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Diplomatie : acteurs et enjeux de la crise Tchad-Cameroun

Le général Mahamat Idriss Déby se dit déterminé à défendre la respectabilité de son pays après que la SNH a acquis dans des conditions qu’il juge illicites, 10% d’actifs liés au Pipeline Tchad-Cameroun. Les deux pays entretiennent de solides relations sécuritaires et économiques, que la crise en cours pourrait mettre en péril.

Rien ne va plus entre le Cameroun et le Tchad. Son voisin, membre comme lui de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), a rappelé hier jeudi son ambassadeur à Yaoundé, Djidda Moussa Outman, nommé il y a à peine un mois – c’est le 13 mars dernier qu’il a présenté ses lettres de créance au ministre des Relations extérieures. Aux sources de cette brouille diplomatique inédite dans la sous-région, la gestion de certains actifs du pipeline Tchad-Cameroun, sources d’« agissements inamicaux et contraires aux intérêts du Tchad» de la part des représentants camerounais dans les conseils d’administration de Cameroon Oil Transportation Company (Cotco) et Tchad Oil Transportation Company (Totco), dénonce la présidence tchadienne dans un communiqué daté du 20 avril.

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La colère de N’Djamena vient du deal conclu le 19 avril entre Savannah Energy, entreprise qui avait repris les actifs du géant pétrolier ExxonMobil à travers sa filiale Savannah Midstream Investment Limited (« SMIL »), et la Société nationale des hydrocarbures (SNH) du Cameroun, pour le rachat de 10% de ses actifs. Cette transaction à 26 milliards Fcfa modifie la géographie des actions du Pipeline, en permettant à la SNH de passer de 5% jusque-là à 15%.

La transaction entre la junior britannique et l’entreprise camerounaise s’est faite dans le dos du Tchad, qui était plutôt engagé dans un processus de nationalisation de ces parts. La présidence tchadienne informe qu’elle a adressée plusieurs correspondance aux autorités camerounaises à ce sujet, sans en révéler le contenu, mais celles-ci sont restées lettre morte. «Plusieurs lettres de suite ont été adressées aux autorités camerounaises ; lettres qui sont restées sans réponse », souligne le secrétaire général de la Présidence de la République du Tchad dans son communiqué.

Cependant, des personnalités camerounaises qui gravitent autour de Savannah Energy ont multiplié des pressions sur des officiels tchadiens. L’on évoque même un voyage de Franck Emmanuel Biya, le fils du président camerounais, en septembre 2022 à N’Djamena, où il avait rencontré le président de transition Mahamat Déby Itno pour plaider la cause de Savannah avec qui les autorités tchadiennes n’ont jamais été en odeur de sainteté.

N’Djamena est d’autant plus courroucé que le deal du 19 avril viole les conventions et statuts de Cotco. Cette démarche jugée unilatérale des autorités camerounaises, notamment de la SNH fait dire au Tchad que le Cameroun ne joue pas franc jeu avec lui. Les autorités Tchadiennes affirment d’ailleurs que dans le cadre de l’acquisition des actifs de Petronas par Savannah, le Tchad a déposé un dossier d’agrément en bonne et due forme auprès de de la Commission de la concurrence de la Cemac (CCC). Le dossier y est toujours pendant.

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Transit de marchandises

La présidence tchadienne souligne même que « seul le Cameroun n’a pas répondu aux lettres de demande d’avis de non-objection adressée par la Cemac aux ministres du Commerce des pays membres ». Ces lettres sont pourtant utiles à la convocation de la CCC qui devra statuer sur l’acquisition des actifs de Petronas par le Tchad. N’Djamena assure, du reste, qu’il va « défendre ses intérêts et sa respectabilité » dans ce dossier qui met à mal les relations entre les deux pays.

Cette crise survient un mois seulement après la tenue à Yaoundé de la dernière session de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cemac, en marge de laquelle l’on a vu le général Mahamat Idriss Déby Itno tout sourire avec Paul Biya qu’il considère comme un père. Yaoundé n’a toujours pas réagi officiellement depuis le déclenchement cette crise, mais sa réaction ne devrait pas tarder.

Il est à noter que le Tchad est un allié de poids du Cameroun, notamment dans la lutte contre Boko Haram. Une brouille systémique entre les deux voisins pourrait être préjudiciable à la poursuite de cette collaboration sécuritaire. Par, ailleurs, sur le plan purement économique, le Tchad, au-delà de son pétrole produit à Dona qui passe par le Cameroun à travers le Pipeline Tchad-Cameroun et qui génère en moyenne 20 milliards Fcfa au trésor camerounais par semestre, fait transiter environ 900.000 tonnes de marchandises par le Cameroun à travers le corridor Douala-N’Djamena.

Les conséquences si les deux pays venaient à raidir leurs positions ou à surréagir relativement aux dissensions sur ce dossier pourraient être lourdes pour le Tchad

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