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Emprunt obligataire : comment l’Etat viole les standards internationaux

La Commission des marchés financiers constate que le Cameroun fait encore recours à un contrat public entre l’Etat et les prestataires de la conduite de l’opération au lieu d’une convention entre le ministère des Finances et les prestataires.

« Le Cameroun reste l’un des rares pays où pour l’émission d’un emprunt obligataire, il est fait recours à un contrat de marché public entre l’Etat et les prestataires pour la conduite de l’opération ». C’est le constat fait ce 19 octobre 2018 par la Commission des marchés financiers (CMF). Le gendarme national du secteur financier venait alors d’autoriser l’Etat du Cameroun a lancé un emprunt obligataire de 150 milliards de FCFA. La CMF recommande à l’Etat du Cameroun, dans le cadre d’une démarche de conformité avec les standards internationaux sur les conditions d’accès au marché financier, de relever cette contrainte pour ses émissions obligataires ultérieures et de s’en tenir uniquement à une convention de mandat entre le ministre des Finances et les prestataires sélectionnés pour la conduite de ses émissions.

Pour l’heure, le consortium-chef de file constitué de Société Générale, Afriland First Bank et EDC Investment Corp, conduira sa mission dans le respect de la règlementation en vigueur, des règles et pratiques internationalement reconnues. Dans un délai maximum de cinq jours à compter de la clôture des souscriptions, le consortium-chef de fil transmettra à la commission des marchés financiers, un compte rendu de l’opération qui comprendra, notamment toutes les informations sur le déroulement de l’opération ainsi que des résultats définitifs en termes de volume, montants et répartition du placement des titres auprès des personnes physiques, morales et établissements financiers bancaires et non bancaires. Après clôture de l’opération et au plus tard trente jours après des souscriptions, le consortium-chef de file adressera à la commission des marchés financiers, un rapport de l’opération présentant son coût global, le détail des charges y relatives, par nature et par bénéficiaire. Baptisé « ECMR 5,6% net 2018-2023 », cet emprunt obligataire sera souscrit sur la période allant du 29 octobre 2018 au 9 novembre 2018.

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107 milliards pour la CAN

Les infrastructures de la Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN), que le Cameroun organisera en juin 2019, vont engloutir 107 milliards sur les 150 milliards de F CFA que le gouvernement s’apprête à mobiliser sur la bourse des valeurs mobilières de Douala ; ce qui représente 70% de l’enveloppe de financements sollicitée auprès des investisseurs.

En effet, selon la note d’information qui accompagne cette opération de levée de fonds du gouvernement camerounais, une enveloppe globale de 62 milliards de francs CFA sera affectée au financement des travaux finaux du complexe sportif d’Olembe (banlieue de Yaoundé), de ses stades annexes et ses voies d’accès (36 milliards FCFA) ; ainsi que le complexe de Japoma (banlieue de Douala), ses annexes et ses voies d’accès (26 milliards FCFA). En plus du complexe de Japoma, dans la capitale économique du pays, le stade de la Réunification recevra une dotation de 8 milliards de francs CFA pour des travaux de réhabilitation.

A Garoua, seule ville de la partie septentrionale du Cameroun qui accueillera la grand-messe du foot africain en 2019, une somme de 20 milliards de francs CFA sera investie, dont 8 milliards de francs CFA pour la réhabilitation du stade Roumde-Adja et ses voies d’accès, contre 12 milliards de francs CFA pour la réhabilitation de quatre stades d’entraînement.

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Eviter le cas de l’emprunt de 2010

A travers ses recommandations à l’Etat, la CMF veut éviter à l’Etat une situation désagréable comme en 2010. En effet, alors qu’elle peine à attirer les investisseurs, c’est dans la rubrique sanction que la Douala Stock Exchange a fait parler d’elle au mois d’août 2013. La Commission des marchés financiers (CMF) du Cameroun a publié dans Cameroon Tribune le 5 août 2013, une série de sanctions à l’encontre de neuf opérateurs, dont huit établissements financiers de la place (UBA, BICEC, Banque Atlantique, SGBC, Afriland First Bank, Citibank, BMCE Capital, SCB Cameroun) et la Douala Stock Exchange (DSX), la Bourse des valeurs mobilières de Douala.

Globalement, les raisons évoquées par le gendarme du marché financier du Cameroun pour justifier cette gamme variée de sanctions sont des « manquements et irrégularités » constatés dans le déroulement de l’emprunt obligataire de l’Etat du Cameroun, libellé « ECMR net 5,6% 2010-2015 », lancé en 2010 et qui a abouti à la levée de la somme de 200 milliards de francs CFA destinés au financement des grands projets. Concernant spécifiquement la DSX, cette dernière a écopé d’une amende de 500 000 francs CFA « pour avoir, sans être prestataire de services d’investissement, fourni un service d’investissement consistant en la tenue du livre d’ordres dans une émission (centralisation de souscriptions) ».

Pour la CMF, cette fonction est interdite à toute personne non prestataire de services d’investissement. Ce n’est pas tout. En plus de cette amende, la CMF a adressé un avertissement aux dirigeants de la DSX « pour leurs multiples manquements à leurs obligations professionnelles ». Le gendarme du marché financier du Cameroun a concrètement parlé d’un entêtement de ces dirigeants à « ignorer ou à passer outre leur gestion de l’institution et des opérations boursières, les prescriptions et recommandations de la CMF ». Allusion faite spécifiquement aux accords de place non entérinés par le régulateur. D’après Chief T.K. Ejangue, l’ex-président de la CMF qui a signé ces décisions, ainsi que son secrétaire général Alphonsus Njiachomuna, les sanctions sont intervenues au terme d’auditions et d’un processus qui a pris du temps, « du fait de la complexité des dossiers à traiter ». La DSX n’a pas donné sa position officielle au sujet de ces sanctions.

Réaction

En réaction à ces accusations de la CMF, les avocats de la Société commerciale de banque au Cameroun (SCB Cameroun), filiale du groupe bancaire marocain Attijariwafa, ont saisi la justice camerounaise pour tenter d’obtenir l’invalidation de la décision prise à l’encontre de cette banque le 10 juillet 2015 par la Commission des marchés financiers, le régulateur de la bourse des valeurs mobilières de Douala (DSX).

Dans cette décision que «SCB Cameroun conteste tant dans la forme que dans le fond», précise la banque dans un communiqué officiel rendu public ce 22 juillet 2015, la CMF a infligé de lourdes amendes à l’arrangeur de l’emprunt obligataire de 50 milliards de FCFA lancé par l’Etat du Cameroun en décembre 2013, opération qui avait finalement permis au Trésor public de lever 80 milliards de FCFA.

En effet, indique la CMF, pour s’être rendue coupable de 30 «manquements» dans le cadre de cette opération de levée de fonds pour l’Etat camerounais, la SCB écope d’une amende de 150 millions de francs Cfa, de l’injonction de restituer une somme de 473 millions de francs Cfa à l’Etat du Cameroun, puis de «six mois de suspension avec sursis de toute activité sur le marché obligataire local, à l’exception des opérations strictement nécessaires à la préservation des intérêts de la clientèle».

Au rang des manquements reprochés à SCB Cameroun, énumère le régulateur du marché financier, «les pratiques contraires à ses obligations professionnelles envers l’émetteur et les investisseurs», les pratiques visant «à fausser le fonctionnement du marché», «les avantages injustifiés qu’elle n’aurait pas obtenu dans le cadre normal du marché», ou encore «l’atteinte à l’égalité d’information et de traitement des acteurs du marché»…

Après le tout premier emprunt obligataire de l’Etat du Cameroun en 2010 (200 milliards FCfa), la CMF avait déjà sanctionné l’arrangeur, Afriland First Bank, ainsi que tout le syndicat de placement (sept banques) de cet appel public à l’épargne, sans oublier le Douala Stock Exchange (DSX), lui-même. Des sanctions qui avaient déjà été contestées par les victimes.

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CMF, un gendarme qui veille

Il n’y a pas qu’au Cameroun que la Commission des marchés Financiers veille au grain. La CMF a publié un communiqué le 22 septembre 2017 selon lequel, elle est informée de la circulation dans le public, d’une note d’information émanant d’une structure non agréée. Ladite structure se livre, d’après la CMF, à une campagne en vue de la souscription à des emprunts obligataires destinés au financement de projets d’infrastructures portuaires portés par une société dénommée « Gabon Special Economic Zone ».

« La Commission des marchés financiers tient à prévenir le public camerounais de ce que cette initiative est illégale et que les personnes qui souscriraient à ces émissions obligataires le feraient sous leur entière responsabilité et à leurs risques et périls.», indique le communiqué. La CMF poursuit en rappelant que la structure à l’origine de ces informations n’a « reçu ni l’agrément du régulateur, ni recueilli le visa de la Commission pour cette opération, ainsi que l’exige l’article 90 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique ».

La Commission des Marchés Financiers rappelle que les seuls prestataires de services d’investissement (PSI)  à être autorisés à agir sur le territoire de la République du Cameroun sont : Afriland First Bank, Commercial Bank of Cameroon, Société générale du Cameroun, SCB Cameroun, EDC Investment, UBA, Financia, Citibank, Cenainvest, Standard chartered, Banque Atlantique, BgfiBank.

La société Gabon Special Economic Zone SA (Gsez SA) est l’organe d’aménagement et de gestion de la Zone économique spéciale de Nkok sur le territoire gabonais. C’est un partenariat stratégique entre l’Etat du Gabon et le singapourien Olam International, et Africa Finance Corporation, qui a pour mission de développer les infrastructures pour améliorer la compétitivité industrielle du pays et construire un écosystème propice aux entreprises.

Gsez SA a entrepris le lancement d’une zone économique spéciale de 1 126 ha à Nkok (à 20 km de la capitale Libreville), en 2010. Ceci après l’interdiction des exportations de bois brut. Le but est de mettre en place un écosystème adapté et une infrastructure de niveau mondial, afin de faciliter le traitement secondaire et tertiaire du bois, ainsi que d’autres ressources naturelles au Gabon.

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