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Fer de Lobe : les détails de la convention entre le Cameroun et Sinosteel

Revenus fiscaux réels, régime d’imposition, clé des répartitions des dividendes, partage de production, transformation locale du minerai de fer enrichi et d’autres pans du contrat conclu entre Sinosteel et l’Etat ont été révélés il y a peu. Retour sur les grands axes de ce document qui retrace les droits, devoirs et obligations des parties à la lumière du code minier du 14 décembre 2016 et zoom sur les points polémiques.

La polémique avait assez duré. Acculé, pressé, poussé dans ses derniers retranchements, le ministère des Mines, de l’Industrie et du développement technologique a cédé à la pression populaire pour enfin livrer les détails de la convention minière signée le 6 mai 2022 entre l’Etat du Cameroun et la société chinoise Sinosteel représentée par sa filiale locale Sinosteel Cam. Le gisement de ce minerai de fer est situé dans la Lobe, plus précisément dans les monts Mamelles et regorge de 632 millions de tonnes de fer d’une teneur brute de 33%. La compagnie chinoise entend en extraire 10 millions de tonnes chaque année.

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Dans sa phase de développement, peut-on lire dans la convention, le projet vise la mise en place d’une usine de production devant enrichir le minerai extrait à plus de 60% afin de disposer annuellement de 04 millions de tonnes de minerai de fer enrichi ; la construction d’une unité d’enrichissement de fer ainsi que d’un pipeline en vue du transport du minerai enrichi au quai minéralier de Mboro au port de Kribi. Cette infrastructure et bien d’autres permettant la commercialisation du minerai à l’international seront également érigées par l’investisseur chinois pour un montant de 425 milliards de Fcfa.

S’agissant du délai de la convention, elle a, à la lecture de l’article 4, « une durée initiale de 20 ans à compter de la date d’attribution du permis d’exploitation». Au-delà du renforcement du tissu industriel et de la contribution à l’équilibre de la balance commerciale, le projet va générer 600 emplois directs et 1000 autres indirects. Les entreprises opérant dans la métallurgie et de la sidérurgie au Cameroun bénéficieront des dispositions de la loi afin de produire localement à partir de la matière première produite à Lobe, du fer, de la fonte, de l’acier et des alliages ferreux au profit de l’économie nationale.

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Car, à l’article 6, il est prévu que l’opérateur chinois mette 15% de la production à la disposition du marché national au prix de référence à l’international. «Avec une demande nationale estimée entre deux et trois millions de tonnes d’acier, de fonte, de fer ou d’alliages ferreux, pour les besoins de son industrialisation, le Cameroun aura besoin d’au moins deux millions de tonnes d’acier par an pendant les 30 prochaines années. L’importation de cet acier devrait coûter chaque année à notre pays 2500 milliards de FCFA, soit 75.000 milliards de FCFA sur 30 ans. La production de ces métaux localement permettra donc de réduire les importations sinon de les stopper et d’équilibrer la balance commerciale à ce niveau », éclaire un expert des questions minières.

Les Camerounais devraient également bénéficier d’un programme de formation qui les capacitera dans les métiers de la mine. Ce programme de formation et de mise à niveau permettra de camerouniser les postes à long terme et de bénéficier d’une expertise locale à terme pour de futurs chantiers de même envergure.

S’agissant des droits et obligations des parties, Sinosteel qui va bénéficier d’exonérations douanières diverses, s’acquittera des droits fixes, des redevances superficiaires et des redevances proportionnelles ainsi que des frais d’études non remboursables. Au-delà, assure le ministre des Mines, Gabriel Dodo Ndoke, «l’exploitation de nouveaux gisements permet à l’État d’engranger un certain nombre de revenus fiscaux à travers la taxe ad valorem, l’impôt sur les sociétés. Car, il n’y a pas un régime dérogatoire. Il paiera les impôts spécifiques en même temps que les impôts de droit commun. Il y a une part pour le compte spécial de développement des capacités locales (0,2% du chiffre d’affaires, NDLR) qui devra être également payée par l’entreprise».

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De plus, il y a, assure le ministre, « une part au titre de la taxe à l’exportation de produit minier qui devra être payée en passant par la douane, une part au titre de droit de la concession domaniale , une part de distribution de dividende entre l’État du Cameroun et l’entreprise Sinosteel parvenu au stade de production bénéficiaire». En d’autres termes, au titre de la taxe ad valorem qui représente la valeur du minerai de fer lors de son extraction, le Cameroun reçoit 23 milliards de Fcfa par an, soit 460 milliards de Fcfa sur 20 ans. Les autres taxes, la redevance superficiaire et la redevance proportionnelle qui comprend la taxe à l’extraction et la taxe ad valorem, etc., constituent des postes de recettes encadrées par le code minier du 14 décembre 2016. Ainsi par exemple, au sens de cette loi, la redevance superficiaire est de 100 000Fcfa le kilomètre carré par an. Le site de Lobe étant étendu sur 138,5 km2, l’Etat percevra 277 millions de Fcfa sur les 20 premières années et 800 millions de Fcfa au titre des droits de concession sur la même période.

Au-delà de la polémique, l’épreuve des réalités

D’après le ministre des Mines, Gabriel Dodo Ndoke, la convention signée entre l’État du Cameroun et l’entreprise Sinosteel ne déroge pas au principe du respect de la loi, s’agissant des conditions de négociations et de signature des contrats miniers. Elle est « le fruit de la transcription de cette loi, le fruit d’une réflexion et d’une négociation qui a impliqué pour la partie camerounaise, multiples administrations qui ont chacune contribué, dans leurs domaines, à rendre cette convention intelligente et parfaite».

A la lecture des textes, l’on pourrait effectivement accorder le bénéfice du doute au ministre aucune œuvre humaine n’étant parfaite. Car, sur les chiffres polémiques avancés ici et là, le ministre tempère en disant que Lobé est un petit gisement. Car, la réserve de la Lobe est de 632 millions de tonnes d’une teneur de 33%, qui seront enrichies à plus de 60%. « Dans l’ordre de grandeur, comparé à d’autres gisements dans le monde, parvenu au traitement de ce minerai, les quantités mises en valeur et qui vont être commercialisées seront justes ramenées vers le bas. Il est prévu une production de 10 millions de tonnes par an. Les 10 millions de tonnes nécessitent d’être enrichies pour ramener la quantité à un peu moins de 4 millions de tonnes par an», explique le ministre.

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Ce que contestent nombre d’experts miniers. «Dans la métallurgie du fer, un minerai ayant une teneur en fer de 60% est considéré comme exceptionnel… Alors qualifier de « petit gisement» un gisement de fer qui, pendant plus de 60 ans,  produira chaque année cinq millions de tonnes de minerai ayant une teneur en fer de 66%, est dans le meilleur des cas une fourberie », s’insurge un expert des questions minières.

La loi camerounaise, se défend le ministre, prévoit d’autres mécanismes qui permettent à l’Etat de bénéficier de revenus additionnels qui gonflent sa cagnotte. Ainsi par exemple, le partage de production se fera à 10% des proportions des marges bénéficiaires de l’entreprise portée par la Sonamines dans chaque société minière. En plus de cette part qui reviendra à l’État du Cameroun, assure-t-il, « nous sommes allés au-delà de la loi pour convaincre notre partenaire de laisser au titre du partage de production du minerai enrichi, une partie que commercialisera directement la Société nationale des mines».

Mais quand on sait que la taxe ad valorem est fixée au taux de 5% de la référence du cours international du minerai de fer, le pays ne devrait pas engranger grand-chose. Car si la tonne de minerai de fer est pondérée à 151 dollars au 30 avril 2022, soit 95 000 FCfa au taux de change de 634 FCfa pour un dollar, le pays ne tirera que 4750 FCfa. Pour 10 millions de tonnes non enrichies, cela fera 47,5 milliards de Fcfa par an. Or, explique un expert, le même minerai enrichi à plus de 60% rapportera 2000 dollars la tonne soit 1,3 million de FCFA.

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Mais pour Dieudonné Essomba, la mine industrielle est un domaine complexe qui exige des préalables pour un pays comme le Cameroun. «Il faut déjà évaluer un certain nombre d’indicateurs qui ne sont pas à la portée du Cameroun parce que les capitalistes chinois investissent de la technologie, des fonds et une expertise. Il faudrait donc d’abord évaluer les implications de l’investissement chinois et des gains du Cameroun avant tout débat», souligne-t-il.  

Pour taire la polémique sur les bénéfices réels qu’auraient pu engranger le pays dans cette opération, nombre d’experts appellent à plus de vigilance. Car, les capitalistes chinois ayant engagé des fonds dans l’exploration et l’exploitation, les bénéfices correspondent aux ventes auxquels sont soustraits les frais d’exploration et d’exploitation notamment les infrastructures, la main d’œuvre, les impôts, taxes et autres droits autres. Cela représente de l’avis de responsables du ministère des Mines, plus de 48% de tout le bénéfice réalisé par l’exploitation de la mine sans que le Cameroun ne dépense le moindre centime. «Dire que le pays brade son sous-sol, c’est trop facile ; avec près de 48% des bénéfices qui reviennent à l’Etat sans mobiliser de ressources financières et technologiques pour porter le projet, ce n’est pas donné», assure-t-on au ministère des Mines.

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S’agissant de la taxe ad valorem sa moyenne en Afrique est de 3,5%  alors que le Cameroun la hisse à 5% ; de plus, les impôts de droit de commun n’excèdent pas 25% sur le continent tandis qu’au Cameroun ils culminent à 33%. Mais des cadres du ministère des Mines estiment que le pays aurait dû mobiliser des ressources et imposer la transformation locale de l’acier pour le bénéfice des entreprises et du marché national. «Cela aurait eu plus d’impact budgétaire, créer davantage de valeur ajoutée en plus du transfert technologie qu’il faut renforcer en même temps que le suivi des ressources fiscales », pense un fin connaisseur du dossier.

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