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Dépenses publiques : des coupes sombres en perspectives

Pour respecter le principe de l’équilibre budgétaire, le gouvernement doit opérer des réductions sur ses prévisions de dépenses. Des économies pourraient être faites dans les dépenses en capital et les dépenses courantes.

Comment renforcer les moyens de lutte contre la propagation de la pandé­mie du Covid-19, tout en garantissant le fonction­nement régulier de l’État dans un contexte de baisse des recettes budgétaires ? Tout dépend du degré d’efficacité des politiques sanitaires et macroécono­miques qui seront mises en œuvre, rétorque-t-on du côté de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac). Le problème, c’est que la marge de manœuvre du gouvernement camerounais semble bien limitée.

Par nature économique, la loi de Finances initiale a reparti les dépenses budgétaires 2020 entre les dépenses cou­rantes (2 735, 38 milliards de FCFA), les dépenses en capital (1 496,31 milliards) et la dette publique (720,010 milliards). Les spécialistes des finances publiques rappellent que pour crédi­biliser sa signature, l’Etat doit payer à bonne date les salaires, les pensions et sa dette. Les trois rubriques représentent 2 027 milliards de FCFA, soit plus de 20% du budget 2020.

Bouffée d’oxygène, mais…

Le report du service de la dette, décidé par le G20 le 15 avril dernier, pour près de 180 milliards de FCFA, est une bouffée d’oxygène certes, mais bien insuffisante par rapport aux besoins. Dans l’impossibilité de ré­duire la masse salariale, il va falloir opérer des économies ailleurs. Dans les prévisions de dépenses en capital, les lignes « Construction, agrandissement, réhabili­tation d’immeubles » (151 milliards), « Achats, instal­lations et rénovations des équipements des immeubles » (144,5 milliards) pour­raient être dégarnies.

Au niveau des dépenses courantes et en raison de l’option de privilégier le télétravail, des efforts sup­plémentaires peuvent être faits dans la réduction du train de vie de l’Etat, no­tamment dans les lignes « Consommations des biens et services » (516,2 milliards de FCFA).

En marge de ces coupes sur les prévisions des dépenses ; le gouvernement peut relever le volume des émis­sions des titres publics. Pour 2020, la loi de Finances a autorisé des émissions des titres publics pour un mon­tant maximum de 350 mil­liards de FCFA.

« Il faut préserver à tous les prix les secteurs stratégiques et d’import-substitution »

DIEUDONNÉ ESSOMBA, Economiste

Malgré des marges de manœuvres bud­gétaires limitées, l’analyste suggère un soutien fort de l’Etat à tout le sec­teur d’exportation et d’import-substitu­tion.

Comment peut-on appré­hender l’impact de la conjoncture internationale actuelle sur l’économie nationale ?

Il faut noter que dans cette crise, presque tous les sec­teurs sont touchés, en rai­son des interrelations qu’ils entretiennent entre eux, mais pas dans les mêmes proportions. Les raisons pour lesquelles un secteur peut être affecté par la crise sont multiples. Il peut être frappé directement dans ses débouchés. Les entreprises n’arrivent plus à vendre parce que le marché est directement frappé par le confinement. C’est le cas des débits de boisson qui voient leur chiffre d’affaires baisser drastiquement, ce qui se transmet naturelle­ment aux industries brassi­coles, et par ricochet, sur les Finances publiques qui pré­lèvent la taxe sur la valeur ajoutée. C’est également le cas du transport et du tou­risme. C’est enfin le cas du secteur d’exportation dont la demande est sérieusement affectée par la crise. On peut notamment citer le pétrole qui a vu son prix passer de 60 dollars à 25 dollars.

D’autres secteurs sont affec­tés de manière assez indi­recte, à travers les interre­lations qu’ils entretiennent avec d’autres secteurs. Ain­si, le confinement des popu­lations dans les villes réduit la consommation et par suite, la demande de tous les secteurs et des fournisseurs de ces secteurs, et ainsi de suite.

Néanmoins, la lésion subie par un secteur dépend de sa nature. Certains secteurs peuvent se reconstituer spontanément après la crise, comme l’informel urbain ou l’agriculture artisanale. A l’autre extrême, d’autres peuvent s’effondrer défini­tivement, à l’instar de de la production pétrolière avec l’effondrement des cours, les agro industries et les grands hôtels de luxe qui jouent un rôle important dans le tou­risme des étrangers.

Entre ces deux cas extrêmes, on trouve une vaste palette d’impacts différentiés.

Quels secteurs écono­miques ont le plus besoin du soutien de l’Etat ?

L’action à court terme de l’Etat consistera à appuyer les secteurs stratégiques dont la lésion peut être irré­versible et qui stabilisent le système productif. Il s’agit notamment de tout le sec­teur d’exportation qui doit être préservé à tous les prix, à savoir, toutes les chaînes de production du pétrole, du cacao, du café, du coton, de la banane, de l’aluminium, etc. Corrélativement, il faut à tout prix sauvegarder le secteur d’import-substitu­tion, autrement dit, les sec­teurs dont l’offre locale est en compétition avec les im­portations. Il s’agit notam­ment de l’industrie manu­facturière comme la Cicam. A ces deux grands secteurs, on peut ajouter le tourisme qui procure les devises, ainsi que des secteurs d’accompa­gnement comme l’électricité ou les télécommunications.

Quels instruments budgé­taires faut-il mobiliser pour l’appui à l’économie soit aussi efficace que possible ?

Le recours à l’instrument budgétaire est très difficile dans notre contexte actuel, en raison de contraintes multiples. La situation anté­rieure du budget de l’Etat, avant même la pandémie n’était déjà pas bonne, et on sait que le FMI est là depuis 2017. Or, le FMI se comporte comme un gen­darme qui nous contraint dans nos marges budgé­taires. Les crises sécuritaires ont imposé une contrainte supplémentaire qui absorbe d’importantes ressources. Dans ces conditions, le Gou­vernement ne peut faire que des efforts à portée plutôt symbolique. En réalité, les Camerounais doivent inté­grer le fait que leur Etat n’est pas assez riche pour soutenir une politique sociale signifi­cative.

Dans quels secteurs ou administrations opérer les économies nécessaires ?

Une fois de plus, l’adminis­tration n’est pas un lieu des économies. C’est une erreur récurrente très en vogue en Afrique Noire, créée et en­tretenue par les vecteurs du libéralisme idéologique que sont les institutions de Bret­tons-Wood. Il vaut mieux parler de la rationalisation de la dépense publique, autrement dit, l’affectation optimale des ressources dis­ponibles pour le développe­ment du pays.

Et de ce point de vue, l’une des dépenses les plus impro­ductives pour une Nation est justement la guerre civile, surtout lorsqu’elle est ali­mentée par des motifs pure­ment idéologiques ! Vous ne pouvez pas parler d’éco­nomie dans un pays qui traîne une sécession armée de l’ampleur de la Séces­sion anglophone ! A elle seule, ses impacts plombent le budget et paralysent tout le pays à travers un effet en ciseaux : d’un côté, elle dis­traie d’importantes sommes de sécurité et de reconstruc­tion, et de l’autre, elle ver­rouille la production dans le NOSO, mettant le Gou­vernement en devoir d’y consacrer des ressources qui auraient pu servir ailleurs. Sans une solution à cette crise, toute autre action re­lève des économies de bouts de chandelle qui ne peuvent avoir aucun impact signifi­catif

>LIRE AUSSI-Finances publiques : Cameroun, 2e économie la plus résiliente d’Afrique

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