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Exportations de bois : quand l’illégalité prend corps

Entre failles des systèmes de contrôle, corruption et l’inondation du marché par du bois illégal, rien ne semble freiner les exploitants véreux dans leurs activités.

L’administration camerounaise semble pourtant bien décidée à en finir avec le phénomène des exportations illicites de bois d’origine Cameroun. Du moins si l’on s’en tient à l’actualité nationale marquée par de récurrentes annonces de projets s’y rapportant. La dernière en date porte sur le lancement, par la Direction générale de la Douane, de l’opération Filttre (Fight illegal timber trade export) le 10 septembre dernier. Laquelle se veut être un nouveau dispositif de  contrôle de la régularité des opérations de commerce extérieur du bois. Si la saisie d’importants volumes de bois illégal ou encore la suspension d’entreprises se livrant à l’exploitation forestière illégale est aujourd’hui monnaie courante dans l’espace médiatique, force est de constater que le phénomène en lui-même ne s’amenuise pas.

 Les insuffisances notées sont très souvent attribuées aux faibles ressources dont disposent les délégations régionales des Forêts et des Faunes pour faire face au phénomène. Le manque de formation des acteurs de la chaine de contrôle est l’une des raisons également évoquées par les autorités pour justifier le faible impact des politiques mises sur pieds pour la lutte contre l’exportation. Des ateliers, séminaires et colloques de renforcement de capacité des agents publics se multiplient désormais à tous les niveaux de l’administration pour résoudre ce problème.

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Fausse note

Toutes ces raisons ne laissent finalement que très peu de place aux combats réels qui devraient être menés pour assainir le secteur bois au Cameroun. Notamment ceux relatifs à la fin fraude, de la corruption et du trafic d’influence au sein de l’administration et des services de la douane. Lesquelles tares sont encore à l’origine de l’embarquement d’importants stocks de bois non déclarés ou sous-évalués au Port autonome de Douala. Par un jeu obscur d’enveloppes avec des agents de la douane, des exportateurs de bois se livrent très souvent à des fraudes sur le volume, le gabarit  et les essences de bois au moment de déclarer leurs cargaisons.

Toutes choses qui ont un impact direct sur la tenue statistique des opérations liées à ce secteur d’activité. Contacté par Eco Matin, le Centre pour l’environnement et le développement (CED) l’écart important existant entre les chiffres déclarés par la Douane et ceux des pays consommateurs du bois camerounais. Bien que les autorités nationales relaient quelques chiffres sur l’exportation illégale de bois, très peu d’informations sont disponibles sur les pertes financières que cela induit pour le Cameroun. L’on apprend de l’Institut national de la statistique que le bois scié a représenté 7,0% du commerce extérieur en 2019 contre 3,6% des grumes. Dans son rapport sur le commerce extérieur 2019, l’INS révèle une chute des grumes de bois de 121 210 à 85 790 mètres cube entre 2018 et 2019. A l’opposé, les ventes de bois scié ont augmenté de 157 804 à 167 593 mètres cube sur cette période de même que les contre-plaqués (1666 à 1827 mètres cube) et les placages (24 071 à 23 525).

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Pour la société civile, les statistiques réelles sont plus importantes. Au terme d’une compilation de données de production et de commercialisation du secteur forestier collectées auprès de réseaux internationaux de surveillance, le CED évalue à 554 520 mètres cube le volume de grumes d’origine Cameroun, 813 509 mètres cube de bois débités et plus de 80 000 mètres cube de feuilles de placage et de contre-plaqués.

A l’origine du phénomène

Les exportations illégales de bois peuvent être vues sous l’angle de stocks embarqués mais sous évalués ou alors non contrôlés. Elles découlent également d’un processus d’exploitation illégale des forêts. Là-dessus, les profils des opérateurs véreux est changeants avec d’un côté, des structures ne possédant aucune licence d’exploitation, des entreprises ayant des autorisations mais qui se livrent à des exploitations au-delà des limites qui leur sont attribuées. D’autres encore facilitent le transport du bois illégal en prêtant leurs titres à des faux exploitants. Plusieurs  unités de transformations de bois ont souvent été liées à la prise en charge de cette ressource illégale.

La fraude dans le domaine de l’exploitation semble avoir une longueur d’avance sur les mécanismes de contrôle existants ou tout du moins s’en accommode. Les bois exploités dans les unités doivent traverser une chaine de contrôle de conformité (éco-gardes ; délégation départementale, brigade régionale) qui intervient depuis les unités forestières aménagées avec la surveillance du maquettage des grumes jusqu’à la destination de la cargaison avec le contrôle des titres de transport dans chaque localité située sur l’itinéraire. Tout cela semble insuffisant pour freiner le traffic des essences, de fortes sommes d’argent pouvant atteindre des millions de Francs CFA aidant.  

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Les opérateurs bénéficient de complicités au niveau des populations très souvent démunies, des autorités traditionnelles et administratives, des élites des villages et de hautes personnalités de la République, a-t-on appris. Si les élites jouent très souvent le rôle de facilitateurs auprès de la population, les chefs de villages et les préfets eux sont régulièrement accusés de faire avorter les concertations devant assurer les intérêts des populations face aux opérateurs.

L’activité illicite d’exploitation touche presque toutes les unités forestières aménagées (UFA), les forêts communautés et même les réserves du Cameroun. Près de 800 000 mètres cube de bois échappent ainsi à la vigilance des autorités pour des surfaces déboisées de plus de 22 millions d’hectares. La région du Littoral figure parmi les bassins forestiers victimes d’exploitation illégale. Près de 5 000 mètres cube de bois y ont saisis  courant 2019, dans les départements de la Sanaga maritime, du Nkam et du Moungo. Les estimations portent à plus de 130 milliards de Francs  le manque à gagner du Cameroun chaque année. Pour la société civile, ce montant pourrait ne constituer qu’une goutte d’eau dans la mer. Ces estimations ne tenant pas en compte les exportations non chiffrées du Cameroun en direction du Tchad, du Sénégal, l’Arabie Saoudite. A cela s’ajoute un impact environnemental et des enjeux importants pour la survie des populations riveraines et des activités de braconnage. Lesquels induisent des coûts non estimées à ce jour.  

Tableau : La destination du bois camerounais

Pays/année2015201620172018total
Chine4526013976365917433820904510130
Vietnam2437562339262760212905781851696
Italie112846317779010256291861
Turquie149169030525911478208535
France7468818941707468154486
Inde66690201811162659700311324
Maroc1471365567147169990
Allemagne169  16933844
Belgique527361695188527344670
Portugal23941769863239426827
Autres57357534106091657332542159
Total8633797369929641438282098045522
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