Banques et Finances

Gwendoline Abunaw : « Le durcissement de la politique monétaire actuel n’a pas encore un impact réel sur les capacités de financement de l’économie »

SND30, reconstruction du NoSo, financement du déficit budgétaire, financement du secteur privé… Face au durcissement des conditions de financement à l’échelle mondiale et sous régionale, le Cameroun semble plus que jamais tourné vers les banques domestiques pour financer ses projets de développement. Les attentes sont donc énormes vis-à-vis de ces acteurs qui portent à eux seuls plus de 85% des actifs financiers du pays. C’est donc évident qu’une approche concertée soit mise en place pour créer un environnement propice à la circulation des capitaux. Une tâche qui incombe aujourd’hui principalement à Gwendoline Abunaw, qui préside depuis août 2022 l'Association des Professionnels des Établissements de crédit du Cameroun (Apeccam).

Madame la Présidente, l’APECCAM cumule plus de trois décennies d’existence en 2023. Quels ont été les faits marquants de son fonctionnement durant cette période ?

L’APECCAM a tenu son assemblée générale constitutive à la fin de l’année 1990. Elle est intervenue 5 ans après l’ordonnance de création signée par le Président de la République le 31 août 1985. Il faut souligner que les activités de l’APECCAM ont démarré dans un contexte de restructuration du système bancaire national après la crise des années 80. Dès lors, les deux premières décennies de fonctionnement de notre association étaient centrées sur la relance du système bancaire, à travers des réformes profondes entreprises par les autorités publiques et monétaires ; se traduisant notamment par la création d’un organe de contrôle et de supervision des établissements de crédit. Cette période était consacrée à la mise en œuvre des fondations d’un écosystème bancaire solide et viable. C’est au cours de la troisième décade qu’on pourrait qualifier de période de consolidation des acquis, que le système bancaire a véritablement commencé à jouer son rôle de financement de l’économie. Entre 2012 et 2022, les principaux agrégats du système bancaire ont plus que doublé. Le taux de bancarisation qui se situait à 10% a pratiquement triplé pour atteindre les 30% ; les financements bancaires d’environ 2000 milliards FCFA en 2012 ont dépassé les 4000 milliards en 2022. Le système bancaire est demeuré solide et résilient, malgré les nombreuses crises traversées, aussi bien sécuritaire, sanitaire qu’économique et même monétaire. En sommes, les signaux sont à présent au vert, mais la prudence reste de mise et la nécessité d’opérer des choix judicieux vers la transformation de notre système bancaire afin de l’aligner aux réalités de l’heure, doit demeurer une préoccupation constante.

Quant à vous, vous avez célébré votre 1er anniversaire à la tête de cette institution en août de cette année. Quel en est le bilan ?

Le 23 juin 2022, mes pairs ont décidé de me confier les destinées de la profession bancaire, à la suite du départ à la retraite de mon illustre prédécesseur Alphonse NAFACK. C’est le 18 Août 2022 que j’ai réellement pris mes fonctions comme nouvelle Présidente de l’APECCAM. Au cours de cette période transitoire, la priorité était de parachever le mandat du Président sortant, à qui il restait 06 mois de fonction à la tête du Bureau Exécutif. Je ne saurais donc dans un délai aussi court, parler d’un quelconque bilan à présenter. J’ai entamé mon premier mandat à la tête de la profession le 23 juin 2023 avec l’ambition de poursuivre les réformes de modernisation de notre système bancaire, d’accélération du financement pour le développement de la PME et d’accroissement de la bancarisation de la population. Donnons-nous le temps d’agir avant de penser à l’évaluation.

Être la première dame à présider aux destinées de l’APECCAM, marque déjà l’histoire de notre profession. La motivation que j’ai est la même qu’aurait eu un autre président à contribuer au développement de notre secteur d’activité.

Est-ce que le fait d’être la 1ère femme à présider l’APECCAM vous motive davantage à marquer votre mandat d’une marque indélébile ?

Être la première dame à présider aux destinées de l’APECCAM, marque déjà l’histoire de notre profession. La motivation que j’ai est la même qu’aurait eu un autre président à contribuer au développement de notre secteur d’activité. Le secteur bancaire occupe une place de choix dans le développement de l’économie et partant de notre pays. Nous travaillons à accompagner efficacement les opérateurs économiques à franchir le cap du développement pour épouser l’ambition d’émergence de notre pays.

Le secteur bancaire camerounais s’est agrandi ces dernières années avec l’entrée en scène de nouveaux acteurs. Comment appréciez-vous la progression de votre secteur au cours de ces dernières années ?

Les besoins croissants en financements de notre économie, couplés à la faible profondeur de notre système financier ont entrainé la nécessité d’un renforcement qualitatif et quantitatif du système financier. Le secteur bancaire qui porte à lui seul plus de 85% des actifs financiers, à une immense responsabilité dans la réponse à cette préoccupation. L’arrivée de nouveaux acteurs dans notre secteur est donc salutaire à plus d’un titre. La Stratégie Nationale de Développement a assigné au secteur bancaire des objectifs très ambitieux en termes de taux de bancarisation et de financement de l’économie. Nous pensons, qu’une plus forte concurrence dans le secteur est une bonne nouvelle pour notre économie. D’ailleurs, nous encourageons d’autres acteurs de poids à rejoindre le bateau.

Quels sont aujourd’hui les défis du secteur bancaire Africain et Camerounais particulièrement ?

Les banques camerounaises en particulier et les banques africaines en général doivent relever un double défi. En premier lieu, la transformation digitale et de l’amélioration de l’expérience client à travers des produits et services de qualité. La conjoncture passée a contribué à l’accélération de la transformation digitale de nos établissements. Aujourd’hui, l’écosystème bancaire est non seulement digitalisé, mais a mis à profit l’arrivée de nouveaux acteurs comme les FINTECHS en créant des synergies pour offrir à la clientèle, des services de qualité à des tarifs acceptables. En second lieu, l’amélioration du climat des affaires à travers la maîtrise du taux de créances en souffrance. Un environnement juridique et judiciaire efficace boosterait les financements dont l’économie nationale a grand besoin en ce moment. Mais un relâchement se ressentirait immédiatement sur ce volet car les crédits non performants n’encouragent pas les prêteurs.

Le Cameroun comme la plupart des États a été frappé depuis 2020 par un double choc. D’abord la pandémie du coronavirus qui a durement affecté notre économie et ramené à la baisse nos prévisions de croissance ; ensuite la guerre en Ukraine qui a paralysé les circuits d’approvisionnement mondiaux. Quel a été l’impact de ces phénomènes sur l’activité bancaire dans la CEMAC ?

L’impact de la crise sanitaire et ensuite la guerre en Ukraine a été atténué dans le secteur bancaire camerounais en raison de la solidité de ses acteurs, mais également grâce aux mesures de sauvegarde prises par les autorités gouvernementale et monétaire. L’activité bancaire au cours des années 2020 a cru de plus de 15% ; tandis qu’en 2021 et 2022, on a connu une progression encore plus élevée. Ce qui démontre la stabilité et la solidité du système bancaire, qui malgré la croissance des crédits non performants est demeuré résilient face à toutes ces crises. Il faut également saluer l’accompagnement financier et fiscal des autorités gouvernementales aux entreprises impactées par les crises et les mesures d’allègement mises en œuvre par la banque centrale pour faciliter les activités bancaires à travers une politique monétaire axée sur l’accroissement de la liquidité, et une plus grande souplesse dans l’application de la réglementation, notamment sur la comptabilisation et le provisionnement des créances en souffrance. Néanmoins les tensions inflationnistes récentes dont vous n’êtes pas sans ignorer les causes ont entrainé un resserrement de la liquidité bancaire et un renchérissement du loyer de l’argent qui doivent à tout prix être jugulés.

J’ai entamé mon premier mandat à la tête de la profession le 23 juin 2023 avec l’ambition de poursuivre les réformes de modernisation de notre système bancaire, d’accélération du financement pour le développement de la PME et d’accroissement de la bancarisation de la population.

En réponse au second choc, la Banque Centrale a entrepris de durcir sa politique monétaire relevant le coût de prêts dans le cadre de ses opérations d’open market et en accélérant les opérations de ponctions de liquidités. Cela a-t-il affecté votre capacité à financer l’économie ?

Le durcissement de la politique monétaire actuelle n’a pas encore un impact réel sur les capacités de financement de l’économie. Les établissements de crédit ont maintenu le rythme de financement au premier semestre de l’année 2023. On observera en seconde moitié de l’année 2023, pour mesurer l’impact du durcissement de la politique monétaire sur les financements de l’économie. Toutefois ce durcissement doit être limité dans le temps, au risque d’avoir un impact sur la liquidité bancaire et, par conséquent, l’habiliter à financer l’économie.

Les banques Camerounaises sont-elles d’accord avec la politique monétaire restrictive de la BEAC ?

L’écosystème bancaire est bien hiérarchisé avec au sommet l’institut d’émission, le régulateur, qui établit et contrôle l’application de la règlementation ; ensuite des intermédiaires financiers qui sont chargés de leur mise en œuvre. Il ne nous revient pas d’apprécier l’opportunité du durcissement ou du relâchement de la politique monétaire. La Banque centrale dispose de ressources humaines et techniques pour mener à bien ces politiques. Elles sont faites dans un objectif de corriger l’évolution de certains agrégats économiques, en l’occurrence l’inflation galopante que l’on observe en ce moment, suite au déclenchement de la guerre en Ukraine.

Dans son dernier rapport pays sur le Cameroun, le FMI pointe comme « vulnérabilité » du secteur bancaire Camerounais, du fait de sa trop forte exposition sur l’état qui représente 35,3% du total actif des banques. Y’a-t-il péril en la demeure ? Comment réduire cette vulnérabilité ?

Il n’y a pas à proprement parler péril en la demeure, même si l’exposition des banques sur l’état a fortement progressé. L’intermédiation bancaire en faveur des entreprises et des ménages a représenté en 2022 beaucoup plus de la moitié des financements des établissements de crédit. Par ailleurs, nos états ont des besoins importants en financement, qu’ils doivent trouver également auprès des prêteurs locaux. Néanmoins les limites prudentielles sont généralement respectées par les banques dont l’attention sur le sujet a été attirée par le superviseur.

L’activité bancaire au cours des années 2020 a cru de plus de 15% ; tandis qu’en 2021 et 2022, on a connu une progression encore plus élevée. Ce qui démontre la stabilité et la solidité du système bancaire.

Parlons à présent de la Caisse de Dépôts et de Consignations (CDEC) opérationnelle depuis quelques mois seulement et dont la mission est de collecter, sécuriser et rentabiliser les ressources publiques pour les orienter vers l’accompagnement des politiques publiques. Quels sont vos rapports avec cette institution ?

L’opérationnalisation de la Caisse des dépôts et Consignations du Cameroun (CDEC), créée par une loi depuis l’année 2008 était très attendue. Avec la désignation de ses dirigeants au courant de cette année 2023 on rentre de plain pied dans le démarrage effectif de ses activités. Nous avons eu des séances de travail avec les dirigeants de la CDEC pour définir les contours de notre collaboration future ; dans le but de s’accorder sur les définitions et les modalités de transfert des fonds détenus par les banques et dévolus à la gestion de cette institution. La collaboration entre la CDEC et les banques est une activité permanente. Étant une institution nouvelle dans l’écosystème financier au Cameroun, sa mise en œuvre doit se faire de manière graduelle et concertée avec les autres acteurs. Le préalable à la déclaration des fonds et valeurs dévolus à la gestion de la CDEC, était leur identification claire et nette. Aussi, avons-nous eu à définir les ressources concernées et les banques étaient appelées à dresser des états dans leurs livres. Il s’agit des comptes inactifs, des dépôts à terme des administrations publiques, des établissements et entreprises publics et enfin des cautions sur les marchés publics et des consignations. Pour certains établissements de crédit installés au Cameroun depuis plusieurs années, les données à déclarer nécessitent une charge de travail importante. Je peux vous confirmer que l’ensemble des institutions financières membres de l’APECCAM ont transmis leurs états. Le processus étant permanent, des corrections vont être apportées au fur et à mesure. Ensuite, des textes qui sont actuellement en discussion vont préciser les modalités de transfert des fonds et valeurs dévolues à la CDEC. Il serait important que les fondements légaux de tout ce dispositif soient publiés, au risque de mettre les banques en porte à faux avec la clientèle propriétaire desdits fonds. Ce qui pourrait déclencher à postériori des contentieux interminables dans la profession bancaire. Les établissements de crédit ont pleine conscience de la synergie qu’ils doivent entretenir avec la CDEC pour le développement de notre économie.

Jusqu’à quel point l’opérationnalisation de la CDEC menace-t-elle la liquidité du système bancaire ?

Nous ne pouvons pas encore évaluer avec précision l’impact du transfert des fonds dévolus à la gestion de la CDEC sur les ressources bancaires. En effet, une consolidation des données exactes s’avère d’abord nécessaire. Mais on peut estimer que ces fonds vont représenter une proportion non négligeable des ressources des banques, raison pour laquelle des modalités de leur transfert sous la gestion de la CDEC sont en discussion, comme leur maintien dans les livres des banques à la disposition de la CDEC.

Les objectifs fixés au secteur financier en général et au secteur bancaire en particulier sont certes ambitieux mais pourraient être relevés si la croissance des activités bancaires, observée ces dernières années, était maintenue.

Dans le cadre de la SND 30, le gouvernement camerounais espère porter le réseau bancaire à 30 établissements de crédit d’ici 2030. Cet objectif est-il réalisable ?

La Stratégie Nationale de Développement SND-30, seconde phase de la vision 2035 se veut ambitieuse, surtout au regard des résultats mitigés obtenus au cours de la première phase du DSCE. Les objectifs fixés au secteur financier en général et au secteur bancaire en particulier sont certes ambitieux mais pourraient être relevés si la croissance des activités bancaires, observée ces dernières années, était maintenue. Il faudrait une croissance moyenne de 25% durant les sept prochaines années pour atteindre ces objectifs fixés. On est sur la bonne lancée, aujourd’hui le Cameroun compte dix-huit banques commerciales avec des dossiers de demandes d’agréments en cours d’examen. A défaut d’être atteint à cet horizon, on s’en approcherait bien. Le marché est ouvert et la concurrence accrue contribuerait à renforcer l’offre qualitative et quantitative de financement pour le bien de notre économie.

Quelles sont les perspectives pour l’APECCAM dans les années à venir ?

Les perspectives pour l’APECCAM dans les années à venir seront consacrées à la poursuite de la consolidation des acquis à travers, la modernisation de notre système bancaire, l’accroissement de l’offre de crédit pour le développement de nos PME et l’accélération de la bancarisation de la population. Cela se fera à travers la transformation de la banque de détail, en tirant à profit de la digitalisation des services bancaires afin d’améliorer significativement l’expérience client.

A LIRE AUSSI

Afficher plus

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page