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Gestion des finances publiques : les textes organiques illégaux de la SNH

En violation du nouveau régime financier de l’État, la Société nationale des hydrocarbures a été érigée en Trésor public bis.

Les textes organiques de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) la consacrent comme caisse noire de la République. Selon l’article 2 du décret du 9 juillet 2019 la transformant en société à capital public, la SNH est notamment habilitée « à accomplir en rapport avec le ministère en charge des finances, toutes transactions financières ». Cette précision anodine formalise le statut de Trésor public bis que l’entreprise a toujours joui depuis sa création en 1980. En effet, comme témoigne notamment l’ancien secrétaire général de la présidence de la République du Cameroun et président du conseil d’administration de la SNH entre 2002 et 2006, Jean-Marie Atangana Mebara, « une partie des recettes provenant de la part de pétrole de l’État est conservée dans des comptes de la SNH dans les banques, au Cameroun et à l’étranger ».

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Dans son ouvrage « Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités », cet ancien ministre affirme que ces comptes seraient des « fonds de réserve » pour l’avenir et pour faire face à des situations « d’urgence ou de nécessité, non prévues dans le budget de l’État ». À titre d’illustration, selon l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, les 31 millions de dollars (une vingtaine de milliards de FCFA) débloqués en 2001, pour financer l’achat d’un Boeing Business Jet au président de la République (le fameux Albatros), sont venus du compte de la SNH logé à BNP à Paris. Illégalité Après avoir avoué et justifié la pratique, notamment auprès du Fonds monétaire international qui la trouve contre les principes de gestion de finances publiques, les autorités ont dont saisi l’opportunité de l’arrimage des textes organiques de la SNH à la loi du 12 juillet 2017 sur les entreprises publiques et des textes subséquents pour tenter de la formaliser.

Sauf que la manœuvre viole certaines dispositions des lois du 11 juillet 2018, portant d’une part régime financier de l’État et des autres entités publiques et d’autre part Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun. Il s’agit en premier de l’article 79 de la loi portant régime financier de l’État et des autres entités publiques. Cet article dispose en son alinéa 1 que « les ressources publiques sont toutes, quels qu’en soient la nature et l’attributaire, […] versées et conservées dans un compte unique ouvert au nom du Trésor à la Banque des États de l’Afrique centrale ». Et son alinéa 3 d’ajouter : « Les dépenses publiques sont payées à partir de se compte unique sur ordre des comptables publics ». Or comme on le voit, la SNH conserve des ressources publiques ailleurs que dans le compte unique du Trésor. En plus, les dépenses publiques sont directement payées à partir des comptes de la SNH pour des montants importants (voir tableau). Le gouvernement a d’ailleurs donné des noms à cette pratique illégale : « transferts indirects » ou « interventions directes » de la SNH.

Opacité

 Et pourtant, même au sein de l’administration la pratique est décriée. Sur son site internet, la direction générale du budget (DGB) du ministère des Finances, est par exemple acerbe contre la remise en cause « du monopole du Trésor » et du « principe du compte unique des ressources publiques ». Cette remise en cause entraîne, selon la DGB, « une dispersion de la trésorerie de l’État, remettant en cause la légitimité du Trésor public ». À en croire la même source, « cette situation est [en plus] en contradiction avec le caractère unitaire de l’État camerounais, basé sur la mutualisation des risques et des bénéfices ». Par ailleurs, contrairement aux articles 5 et 6 du Code de transparence et de bonne gouvernance qui visent à garantir la gestion transparente des recettes et de la richesse accumulée dans le cadre de la procédure budgétaire, ces « fonds de réserve » sont gérés dans l’opacité. Selon Jean-Marie Atangana Mebara, « ces comptes sont gérés par le directeur général de la SNH en exécution des instructions du président de la République ». « Il n’y a que le directeur général de la SNH et peut-être quelques-uns de ses collaborateurs qui peuvent vous donner le montant des réserves de l’État provenant de la vente de notre pétrole », ajoute-t-il. « La question de savoir s’il ne faudrait pas davantage de transparence sur ces comptes mérite débat, surtout au niveau du Parlement », indique ce haut commis de l’État dans son livre intitulé « Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités » et publié aux éditions L’Harmattan en 2016.

Un débat tranché par le Parlement. « Des dispositions spécifiques sont prises pour l’information du public au sujet des transactions importantes », prévoit l’alinéa 2 de l’article 5 de la loi portant Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun, adoptée par le Parlement et promulguée par le président de la République en 2018. « L’administration prend toutes les dispositions nécessaires à la publication des informations sur les finances publiques, dans des délais fixés par voie réglementaire. Les informations prévues à l’alinéa 1 ci-dessus sont exhaustives. Elles portent sur le passé, le présent et l’avenir et couvrent l’ensemble des activités budgétaires et extrabudgétaires », ajoute la loi en son article 47 alinéas 1 et 2.

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Dissimulation des statuts

On aurait pu apprendre davantage sur le rôle de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) comme Trésor public bis. Mais notre travail a été notamment entravé par la non-disponibilité des statuts de la SNH. «Les statuts servent à définir la manière dont le chef d’entreprise, l’entreprise et les clients de l’entreprise sont liés. Ils déterminent également l’activité de l’entreprise et la manière dont elle doit être perçue par les administrations fiscale et juridique», indique un expert. Les statuts de la SNH ont été approuvés par un décret du président de la République signé le 9 juillet 2019. Le texte précise que les statuts sont annexés au décret. Mais seul le décret est disponible. Cette situation qui n’est pas propre à la SNH est néanmoins contraire au Code de transparence et de bonne conduite qui instaure l’accès du public à l’information comme principe.

Interventions directes de la SNH (En milliards de FCFA)

 201420152016201720182019
Objectifs*   168156140
Réalisations211,9178,3194,8169,6195140
(*) Engagement pris par le Cameroun dans le cadre de son programme (2017-2020) avec le FMI

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