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Exploitation des mines : ces juniors minières qui vendent du bluff au Cameroun

Le fer de Mbalam, la bauxite de Minim-Martap, le diamant de Mobilong, l’Or de Bibemi… L’expression « scandale géologique » sied très bien au Cameroun tellement son sous-sol est riche et diversifié en ressources minières. Mais paradoxalement, tout ce potentiel est très faiblement exploité et ne contribue qu’à moins d’1% au budget de l’Etat. Pourtant, pas une année ne passe sans qu’une junior minière étrangère ne débarque avec dans sa gibecière l’annonce d’investissements colossaux pour l’exploitation de ces ressources. A ce jour, près de 200 permis d’explorations ont été délivrés par le Cameroun mais l’exploitation n’arrive jamais. EcoMatin vous entraîne à la découverte de l’empire inachevé des juniors entreprises minières au Cameroun où la spéculation boursière et l’art du bluff sont les maîtres mots. Un dossier de la Rédaction

Nickel-cobalt de Nkamouna : 19 ans après la délivrance du permis d’exploitation, le projet piétine  

Le 11 avril 2003, Geovic Cameroon PLG, filiale de la junior minière américano-canadienne Geovic Mining Corp, obtient le tout premier permis d’exploitation minière du Cameroun sur le gisement du cobalt, nickel et manganèse de Nkamouna, village de l’arrondissement de Lomié, dans la région de l’Est. Près de 20 ans après, rien n’a bougé. Pourtant, en avril 2003, Geovic avait présenté son étude de faisabilité bancable validée par son conseil d’administration. A l’analyse de toutes les déclarations faites autour de cette entreprise, Geovic n’a jamais eu les moyens de sa politique.

Fin 2017. Las d’attendre que les promesses de cette entreprise se concrétisent, le ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (Minmidt) de l’époque, Ernest Gbwaboubou, sollicite l’avis de la présidence de la République sur le retrait de son permis d’exploitation. « L’intérêt que d’autres investisseurs plus sérieux portent au projet de Nkamouna » et « le fait que Geovic se serve de ce permis de recherche aux fins de spéculations sur les places boursières » sont les arguments du Minmidt.

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En réaction, le 21 février 2018, William Alan Buckovic, le fondateur de Geovic, sera reçu par le secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr), Ferdinand Ngoh Ngoh.  Qu’il rassure sur son intention de relancer le projet après 5 ans d’hibernation. Le 25 juillet 2019, le président de la République reçoit le PDG de Geovic, Michael Mason. Ce dernier rappelle à Paul Biya « les retombées du projet minier de Nkamouna : environ 700 emplois directs à créer, transfert de technologies, formation de jeunes camerounais, paiement des impôts et taxes divers à l’État, etc. » Seulement, deux ans après cette rencontre au sommet, c’est le black-out. Geovic et le gouvernement camerounais continuent de chercher les quelque 250 milliards de FCFA nécessaires au financement de ce projet minier, que les populations de Lomié et le Cameroun tout entier attendent depuis des décennies. Et sur lequel Geovic tente vainement de céder ses actifs depuis belle lurette.

Diamant de Mobilong : les quantités avaient été surévaluées

Le 27 mai 2009, Badel Ndanga Ndinga, alors ministre des Mines, confirme que l’entreprise sud-coréenne C&K Mining (détenteur d’un permis d’exploration minière délivré en 2007, ndlr) a découvert un important gisement diamantifère à Mobilong et Limokoali, à l’Est. Selon C&K Mining, « ses réserves, les plus grosses jamais connues à ce jour dans le monde, sont estimées à 90 tonnes, soit 736 millions de carats et à 5 fois la production mondiale annuelle ». Lors de la phase d’exploitation, l’entreprise va y investir 500 milliards de FCFA sur 25 ans et créer 4 000 emplois directs.

Pourtant, dans l’euphorie, Paul Nia, un géologue de l’Institut de recherches géologiques et minières, estime qu’« il n’est pas encore prouvé que cette découverte est plus importante que les gisements d’Afrique australe ».

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Et l’histoire va lui donner raison. En septembre 2011, un député coréen de l’opposition révèle que, contrairement aux chiffres de 2009, le gisement de Mobilong ne vaut que 18 millions de carats, environ 3,3 tonnes, soit 23 fois moins. Entre-temps, alors que C&K n’était chargé que de l’exploration, l’annonce du ministre des Mines avait multiplié par cinq, en dix-sept jours, son cours en Bourse.

Le scandale avait été tel qu’en février 2013, le patron de C&K Mining, Deuk Gyun Oh est incarcéré, puis libéré à la fin de septembre 2014. Malgré cela, C&K Mining a réussi à céder la majorité de ses actifs dans ce projet minier à un certain M. Yang, milliardaire d’origine chinoise résidant à Hong-Kong, détenteur d’un passeport américain, à la tête d’un joint-venture entre opérateurs coréens et camerounais. Dans l’affaire, les partenaires coréens, jusqu’ici majoritaires « avec plus de 50% » dans le capital de C&K Mining, n’en contrôlent plus que « moins de 10% », apprend-on. En un an, la junior entreprise minière avait perdu plus des deux tiers de sa valeur. Le Cameroun, détenteur de 35% dans le capital de C&K Mining, venait de se faire berner.

Bauxite de Minim-Martap : une attente d’exploitation qui dure 116 ans

La junior-minière australienne Canyon Resources a obtenu du gouvernement camerounais le 25 février dernier, le renouvellement pour deux années supplémentaires, de son permis de recherche sur les sites bauxitiques de Makan et de Ngaoundal, deux localités situées dans la région de l’Adamaoua, dans le cadre du projet d’exploitation de la bauxite de Minim-Martap. Les recherches sont effectuées sur les différents sites par sa filiale camerounaise Camalco depuis 2018, après que trois permis de recherche lui ont été délivrés par le Gouvernement pour la dernière phase des recherches en vue de l’identification des plateaux bauxitiques dans ces localités. Camalco remplaçait ainsi la Cameroun Alumina Ltd (CAL), une joint-venture entre Hydromine (USA), Dubal Alumina (Emirats) et Hindalgo (Inde), dont le contrat avait été résilié en 2016, alors que celle-ci ne fournissait pas des garanties nécessaires pour mener à bien ce projet.

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Il convient de rappeler que l’entreprise Camalco a déjà identifié 65 plateaux bauxitiques sur les sites de Minim-Martap, de Ngaoundal et de Makan, pour un potentiel de 892 millions de tonnes, après analyse de 16 plateaux seulement. A terme, les quantités du gisement pourraient avoisiner les 2 milliards de tonnes de bauxite, faisant ainsi du gisement camerounais parmi les plus importants au monde, à des niveaux comparables à ceux des plateaux de bauxites de la Guinée qui détient plus de 2/3 des réserves mondiales du minerai. Pour mémoire, le gisement minier de Minim-Martap a été découvert en 1906, à en croire Dynamique Mondiale des Jeunes (DMJ), une organisation de la société civile.

Fer de Nkout : quand le projet de construction de la voie ferrée Mbalam-Kribi réveille le projet d’exploitation

La région du Sud regorge d’importants gisements de fer, parmi lesquels celui de Nkout, un village situé à une trentaine de kilomètres de la localité de Mbalam, et dont on n’en parle pas très souvent. Et pourtant, selon les estimations, il regorge un potentiel de 2 milliards de tonnes de fer extensible à 4 milliards de tonnes, selon la Cameroon Mining Exploration (Caminex), qui détient les permis d’exploration de ce gisement. Il est en outre présenté comme le plus important minerai de fer du pays.

La société Caminex, filiale de la Libyan Foreign Bank, qui a mis en évidence la mine sur ce site depuis quelques années, songe désormais à son exploitation, et a indiqué l’année dernière qu’elle comptait saisir les autorités camerounaises pour signer une convention minière afin de développer ce projet, selon nos confrères de Jeune Afrique. « Nous comptons relancer les autorités camerounaises dans les prochains jours, afin de signer une convention minière avec elles pour le développement de Nkout, dont nous sommes détenteurs du permis d’exploration », avait confié le président de Caminex Elias Pungong dans les colonnes du magazine panafricain.

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L’idée de passer à l’étape de l’exploration du minerai de Nkout est intervenue dans un contexte marqué par la signature du mémorandum d’entente entre le Cameroun, et le consortium Bestway Finance Ltd et AutSino Resources pour le la voie ferrée Mbalam-Kribi, longue de 540km. Une cérémonie à laquelle avait d’ailleurs pris part Elias Pungong. Il est évident que ce chemin de fer construit dans le cadre du projet d’exploitation du minerai de Mbalam, profiterait également pour l’acheminement du fer de Nkout vers le port de Kribi.

Rutile d’Akonolinga : après Free Mining, Gilla et Sicamines, l’espoir qui vient d’Eramet

A l’image d’autres projets miniers répartis sur le territoire national, le projet d’exploitation de rutile d’Akonolinga (sable minéralisé servant à la production de pigments et à la fabrication de peinture ainsi que des  cockpits d’avion à travers le titane qu’il contient)  dans la région du Centre a connu bon nombre de péripéties qui ont considérablement freiné la mise en valeur de ce gisement minier, dont l’exploitation devait faire du Cameroun une place incontournable pour l’approvisionnement en rutile. C’est d’ailleurs cette ambition qui a guidé les différents responsables qui se sont succédé à la tête du ministère camerounais chargé des mines depuis les années 90. Pour ce faire, plusieurs permis d’exploration ont été accordés par le gouvernement à diverses entreprises étrangères spécialisées dans le secteur  minier, dans le but de déterminer avec exactitude le potentiel rutilifère du gisement d’Akonolinga avant d’envisager son exploitation. D’après le Cadre d’appui à l’artisanat minier (Capam), programme du gouvernement destiné à encadrer les exploitants miniers artisanaux, Free Mining a exploré ce gisement en association avec la compagnie américaine Gilla. Le permis d’exploration qui leur avait été attribué leur a par la suite été retiré au profit de la société anglaise Sicamines, sans en préciser la cause. La nouvelle entité a effectué des sondages intéressants dans les alluvions du Nyong. Cependant, elle a dû interrompre les travaux à cause de la crise financière internationale de 2008.

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Ces campagnes préliminaires d’exploration minière ont permis d’identifier un fort potentiel en rutile estimé à 3 millions de tonnes selon le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE). Des chiffres que tend à confirmer la société française Eramet qui a achevé la phase  d’exploration du même bloc rutilifère en 2022, conformément au permis d’exploration qu’elle a obtenu en 2019. Leader mondial des métaux d’alliage, notamment le manganèse et le nickel, avec un chiffre d’affaire de plus de 3 milliards d’Euros en 2017, Eramet entend (au terme des négociations engagées avec le gouvernement) lancer l’exploitation du gisement de rutile d’Akonolinga en 2025. 

Or de Bibemi et Wapouze : la fin de la phase d’exploration toujours attendue

En 2020, le gouvernement a décidé de renouveler pour une durée de deux ans, les permis d’exploration que détient Oriole Ressources  sur les projets aurifères de Bibemi (177 km2) dans la région du Nord, et Wapouze (1362) localisé dans la même région, à 20 km du premier gisement. D’après un communiqué publié par London Stock Exchange en 2020, il s’agissait à l’époque de la 3e prorogation de permis pour le projet de Bibemi. Quant au second projet, c’était sa deuxième prorogation. Ce dénouement heureux a poussé la compagnie minière britannique à annoncer d’importants travaux de forage tout au long du nouveau bail qui lui a été accordé.

Il s’agissait notamment d’un programme de forage de 3 000 m à Bibemi. «Le forage se concentrera particulièrement sur les filons empilés récemment identifiés à l’extrémité nord de la cible de 5,3 kilomètres (‘km’) de la ‘Zone 1’, où l’échantillonnage a rapporté jusqu’à 35,86 grammes par tonne (‘ g/t’) d’or (‘ Au’) provenant d’un échantillonnage de copeaux de roche et d’une meilleure intersection de tranchées de 9 m à 3,14 g/t», indiquait l’entreprise il y a presque 2 ans. Et d’ajouter qu’en plus «de préparer le programme de forage, Oriole va entreprendre une cartographie plus détaillée (échelle 1:2 000) le long de la direction à Bakassi au nord-est. Ces travaux devraient permettre d’identifier d’autres cibles de forage pour soutenir le programme total de 3 000 m. À ce jour, la Société a complété trois phases de forage pour 6 154,10 m dans 49 trous et continue d’empiler les données pour une évaluation concrète du potentiel de ce gisement.

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Du côté de Wapouze, moins avancé que Bibémi, l’entreprise britannique travaille encore à faire passer le gisement au statut d’actif prêt à être foré. Le directeur général Tim Livesey a tout de même indiqué que les récents résultats obtenus indiquent de fortes probabilités de minéralisation dans les localités de Bataol et de Bidzar. Au rythme où vont les travaux, l’on est en droit de se demander si l’on ne se dirige pas vers une énième prorogation. Malgré cette situation inquiétante, les investisseurs continuent de faire confiance à Oriole Ressources. Elle d’ailleurs financé l’ensemble des travaux sus-évoqués grâce à une levée de fonds de près de 2 millions de dollars.

Projet minier de Mbalam :15 années de promesses

Le projet minier du fer de Mbalam est situé dans le Sud Cameroun, à environ 300 km à l’est-sud-est de la ville de Yaoundé. Identifié depuis les années 1980, la junior australienne Sundance Resources saisit le gisement en mars 2006. Au départ, elle annonce qu’elle a acquis 100% d’intérêts dans Cam Iron, une compagnie camerounaise détenant le permis EP92 couvrant une zone de 875 km2 dans la province de minerai de fer de Mbalam.

Force est de constater qu’en plus de 15 ans pas un seul gramme de fer n’a été produit à Mbalam. Sundance Resources pendant tout ce temps a échoué à trouver les bons partenaires et faire entrer en production le projet Mbalam-Nabeba. En mai 2008, elle déclare à Mbalam une ressource minérale inférée de 190 millions de tonnes, ce qui pousse à lui accorder une prolongation de 2 ans de son permis.

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Suite à la signature de son accord-cadre avec le Cameroun, Sundance fait alors une première estimation de ressource pour le gisement adjacent qui se trouve au pays voisin, le Congo en juin 2010 pour une production annuelle de 35 millions de tonnes en plus de 25 ans. La même année, Sundance conclut des protocoles d’accords avec China Harbour Engineering Company qui, en 2012 tente de racheter Sundance pour 1,65 milliard de dollars australiens. L’annulation de l’accord de rachat avec Hanlong a porté un sérieux coup à la dynamique du projet.

Après plusieurs tentatives de recherches de financement par Sundance, l’Australien AustSino rachète Sundance pour 58 millions $. Alors que les espoirs de voir Sundance se sont affaiblis au fil des ans, le Cameroun frappe à d’autres portes et annonce un consortium de cinq sociétés d’Etat chinoises pour lancer le projet Mbalam.

Le 25 février dernier, Ferdinand Ngoh Ngoh relevait dans une correspondance que l’exploitation du gisement de fer de Mbalam, detenu par les chinois AutSino et Bestway pourrait intégrer un consortium plus grand avec cinq autres opérateurs : Yiantian Port, China Railways Corporation Co, Metallurgical Construction Corporation, China Baowu Steel Group, Shanghai Tsingshan Mineral. Le duo chinois qui semble être en état de grâce auprès des autorités camerounaises, devrait donc avoir du potentiel pour transformer le secteur minier camerounais.

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