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Bernard Njonga: l’homme et son œuvre

Fondateur de l’Association des citoyens pour la défense des intérêts collectifs (Acdic), de l’ONG agricole Saild, du parti politique Croire au Cameroun (CRAC), et du journal La Voix du paysan, ce bouillonnant syndicaliste s’est fait l’âme du monde agricole au Cameroun.

La nouvelle est tombée tel un couperet dans la nuit du 21 au 22 février 2021. A 66 ans, L’ingénieur agronome camerounais Bernard Njonga est décédé au CHU d’Amiens, en France des suites de maladie. Un décès qui laisse orphelin le monde rural pour lequel il aura mené un combat sans relâche.  Fondateur de l’Association des citoyens pour la défense des intérêts collectifs (Acdic), de l’ONG agricole Saild, du parti politique Croire au Cameroun (CRAC), et du journal La Voix du paysan, ce bouillonnant syndicaliste s’est fait l’âme du monde agricole au Cameroun.

Quand le poulet camerounais a eu les dents

L’un des combats sur lequel cet ardent défenseur de la cause agricole se sera battu c’est pour la préservation des intérêts de la filière avicole camerounaise. Cette filière avait littéralement sombré au début des années 2000, la production ayant touché le fond en 2006, année de la grippe aviaire. L’épizootie faillit porter le coup de grâce à la filière, qui se délitait depuis qu’un accord avec l’Union européenne, passé en 1995, autorisait l’importation des découpes de poulet congelé en provenance de l’UE.  Le poulet européen, bas de gamme et subventionné via la Politique agricole commune, provoquait un dumping sur les prix : il était vendu 900 Francs CFA le kilo sur les marchés, contre 1 900 Francs CFA pour le camerounais (soit 1,40 euro le kilo pour un poulet européen contre 2,90 euros le kilo pour une volaille camerounaise).

En 2003, 22 000 tonnes de poulet européen entraient ainsi au Cameroun tandis que la production locale chutait à 13 500 tonnes. Face à cette catastrophe économique et sociale, Bernard Njonga crée, en 2003, l’Association citoyenne pour la défense des intérêts collectifs (Acdic), qui va mener campagne aux côtés des aviculteurs. Son objectif : défendre la souveraineté alimentaire et convaincre la population et les autorités que l’interdiction de ces importations sera un bienfait pour l’économie du pays et pour les consommateurs. Le leader paysan réussit l’exploit d’attirer l’attention de l’opinion nationale sur un tel enjeu. Entre manifestations, incarcérations et plaidoyers à l’international, celui qui se présentait comme l’ami de l’altermondialiste José Bové, obtint du gouvernement en mars 2006, l’interdiction des importations de poulets congelés dans le pays. Une bataille gagnée haut la main et dont les résultats se firent ressentir. Quelques années seulement après, la filière avicole bénéficia de 4 milliards de Francs CFA d’aides publiques pour se reconstruire et la perspective d’une sérénité retrouvée a favorisé les investissements des entreprises. Le Cameroun a produit environ 75 tonnes de poulets contre 25 000 en 2006. Selon l’interprofession avicole du Cameroun, la filière a contribué en 2013 à la création de  320 000 emplois contre seulement 120 000 en 2006. « Je suis convaincu que nous avons le potentiel de satisfaire la demande locale, régionale et plus. Pour peu que nous le voulions » commentais, optimiste Bernard Njonga.

Effet pervers de cette bataille gagnée : une crise alimentaire du maïs gagne le Cameroun. En effet, la limitation des importations de poulets congelés entraîne une forte augmentation de la production des élevages de poulets locaux qui se nourrissent de cet aliment. Selon l’ACDIC, « de 6 000 tonnes en 2008, le déficit pour la satisfaction de la demande camerounaise de maïs est estimé à 120 000 tonnes pour 2009 ». L’association a mené une enquête sur la gestion des crédits de subvention du « programme national d’appui à la filière maïs » du ministère de l’Agriculture et du Développement rural. L’enquête conclut que « 62% de la subvention accordée à la production de maïs en 2008 ont été détournés. » Le 10 décembre dernier, Bernard Njonga est interpellé avec d’autres manifestants alors qu’ils manifestaient « contre cette mauvaise gouvernance ». Accusé d’ « organisation de manifestation interdite sur la voie publique », Bernard Njonga est convoqué le 28 mars au tribunal. 

Opération « Zéro produit importé au Comice »

Très connu pour son combat en faveur des populations rurales, ce dernier a implémenté la philosophie du «consommons ce que nous produisons » afin de réduire l’importation des produits de premières nécessités afin de favoriser la production locale. Ainsi, en janvier 2011 à Ebolowa au Sud du pays, il lance la campagne « Zéro produit alimentaire importé au comice ». Campagne dont l’objet essentiel sera d’empêcher que ces produits massivement importés et vendus à des prix défiant toute concurrence ne viennent gâcher cette fête que les paysans ont tant attendue. Avec les producteurs locaux Bernard Njonga initie des « Journées nationales de dégustation » des produits locaux, qui se sont déroulées à Yaoundé et à Ebolowa, la ville du comice. Les producteurs jettent ainsi leur dévolu sur le pain et viennoiseries enrichis aux farines locales (patate, maïs, manioc), le riz, les produits laitiers. Des alternatives efficaces aux importations. Ces produits qui ont connu un immense succès public ont également été servis aux populations durant la période du comice, avec le partenariat des producteurs locaux.

Transformer le Cameroun par l’agriculture en 05 ans

En tant qu’acteur politique, Bernard Njonga créa le parti politique dénommé Croire au Cameroun (Crac), dont il fut le président et à partir duquel il ambitionnait briguer la magistrature suprême lors de l’élection de 2018. Élection à laquelle il ne prendra finalement pas part pour des raisons de santé. Mais son offre politique aux combien ambitieuse visait à implémenter « 40 mesures pour faire décoller l’agriculture en 5 ans ». Pour Bernard Njonga, l’agriculture peut faire entrer le Cameroun dans la cour des grands. « Si on regarde les derniers chiffres, on parle de milliers de milliards de francs CFA qu’on dépense pour importer des vivres. Des aliments qu’on pourrait produire localement. Dernièrement, on a accordé 5.000 hectares de terre aux Turcs pour la production du maïs au Cameroun dans l’Adamaoua, alors que les producteurs locaux ne font rien. Les paysans qui manquent de semences sont abandonnés à eux-mêmes. Les producteurs locaux qui ont pour vocation de produire le maïs sont négligés au profit des investisseurs étrangers, ce sont des aberrations qui nous laissent perplexes. Pourquoi ne pas donner la possibilité aux producteurs locaux de travailler sur cet espace? On a les ressources humaines capables de valoriser nos ressources naturelles. Ces décisions politiques vont à l’encontre du chômage des jeunes et de nos producteurs.» confiait-il.

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