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Tawamba/Mopa Fatoing : qui va « tuer » l’autre ?

Comment en sont-ils arrivés là ? Depuis plus d’un an le DG des impôts (DGI) et le Président du Gicam, principal mouvement patronal du pays, sont en « guerre ». Dernier exemple en date, le 15 et 19 février dernier. Modeste Mopa Fatoing s’est rendu à Douala, pour présenter aux opérateurs économiques les contours des nouvelles mesures fiscales contenues dans la loi de finance de l’année 2021. Comme on pouvait s’y attendre, Célestin Tawaba avec lui le Gicam, qui regroupe les plus gros contributeurs du pays en termes de recettes fiscales, a tout simplement choisi de le boycotter. L’affrontement transcende le cadre professionnelle et est devenu un conflit d’individus. Une guerre de tranchée où chacun veut la tête de l’autre. Dans un climat économique incertain, où le gouvernement compte sur le secteur privé pour relancer la croissance, jusqu’où sont-ils prêts à pousser l’animosité ? Que se reprochent-ils ? Que nous réservent t-ils en 2021 ? A qui profite cette guerre fratricide? L’analyse de EcoMatin

A la direction générale des impôts, Modeste Mopa Fatoing n’est pas un homme à vadrouiller. Les sorties de celui qui dirige cette institution publique depuis 2013 sont rares, mais surtout minutieusement préparées par son cabinet. Ce fut encore le cas entre les 15 et 19 février dernier, dates auxquelles le natif de Guidiguis (dans le Mayo-Kani) s’est rendu dans la capitale économique Douala, afin de présenter aux opérateurs économiques les contours des nouvelles mesures fiscales contenues dans la loi de finance de l’année 2021. Dans la salle de conférence de l’hôtel la Falaise de Bonanjo, Modeste Mopa Fatoing a enchainé les réunions et les concertations. Entre les nouvelles mesures de soutien à la relance de l’économie, la promotion de l’import-substitution, les améliorations du climat des affaires, l’élargissement de l’assiette fiscale, la sécurisation des recettes ou encore le renforcement de la fiscalité locale…la gibecière du DGi était pleine de bonnes nouvelles pour les investisseurs.

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Selon des cadres de la Direction générale des impôts, les responsables d’environ 250 entreprises ainsi que les regroupements socio-professionnels ont pris part aux travaux de Douala. « Je peux affirmer que c’était une visite très fructueuse », s’est satisfait Mopa Fatoing à l’issue des travaux, dans une interview accordée au média à capitaux publics Cameroon Tribune. Le DGI a également fait état de contribuables « satisfaits » de cette descente initiée par les impôts.

Bilan mitigé

Au sein de l’opinion publique cependant, le bilan de cette opération de charme est diversement apprécié. Le succès proclamé par les responsables des Impôts y est d’ailleurs nuancé. Et pour cause, les absences du Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) tout comme celles des principales entreprises basées dans la ville de Douala ne sont pas passées inaperçues.

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Coïncidence de calendrier ou boycott ? Un responsable du Gicam joint par Ecomatin affirme n’avoir reçu aucune invitation de la DGI. La même source rapporte que certains de leurs membres ont reçu des invitations 48 heures avant la rencontre. Résultat des courses, ni les entreprises brassicoles, ni les Telcoms que l’on compte parmi les principaux contributeurs à l’assiette fiscale, n’ont pris part à ces travaux.

Si les dissensions entre le patronat et les structures chargées de la collecte des impôts sont aussi vieilles que le monde, la situation au Cameroun revêt un tout autre sens. Les incompréhensions semblent même avoir dépassé le cadre institutionnel pour se déporter sur les personnes. Et la réélection du président du Gicam le 16 décembre 2020, tout comme le maintien du directeur général des impôts à son poste malgré les appels à son limogeage, a d’avantage contribué à perpétuer le climat de tension.

De nombreux observateurs ont encore en souvenir la lettre adressée par Célestin Tawamba, au président de la République le 16 janvier 2020, pour se plaindre de l’attitude du patron de la direction générale des impôts. « Il n’a toujours pas digéré ça. C’est pourquoi il fait désormais sans nous», ajoute notre source au Gicam. Un fait inédit, mais surtout une mise en accusation et une demande implicite de son remplacement. Depuis lors, Mopa Fatoing s’est recroquevillé dans une carapace et bloque tout dialogue entre les deux organes.

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« Ce n’était pourtant que la manifestation d’un conflit latent dont les premiers signes remontent à 2017 », croit savoir un connaisseur du dossier. Selon lui, la crise qui existe entre le patronat et la DGI des crises multiformes auxquelles le Cameroun a dû affronter. Face à l’enlisement de la crise dans les régions anglophones, à la résurgence de Boko Haram, les autorités de Yaoundé auraient fait le choix stratégique de renforcer les caisses étatiques en serrant le tour de vis du recouvrement fiscal, ce qui n’a pas été du goût des patrons d’entreprise. « Pour preuve, c’est depuis cette date que la direction des impôts est devenue le premier poste de mobilisation des ressources publiques », ajoute-t-il.

« Les relations entre l’organisme de collecte et les contribuables ne peuvent jamais au beau fixe, relativise Mouliom Mazou, président de l’Association camerounaise pour la défense des droits des contribuables (ACDC) L’un veut mobiliser le maximum de ressources et les autres veulent payer le moins possible. Or s’il y a une trop grande complaisance de l’administration, on va se retrouver dans un paradis fiscal », renchérit-il.

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Mopa Fatoing exécute-t-il une feuille de route tracée par sa hiérarchie ? Si tel est le cas, l’Impact de ce bras de fer sur le climat des affaires au Cameroun devrait être revisité. Le classement Doing business qui est l’un des plus consultés au monde en la matière, dispose en effet entre autres critères d’évaluation la charge fiscale qui pèse sur les entreprises, ainsi que la protection des investisseurs. La crise entre le Gicam qui regorge en son sein les principales entreprises camerounaises en terme de contribution à l’assiette fiscale et la DGI est une bombe à retardement, dans un contexte où la Stratégie nationale de développement a fixé comme cap celui de « porter le pays au rang des Nouveaux Pays Industrialisés (NPI) en 2035 ». Un objectif qui passe assurément par l’assainissement des rapports entre les différents acteurs de la sphère économique.

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