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Fuites des capitaux : alerte autour d’un déficit sur les réserves de change de la Beac

Même si ce manque à gagner n’influe pas de manière significative sur l’encours global de ses avoirs extérieurs, la banque centrale a engagé un contrôle au terme duquel les responsables seront sanctionnés.

Un vent de panique souffle depuis quelques semaines sur le toit des assujettis à la réglementation des changes de la Banque des Etats de l’Afrique centrale(Beac). La raison ? L’institut d’émission commune aux six Etats de la Cemac (Gabon, Congo, RCA, Tchad, Guinée Équatoriale, Cameroun) a lancé depuis le début du mois de mars 2021, un processus d’apurement de domiciliation des importations des biens et services. Concrètement, la Banque centrale demande à tous les agents économiques résidents (personne physique ou morale ayant sa résidence habituelle ou son centre d’intérêt économique prédominant dans la Cemac) ayant fait sortir des devises pour importer des biens et services, de fournir les preuves que ceux-ci sont réellement arrivés dans la sous-région, au prorata des devises débloquées. À travers cette opération de contrôle, la Beac espère mettre la main sur les opérateurs qui sont à l’origine du déficit de la balance courante au cours de l’année 2020. Si les chiffres ne sont pas précisés dans les correspondances de la Beac que EcoMatin a consultées auprès de certains opérateurs économiques, l’on sait tout de même que ce déficit a entraîné une réduction du taux de couverture de la monnaie de 5 à 10 points.

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A priori, il s’agit d’un gros manque à gagner pour la sous-région qui se voit privée d’une importante quantité de devises, et ce, sans contrepartie. Mais cela est loin de pouvoir dégrader le niveau des réserves extérieures de la Banque centrale qui au premier semestre 2020 ont atteint 5 152 milliards de FCFA soit une hausse de 20 % en glissement annuel.

Néanmoins, la Beac vise surtout à faire appliquer le règlement portant réglementation des changes dans la Cemac. Le texte adopté en 2018, oblige les entreprises exportatrices à rapatrier et céder au moins leurs devises contre du FCFA. « L’exportateur dispose d’un délai maximum de 150 jours, à compter de la date effective de l’exportation pour encaisser et rapatrier le produit des exportations résultant des ventes fermes » précise l’article 55 du règlement portant réglementation des changes dans la Cemac.

Apurement

Consacré, par l’instruction n°007/GR/2019, l’apurement des dossiers de domiciliation consiste pour les opérateurs à réunir dans les délais (03 mois pour l’importation des biens et 1 mois pour les services), les différents documents nécessaires à la clôture des opérations d’importations. Il s’agit entre autres de la quittance de paiement des droits et taxes de douanes, la facture définitive, le connaissement, le procès-verbal de recettes provisoires, etc. Des documents mis à la disposition des banques commerciales auprès desquels sont domiciliés les comptes des opérateurs. En cas d’impossibilité d’apurement, la banque met en demeure son client et en informe la Beac, qui se charge d’appliquer les sanctions prévues pour défaut d’apurement. « En dehors des sanctions, la Beac va prélever ces devises sur les comptes de ces entreprises lors de leurs prochaines opérations » explique une source à la Beac. À cette vague de sanctions qui s’annonce, les établissements de crédits ne sont pas exempts. Ceux ayant fait preuve de légèreté dans le contrôle des opérations n’échapperont pas aux sanctions de la Banque centrale.

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Depuis l’annonce de cette opération de contrôle, chacun des acteurs s’active pour essayer d’obtenir un moratoire auprès de la Beac. « Les banques du Cameroun, du Tchad et de Guinée Équatoriale ont écrit à la Beac pour demander un moratoire dans la livraison de ces documents. Pourtant, à première vue, ce ne sont pas elles qui sont visées. Elles savent tout de même que ces fuites de capitaux peuvent avoir été le fait d’une légèreté de leur part et donc elles sont responsables de la situation.» Explique notre source à la Beac.

Turcs, chinois et indonésiens dans le collimateur

Si pour l’instant les responsables de ce déficit n’ont pas encore été identifiés, les supputations vont bon train à la Beac. Et les premiers pistent laissent penser à des opérateurs étrangers installés dans la sous-région. « Nous avons identifié une forte clientèle d’établissements souvent d’origine chinoise, Turc et indonésienne où il y a des fonds sur plusieurs motifs et où nous pensons que l’entrée des marchandises, mais seuls les résultats des enquêtes que nous menons pourront nous en dire plus » explique notre source.

Les bons points de la règlementation des changes

C’est une belle performance à mettre à l’actif de la Banque des Etats de l’Afrique centrale(Beac). En 2019, l’institut d’émission monétaire a perçu 6 201 milliards de F CFA au titre des devises rapatriés. Un montant qui est en hausse d’environ 89% par rapport à 2018. A cette période, les banques commerciales en activité dans la sous-région avaient remis à la banque centrale pour 3 277 milliards de FCFA de devises. Mieux encore, les rétrocessions des banques se chiffrent à 4 182 milliards de F CFA à la fin entre janvier et juin 2020, soit près du double du montant perçu au cours de la même période en 2019(2 167 milliards de F CFA). Par ailleurs, ce niveau représente 127% du total des montants rétrocédés en 2018 et 67% du total de 2019. « Ces résultats remarquables sont imputables aux activités de contrôle sur pièce et sur place menées par la Beac depuis le début de l’année 2020 et des sanctions appliqués aux contrevenants » explique la Banque Centrale dans un communiqué.

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A l’origine de cette embellie, le règlement no02/18/Cemac/Umac/CM du 21 décembre 2018 portant règlementation des changes dans la zone Cemac (« Le nouveau règlement »). En vertu de cette législation, les établissements de crédits sont tenus de rétrocéder à la Banque centrale, par l’entremise de leurs correspondants étrangers, au moins 70% des devises issues de l’ensemble des opérations internationales effectués de la Cemac vers l’étranger. Les 30% restants sont destinés à couvrir les besoins courants des établissements de crédits. « Les devises visées par l’article 37 du présent règlement concernent notamment les recettes d’exportations des biens et services, les emprunts, les avances en comptes courants, les revenus, les dons, les investissements directs ou de portefeuille ainsi que les transferts sans contrepartie » indique l’article 39 du nouveau règlement.

Position extérieure

Dans le fonds, cette réforme du régime juridique des changes vise à favoriser la reconstitution des réserves de change des Etats membres, limiter les transactions illégitimes, garantir la rétrocession par les banques de leurs avoirs, veiller au rapatriement des recettes d’exportations et renforcer les pouvoirs de la Beac et de la Cobac en matière de suivi et d’exécution des sanctions. D’après la Beac, la hausse des rétrocessions soulignée plus haut a positivement impacté les réserves de change de la communauté qui se sont établies à 4348 milliards de FCFA en 2019, contre 3 777 milliards un an plus tôt. Au 1er semestre 2020, ces réserves ont atteint 5152 milliards de F CFA, soit une hausse de 20,5% du niveau des avoirs extérieurs enregistrés au 30 juin 2019. Pour atteindre de telles performances, la banque centrale a dû mettre en place d’un système de « reporting quotidien » de suivi des obligations des assujettis en termes de rapatriement et de rétrocession des devises. « Ce dispositif est en cours d’amélioration par le développement d’une application dédiée au traitement des transferts et au suivi du respect des dispositions de la règlementation de change » indique la banque centrale.

Afin d’assurer le suivi des opérations transfrontalières effectués par les banques commerciales, l’institut d’émission annonce avoir mis sur pied l’outil Swift Scope depuis mars 2019. « La Beac peut ainsi renforcer la surveillance des violations aux dispositions règlementaires, notamment celles relatives aux obligations de rapatriement et de rétrocession ».

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