Politiques Publiques

Financement des partis: Comment les candidats jouent avec la loi

Face à l’interdiction de financement privé, certains candidats à la présidentielle 2018 ont trouvé des subterfuges pour contourner les contraintes légales. Des associations « écrans » permettent de « blanchir » le produit de la levée de fonds organisée à travers le monde.

Déploiement des bénévoles, production des supports de communication, charges liées aux déplacements de la campagne, pour réaliser son ambition présidentielle, Cabral Libii a besoin d’au moins 200 millions de FCFA ; un milliard de FCFA pour son concurrent Joshua Osih. Aucune estimation n’est faite par les autres candidats mais comme dans bien des secteurs d’activité, l’argent semble être le nerf de la guerre au cours de cette campagne électorale. Face à un autofinancement manifestement insuffisant, les candidats ont opté pour un financement  participatif avec des levées de fonds et appels aux dons au Cameroun et à l’étranger. Plateforme numériques, applications mobiles, interfaces de paiement électronique, virements bancaires, tous les outils technologiques sont mis à contribution pour rassembler leur trésor de guerre

Le problème, c’est que la loi interdit aux partis politique de recevoir « des subsides et des financement  provenant de personnes, d’organisations, de puissances étrangères et/ou d’Etat étranger » et le texte qui précise les modalités de financement  privé des partis politiques et des campagnes électorales, n’est pas encore promulgué. Les candidats à la présidentielle d’octobre 2018 sont donc pris entre le marteau en l’enclume. Les neuf postulants doivent donc déborder d’ingéniosité pour venir à bout de la double contrainte que leur impose la loi, s’ils veulent trouver les financements nécessaires à leurs projets présidentiels.

Dans une publication sur sa page Facebook le 10 septembre 2018, Joshua Osih indique aux potentiels donateurs que «les envois par mobile money sont associés au compte «Association des amis et enfants du Cameroun.» » Le SDF dont il est le candidat n’apparait nulle part dans la transaction. Pour Cabral Libii, c’est son mouvement « 11 millions de citoyens» qui est le bénéficiaire de la collecte des fonds. Ainsi, « 11 millions de citoyens France » devrait reverser son produit à « 11 millions de citoyens », association de droit camerounais, qui peut donc financier  la campagne de son candidat, en toute « légalité ». Il fallait juste y penser, dirait-on… Les autres partis politiques en course ou leurs états-majors ne se sont pas donné autant de peine pour respecter  la loi. Au MRC par exemple, les dons sont directement envoyés au parti

Désenchantement

Intervenant au Journal Afrique de la chaine internationale TV5 Monde, le 9 septembre dernier, Cabral Libii a semblé bien optimiste par rapport à sa levée de fonds. « Pour être candidat, vous avez réuni 30 millions de FCFA de caution bancaire et pour cela vous avez lancé un appel au peuple (…) est-ce que vous avez également reçu de l’argent des grandes entreprises ou de riches mécènes ?», lui a-t-on demandé. « Jusqu’ici, pas encore et nous espérons que cela ne saurait tarder parce qu’effectivement nous avons entrepris une opération d’intéressement des grandes entreprises par notre projet économique (…) il y a déjà des échanges avec des groupes économiques dans le sens de soutenir l’action politique (…). »

Toutefois, le réveil pourrait être brutal pour les uns et les autres. Nourrissant les mêmes espoirs de financement  privé lors de la présidentielle 2011, John Fru Ndi qui tablait sur un budget de 2 milliards de FCFA avait vite déchanté. Son directeur de campagne d’alors, Josuah Osih, cité par RFI, expliquait qu’«aucune grande entreprise ne se risque à financer  notre campagne. Ils ont trop peur d’avoir des problèmes avec les impôts en représailles». Dans ces conditions, le financement  public reste la seule certitude.

Financement public certain mais modique

Malgré les levées de fonds en cours, l’argent ne court pas les rues dans les partis qui veulent placer leur candidat à la place le Paul Biya à Etoudi. À Douala, le président régional du SDF, Jean Michel Nitcheu a annoncé le 10 septembre dernier que les contributions se situaient autour de 15 millions, sur un budget de 53 millions nécessaires pour les besoins de la campagne de Joshua Osih dans la région du Littoral. A cette allure, le financement public apparait comme une bouée de sauvetage.

Si le gouvernement alloue aux candidats cette année la même enveloppe qu’à la présidentielle de 2011, les neuf prétendants en course auront à leur disposition 690 millions de FCFA. Selon le Code électoral, ce financement t doit être divisé en deux tranches égales. La première est à repartir à parts égales et versée aux candidats avant le scrutin. Tous calculs faits, Paul Biya et ses huit challengers devraient donc recevoir chacun plus de 38 millions de FCFA. En 2011, chacun des 23 candidats s’en était tiré avec 15 millions pour la première tranche.

Le hic, c’est que la loi ne précise pas de délai pour le versement de ce financement t. Résultat, il arrive souvent que les candidats le perçoivent bien après le début de la campagne électorale… Le 29 septembre 2011, Olivier Bile, candidat à la présidentielle, dénonçait le fait que le financement  public prévu par la loi pour la campagne électorale, n’était pas encore disponible, une semaine après son lancement. « En 2004 alors que j’étais directeur de campagne d’un parti politique, c’était toujours la même chose » avait-t-il rappelé.

Au-delà de la mise à disposition des fonds publics, sa consistance reste sujette à caution. En 2011, le SDF avait ainsi refusé sa quote-part. «La somme de 15 millions de FCFA ne vaut absolument rien pour une campagne présidentielle. Le pouvoir en place nous donne cette somme pour nous ridiculiser. C’est pourquoi nous la remettons à un huissier qui va le servir lundi matin au trésorier payeur général (…) Nous comptons sur des âmes de bonne volonté et sur nos militants pour les fonds nécessaires à la poursuite de notre campagne présidentielle», avait expliqué Josua Osih, alors directeur de campagne de John Fru Ndi

Lire aussi : Financement des partis: Comment les candidats jouent avec la loi

Ce que dit la loi sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales

Article 275.- (1) Les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage

(2) A ce titre, ils peuvent bénéficier  du financement  public dans le cadre de leurs missions suivant les modalités fixées  par la présente loi.

Article 276.- (1) Le financement  public concerne aussi bien les dépenses couvrant les activités permanentes des partis politiques que celles consacrées à l’organisation des campagnes électorales et référendaires

(2) Les fonds provenant du financement  public sont des deniers publics.

(3) Le financement  public dont bénéficient  les partis politiques ou les candidats ne peut être source d’enrichissement personne

Article 277.- (1) Il est institué une commission de contrôle, habilitée à vérifier  sur pièces que l’utilisation, par les partis politiques ou les candidats, des fonds à eux alloués est conforme à l’objet visé par la présente loi. (2) Les partis politiques ou les candidats bénéficiaires  d’un financement public ont l’obligation de tenir une comptabilité y afférente.

(3) L’organisation, la composition, les attributions et les modalités de fonctionnement de la commission visée à l’alinéa 1 ci-dessus sont fixées  par décret du Président de la République.

Article 278.- (1) Il est interdit à un parti politique de recevoir des subsides et des financements  provenant de personnes, d’organisations, de puissances étrangères et/ou d’Etat étranger. (2) Un texte particulier fixe  les modalités de financement  privé des partis politiques et des campagnes électorales et référendaires.

Article 284.- (1) L’Etat participe au financement  des campagnes électorales et référendaires par la prise en charge de certaines dépenses des partis politiques ou des candidats. (2) La participation de l’Etat aux dépenses visées à l’alinéa 1 ci-dessus est inscrite dans la loi de financement  de l’année de l’organisation de la consultation électorale ou référendaire.

Article 286.- (1) En cas d’élection présidentielle, les fonds publics destinés au financement  de la campagne électorale sont répartis en deux (2) tranches d’égal montant aux candidats, ainsi qu’il suit :

– la première tranche est, après la publication de la liste des candidats, allouée sur une base égalitaire aux différents  candidats

– la deuxième tranche est, après la proclamation des résultats, servie proportionnellement aux résultats obtenus, aux candidats ayant obtenu au moins 5% des suffrages  exprimés. (2) Est tenu de reverser au Trésor Public la totalité de la somme reçue au titre de la première tranche visée à l’alinéa 1 ci-dessus:

– tout candidat qui se désiste avant le scrutin ;

– tout candidat qui ne participe pas effectivement  à la campagne électorale.

Source : Loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code Electoral, modifier  et complétée par la loi n°2012/017 du 21 décembre 2012

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