A la UneBusiness et Entreprises

Electricité : les enjeux autour du rachat par l’Etat des parts d’Actis dans Eneo

Avec la décision de l’investisseur britannique de céder ses actifs dans la compagnie d’électricité Energy of Cameroon (Eneo), le pays se prépare à tourner une nouvelle page de l’histoire de son secteur de l’électricité. Dans un contexte marqué par d’importants défis à relever, tels que la préservation de l’équilibre financier d’un secteur en difficulté, la réalisation d’investissements névralgiques, la garantie de l’approvisionnement des populations et des entreprises, ou encore la question du prix de cette énergie soigneusement évitée depuis plus de 10 ans maintenant…

Sauf coup de théâtre, en 2024, l’Etat du Cameroun reprendra le contrôle de la société Eneo, qui détient la concession du service public de l’électricité dans le pays depuis 22 ans. Le prochain conseil d’administration, théoriquement prévu courant décembre, de cette entreprise devrait entériner la sortie d’Actis du capital d’Eneo, ainsi que la ligne à suivre dans le cadre des négociations annoncées pour bientôt par le gouvernement camerounais, à l’effet de renationaliser cette société, en rachetant les 51% d’actifs qu’y détient ce fonds d’investissement britannique.

Il faudrait cependant que le gouvernement arrive à convaincre la Banque mondiale, un acteur devenu au fil des années, incontournable dans le secteur électrique camerounais. Son niveau d’engagement financier dans ce domaine, à travers le plan d’urgence récemment signé (180 milliards de F Cfa), la réhabilitation du réseau de transport (195 milliards de F Cfa) ou l’interconnexion des réseaux interconnectés Nord-Sud (178 milliards de F Cfa) fait en sorte que son avis pèsera.

Lire aussi : Décryptage : pourquoi Actis sort du capital de la compagnie d’électricité Eneo

Or les institutions de Bretton Woods, dont elle fait partie, sont par définition hostiles aux nationalisations, quelle que soit leur formule. La Banque mondiale risque d’autant plus d’être échaudée par rapport à cette perspective que le retour d’Eneo dans le giron public ne garantit pas que l’État et ses démembrements deviendront d’un coup des clients solvables. D’autant qu’il n’y aura plus un actionnaire de la trempe d’Actis pour le rappeler de temps à autre à ses obligations financières.

Commencera alors, à plusieurs égards, une véritable course contre la montre pour l’Etat du Cameroun, si le scénario de la rénationalisation était définitivement acté.

« Le premier enjeu dans cette opération de rachat est de la boucler le plus rapidement possible, en arrêtant à la fois clairement et rapidement la formule qui permettra de reprendre les actifs d’Actis, et en désignant les nouveaux dirigeants… Car, la moindre période de flottement pendant la période de négociations ou entre le départ d’Actis et la reprise de la société par l’Etat peut être catastrophique. Surtout si, de surcroît, Actis et l’Etat se séparent sur un contentieux juridique qu’il faut absolument éviter, malgré les dissensions actuelles entre les parties, notamment sur le volume des arriérés réclamés par Eneo », croit savoir un expert du secteur de l’électricité. En tout cas, une fois installé, le repreneur devra s’attaquer à ce qui est certainement le chantier le plus colossal et le plus difficile du secteur de l’électricité au Cameroun depuis plus de 20 ans : la restauration de l’équilibre financier.

Lire aussi : Restructuration d’Eneo : la thérapie de choc du gouvernement

En effet, depuis plusieurs années, le secteur de l’électricité au Cameroun est à la peine. A cause principalement de l’accumulation des impayés par l’Etat et les entités publiques. Ces arriérés de paiement, selon nos sources, sont aujourd’hui estimés à 234 milliards FCfa, en attendant les travaux de vérification et de consolidation. Privée de cette trésorerie, Eneo affiche par exemple un déficit de trésorerie de 113 milliards FCfa au 31 décembre 2022, et a été contraint, pour son fonctionnement quotidien, de s’endetter à court terme auprès des banques, à hauteur de 140 milliards FCfa au cours de la même année. Ce qui lui impose des remboursements assortis d’intérêts d’environ 18,6 milliards FCfa chaque mois.

Restructuration de la dette

Dans l’urgence, cette dette bancaire devra au minimum être restructurée. Ceci au même titre que la dette fournisseur d’Eneo, qui est quant à elle estimée à 336 milliards FCfa, représentant 48% de la dette globale de l’entreprise évaluée à plus de 700 milliards FCfa, apprend-on. A l’analyse, la mise en œuvre rapide d’un mécanisme couplé de remboursement partiel de la dette et de restructuration de l’enveloppe restante, dans un scénario similaire à celui qui a permis de desserrer l’étau de la dette autour de la Société nationale de raffinage (Sonara) il y a quelques mois, devrait permettre non seulement au distributeur de l’électricité de souffler, mais aussi d’oxygéner et de rassurer les autres acteurs du secteur de l’électricité. En effet, la trésorerie de tous les autres acteurs du secteur de l’électricité pâtit des difficultés financières d’Eneo.

Dans son rapport 2022, cette entreprise confesse, par exemple, que malgré des encaissements de 31 milliards FCfa chaque mois, au moyen de la facturation des consommations, elle enregistre un déficit de trésorerie de 29 milliards FCfa. Ce qui ne lui permet pas de pouvoir honorer ses charges mensuelles vis-à-vis de la Société nationale de transport de l’électricité (5,7 milliards par mois), les droits d’eau à verser à l’entreprise publique de patrimoine Electricity Development Corporation (1,06 milliard par mois), les frais d’achat de l’énergie injectée dans le système par le producteur indépendant Globeleq à travers ses centrales de Kribi et Dibamba (plus de 8 milliards par mois), les frais de combustibles pour faire tourner des centrales thermiques de son réseau (5,5 milliards par mois), la redevance à verser à l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (0,5 milliard par mois), etc.

Lire aussi : Secteur de l’électricité : Eneo réclame 150 milliards à l’Etat à fin juillet 2022

Bref, la restructuration et l’apurement partiel de la dette réclamée par Eneo à l’Etat et aux entités publiques, gage d’amélioration du profil emprunteur de l’entreprise, qui de surcroît bénéficiera de la garantie de son nouvel actionnaire majoritaire qu’est l’Etat, devrait pouvoir ouvrir des portes à certains financements permettant d’investir. En effet, après la restauration de l’équilibre financier du secteur, qui passe surtout par le paiement régulier des factures des administrations publiques, et peut être même par une révision de la tarification de l’électricité aux ménages (les prix sont bloqués depuis 2012), au regard des défis financiers à relever, l’investissement apparaît également comme un chantier crucial auquel devra s’attaquer le repreneur.

Plan de redressement

A l’abandon pendant de longues années, l’investissement dans les équipements de transport, par exemple, n’a repris qu’après la création de la Sonatrel en 2015. Mais, ces investissements n’avancent toujours pas au rythme souhaité. D’ailleurs, selon certaines indiscrétions, les lenteurs dans la réalisation de certaines lignes, auxquelles il faut ajouter les nombreux travaux nécessaires à l’optimisation des lignes de distribution par Eneo, pourraient momentanément perturber l’efficacité du barrage de Nachtigal dans le réseau électrique national, au moment de sa mise en service complète prévue en septembre 2024.

Tout ce qui précède appelle l’urgence de la mise en œuvre effective du plan de redressement prioritaire du secteur de l’électricité pour la période 2023-2026, récemment validé par le gouvernement. « Ce plan prioritaire, d’un coût global de 400 milliards FCfa, sera financé en partie respectivement par la Banque mondiale via le programme axé sur les résultats (Pfor R), pour un montant de 180 milliards de FCfa, et par la Banque africaine de développement à hauteur de 48 milliards de FCfa », avait révélé le ministre de l’Eau et de l’Energie, Gaston Eloundou Essomba, au cours d’une conférence de presse en marge de la mise en eau du barrage de Nachtigal, le 18 juillet 2023. Ce membre du gouvernement révélait ainsi par la même occasion des besoins de financements supplémentaires d’un montant de 172 milliards FCfa.

Lire aussi : Eneo cherche 210 milliards de FCFA pour poursuivre son programme d’investissements

En réalité, ce plan est la phase urgente du plan de redressement du secteur de l’électricité du Cameroun (Prsec), qui s’étale sur la période 2023-2030. Le Prsec, selon le gouvernement, nécessite 6 000 milliards FCfa de financements. 4 000 milliards, selon les prévisions, devraient servir à la production de 3 000 MW d’énergie électrique supplémentaires, à travers la construction de nouveaux barrages dans le pays, tandis que 1 200 milliards FCfa seront investis dans les infrastructures de transport et 800 milliards dans les infrastructures de distribution.

A LIRE AUSSI

Afficher plus

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page