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Hausse du fret : pourquoi le Gicam rejette les mesures du gouvernement

Si la Décision du ministre des Finances induit des pertes de l'ordre de 12 à 15 milliards de FCFA par mois, le secteur privé évalue à 50 FCFA l'impact de la mesure sur le prix d'un sac de ciment. Les entreprises du Gicam maintiennent leur mot d'ordre de suspension des activités de production et d'importation des produits de consommation.

Le Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam) n’est pas du tout séduit par la décision du gouvernement réduisant le taux de fret à prendre en compte pour la détermination de la valeur en douane des marchandises importées par voie maritime. Pourtant, cette mesure prise par Louis Paul Motaze était une réponse aux préoccupations du secteur privé, frappé de plein fouet par la hausse des prix à l’importation (intrants et fret). D’après Alvine Mbono, la Directrice exécutive du Gicam, «la décision n’a aucun impact réel» sur la situation d’inflation qui frappe les entreprises. La décision de décote de 80% du coût du fret visait à infléchir les pertes enregistrées  depuis plusieurs mois par les entreprises (coût de production, fret, assurances). Mais également à éviter une augmentation mécanique des prix des produits et biens de consommation.

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Pour l’Etat, il s’agit d’une mesure « urgente pour nécessité de service dans un contexte d’augmentation inédite du coût du transport international des marchandises. Valable, d’après Louis Paul Motaze, jusqu’au 28 février 2022, soit un peu plus de trois mois de décote. Mesure renouvelable en cas de besoin, la décision du 16 novembre 2021 a suscité méfiance auprès du secteur privé. Toujours d’après Alvine Mbono, «le clinker connaît une augmentation de 97% sur le marché international. Vous couplez cette augmentation avec à la hausse du fret maritime qui est de 417%, vous avez des coûts qui, s’ils sont répercutés sur le sac de ciment, seraient de 1.500 FCFA de plus. La décision signée le 16 novembre 2021, s’il faut l’appliquer a juste un impact est de 50 FCFA».

Concernant le blé, la Directrice exécutive du Gicam fait observer que cette céréale a connu une augmentation de 70%, en plus de l’inflation du fret maritime. Pourtant, poursuit-elle, «le blé ne paie pas de frais de douanes depuis 2008. La décision n’a aucun impact sur le farine».

Alternatives

Le plafond de 80% de baisse sur le fret emporte une incidence significative pour les caisses de l’Etat. Un manque à gagner évalué entre 12 et 15 milliards de FCFA mensuellement, disent les fiscalistes du ministère des Finances. Équivalent à 36 à 45 milliards de FCFA par trimestre. Malgré cette dévalorisation, les entreprises membres du Gicam maintiennent la menace de suspension des activités de production et d’importation dès le 1er janvier 2022. «Les entreprises ont de la peine à avoir de la visibilité dans leurs trésorerie», justifie la Directrice exécutive du mouvement patronal. Le 1er octobre 2021, le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana avait reçu les doléances du secteur privé. Qui proposait à l’intention du gouvernement trois alternatives principales pour éviter une crise de la vie chère: une répercussion intégrale de la hausse des coûts de production sur le prix de vente ou le partage des charges entre l’Etat, les entreprises et les consommateurs.

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«Nous voulons préserver la paix sociale et maintenir le fragile équilibre industriel du Cameroun. C’est la raison pour laquelle j’en appelle au sens des responsabilités  des entreprises des consommateurs et populations. Nous reconnaissons que le pouvoir d’achat des camerounais est de plus en plus faible», indiquait Célestin Tawamba le Président du Gicam, à cette occasion. Avant la solution ultime d’une hausse des prix sur les denrées de consommation, le Gicam propose par ailleurs au gouvernement, un ajustement limité des prix de vente, des subventions partielles,  des allègements fiscaux (réduction du taux de Tva, allègement ou suspension de l’acompte dans certains secteurs, suspension des contrôles etc.), la suspension des taxes parafiscales et de certaines taxes portuaires, la réadaptation des appuis Covid-19 au secteur stratégique, la réactivation et/ou le maintien en 2022 des mesures exceptionnelles instaurées en 2021.

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Face à ces deux nouveaux développements, le bras de fer entre l’État et le secteur privé est désormais engagé. Une véritable course contre la montre avec en toile de fond, une hausse déjà perceptible de certains produits sur le marché : huile végétales, riz, poissons, et même des produits vivriers.

«Des mesures conséquentes restent attendues de la part du Gouvernement camerounais »

Membre du Conseil d’administration et Porte-Parole du Président du GICAM, Jacques Jonathan Nyemb évalue l’impact de la décision du gouvernement face aux alertes du secteur privé.

La décision signée le 16 novembre dernier par le MINFI répond -elle à la problématique soulevée par votre communiqué du 9 novembre courant ?

Le 09 novembre dernier, la concertation intervenue entre les chefs d’entreprises a mis en évidence la poursuite de la dérive inflationniste sur le coût du fret maritime et plus largement sur les prix des matières premières et des intrants. Cette dérive intervient alors que les entreprises subissent déjà les conséquences de la crise sécuritaire, une fiscalité inadaptée et une gestion administrative très contraignante des devises et des importations. Face à celle-ci et au terme de nos discussions, il est apparu indéniable que les ajustements internes opérés par les entreprises pour absorber les surcoûts ne suffisent plus. Alors, faute d’appliquer la vérité des prix en répercutant entièrement ces hausses sur leurs prix de vente, les entreprises de plusieurs filières vendent aujourd’hui à perte et ne pourront indéfiniment absorber de telles pertes. Nombre d’entre elles ne se donnent pas plus de 60 jours pour être « asphyxiées ». Telle est l’alerte qui a été donnée le 09 novembre dernier.

Et, face à ce péril imminent, s’il est vrai que le geste fait par le Gouvernement le 16 novembre dernier est appréciable, il n’en demeure pas moins que son impact reste très limité. Et pour cause, elle ne concerne que les droits de douane applicables au fret, alors que les surcoûts actuellement subis par les entreprises vont de 40 à plus de 90% sur les matières premières et intrants et de 400 à 500% sur le fret. Or, la mesure édictée ne permet d’absorber ces surcoûts qu’à hauteur d’environ 3% pour certains produits astreints au paiement des droits de douane à l’instar du ciment pour lequel l’impact serait de 50 francs par sac alors que les surcoûts en cause s’élèvent à 1500 francs CFA par sac. Pour les matières premières déjà exonérés de droits de douane comme le blé, l’impact de la mesure annoncée sur les coûts de production des produits dérivés (farine) est de 0%; c’est dire que le risque d’asphyxie reste réel et des mesures conséquentes sont attendues de la part du Gouvernement camerounais, comme cela a été le cas pour d’autres économies dans le monde.

Tous les secteurs d’activités sont-ils touchés de la même manière ?

Étant donné que la quasi-totalité des activités économiques de notre pays dépendent d’une façon ou d’une autre de l’extérieur pour des approvisionnements divers, c’est l’économie entière qui pâtit des effets de cette inflation importée. Bien entendu, certains secteurs sont plus exposés notamment les industriels qui s’approvisionnent pour l’essentiel à l’extérieur en intrants et en matières premières. Sont par exemple fortement concernées les industries de la cimenterie, les industries brassicoles, les industries meunières (farine), les industries métallurgiques (fer à béton), les industries oléagineuses (huiles végétales), les industries de la plasturgie et de la papeterie (emballages), les industries chimiques et phytosanitaires (engrais, produits de protection des plantes) ou encore certaines industries agro-alimentaires (biscuiteries, confiseries, …).

Que proposent les Entreprises à travers le GICAM finalement ?

Le GICAM plaide pour la tenue d’une concertation extraordinaire et de haut niveau entre le Gouvernement et le secteur privé pour se donner des chances de sortir le moins durement et le plus durablement possible de l’impasse actuelle. Une telle démarche permettra de manière inclusive, concertée et consensuelle, de définir et mettre en œuvre des mesures inédites pour absorber le choc, préserver l’emploi et la paix sociale mais surtout une fois pour toutes changer de paradigme et transformer notre pays.

D’ores et déjà, les solutions possibles à court terme, pour mutualiser les efforts à consentir pour la Nation par les pouvoirs publics, les entreprises et les populations, pourraient combiner la répercussion limitée des surcoûts sur les prix de vente, des allègements fiscaux (TVA, IS, Droits de Douanes) limités dans le temps, la suspension de certaines mesures et contrôles, la réactivation et/ou le maintien en 2022 de certaines mesures exceptionnelles instaurées en 2020 ou encore des mesures sectorielles spécifiques.

En tout état de cause, à l’heure où notre pays souhaite résolument s’engager dans la voie de l’industrialisation, ne rien faire ou faire a minima porterait un coup fatal aux acteurs industriels de notre pays. Or, ceux-là sont précisément ces champions nationaux capables de faire du « Made in Cameroon » une réalité concrète et porteuse dans notre pays.

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