun ».

Négociations

En termes des fortes négociations pour la libération des otages, le cas du prêtre polonais, Mateusz Dziedzic, enlevé le 12 octobre 2014 à Baboua dans l’ouest de la Centrafrique est assez édifiant. Après sa libération en novembre 2014, Paul Biya avait salué «tout particulièrement à cet égard la contribution» de son homologue congolais Denis Sassou Nguesso, médiateur à l’époque dans la crise centrafricaine. Même si le communiqué officiel du Cameroun ne précisait pas dans quelles circonstances exactes cette libération avait eu lieu, le gouvernement polonais pour sa part, et par la voix de Marcin Wojciechowski, porte-parole du ministère des Affaires étrangères avait évoqué «une action complexe de négociations impliquant plusieurs pays, pays de la région et organisations internationales». Avant de souligner en particulier «le rôle de la France», l’ancienne puissance coloniale qui dispose d’une force militaire en Centrafrique. D’après l’AFP qui rapportait ces faits, le «Lieutenant» Léonard Kamdika avait évoqué des négociations impliquant les autorités centrafricaines et camerounaises, ainsi que la médiation congolaise. «Nous avons contacté l’ancien ministre centrafricain, Karim Meckassoua pour servir d’interface entre les autorités de transition à Bangui, le médiateur, Denis Sassou Nguesso et les autorités camerounaises», avait expliqué le rebelle. Notons enfin, qu’en dehors des cas d’enlèvements spectaculaires ou concernant des personnalités publiques, souvent portés à l’attention du grand public, il existe des multitudes de cas de prise d’otage des personnes inconnues sur la longue et poreuse frontière entre le Cameroun et la RCA et qui débouchent sur des transactions (paiement des fortes rançons) entre les victimes et les ravisseurs.

Conséquences

Cette activité criminelle a créé la psychose avec pour conséquence, la chute drastique du volume des transactions commerciales, des activités économiques et les recettes municipales des communes frontalières comme Garoua-Boulaï, Ouli, Kétté et Kentzou. Dans ces communes, la chute des recettes municipales se situe à environ 60%. « la crise centrafricaine a eu des impacts négatifs sur le transport des marchandises. Jusqu’aujourd’hui, il y a les marchandises en destination de la RCA au port de Douala à cause de l’insécurité sur le sol centrafricain. Les transporteurs ont opté pour les corridors Tchad, Congo, Gabon », reconnait Ngangimo Raymond, 4eme vice président national, chargé de la région de l’Est du syndicat national des transporteurs en général du Cameroun (STGC) installé à Garoua-Boulaï.

« Il faut mutualiser des stratégies de défense »

Bernard Bangda, Président du Moabi Think Tank et journaliste spécialisé dans la couverture de la criminalité transfrontalière depuis 2010.

Certains Etats, comme les Etats-Unis d’Amérique, ne négocient jamais avec les preneurs d’otages. D’autres ont choisi le contraire, comme la France. Dans les deux cas, on a enregistré des résultats probants mais aussi des échecs cuisants avec des otages assassinés. Pour ma part, je crois que le Cameroun a appris de ces deux positions et agit souvent en fonction des circonstances avec beaucoup de réussite il faut le reconnaître, l’objectif étant toujours de ramener nos compatriotes sains et saufs. Je pense néanmoins que la mutualisation des stratégies de défense est une des solutions de lutte contre les bandes armées qui écument nos frontières poreuses. Malheureusement, on observe une absence de solidarité ou un retard à la prise de décision dans ce domaine.

Quelques repères des prises d’otages répertoriés

Septembre 2012, 4 villageois enlevés à Yoko Siré

Avril 2013, un policier enlevé à Kentzou

Mai 2014, 18 Camerounais enlevés à Yoko Siré

Mai 2014, 10 éleveurs enlevés à Kwélé, 30 km de Batouri

Septembre et octobre 2014, plusieurs enlèvements à Yoko Siré

Septembre 2014, 08 personnes enlevées à Garoua-Boulaï

Octobre 2014, le prêtre polonais, Mateusz Dziedzic enlevé à la frontière avec la RCA

Mars 2015, le maire de Lagdo et 15 personnes enlevées à Yoko Siré

Octobre 2016 l’ex-maire de Ouli et 03 personnes enlevées à Toktoyo

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