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Huile de palme : une aubaine pour l’industrie camerounaise

Le marché des oléagineux ne s’est jamais porté aussi bien. Fin avril 2022 la tonne d’huile de palme brute réceptionnée au port d’entrée de Rotterdam franchissait la barre historique de 2000 dollars soit une hausse de 50%. Une situation qui n’est pas prête de s’arrêter et sur laquelle plusieurs agro-industries implantées au Cameroun misent pour tirer leur épingle du jeu et par ricochet, booster la production locale. Reste quand même quelques contraintes à lever pour que cette filière décolle véritablement. Un dossier de la rédaction.

Du 23 au 24 février 2022, un conflit inter- armé a été engagé entre la Russie et l’Ukraine, suivi de sanctions économiques draconiennes à l’endroit de la Russie.Cette situation qui survient alors que l’économie mondiale est encore en reconstruction suite à l’impact de la pandémie de la Covid-19. Parmi les conséquences du déclenchement du conflit russo-ukrainien à l’échelle nationale la flambée des prix des produits oléagineux. Cette situation représente une contrainte majeure quand on sait que le pays importe cette denrée, afin de satisfaire sa demande locale en huiles et graisses alimentaires. De ce fait, le prix d’1 litre d’huile varie entre 1600 et 1700 Fcfa contre 1200 Fcfa auparavant.

En effet, l’Ukraine et la Russie sont considérées comme premiers producteurs d’huile de tournesol et assurent 80% de la production mondiale en huiles. Mentionnons ici que la production annuelle de l’Ukraine pour ce produit s’estime à plus de 4,4 millions de tonnes alors que celle de la Russie est d’un peu plus de 4 millions de tonnes. Ainsi, l’Ukraine assure la moitié du commerce international d’huile de tournesol, soit 50% des exportations mondiales. La guerre menée par Moscou contre Kiev a restreint les livraisons de cette huile qui cause un ralentissement de la croissance économique et des turbulences sur les marchés financiers mondiaux.

Hormis la crise russo-ukrainienne, la pénurie des huiles de palme qui se fait ressentir actuellement sur le marché est imputable aussi à l’Indonésie qui annonçait le 28 avril dernier, la suspension des exportations de ses produits à base d’huile de palme. Ceci est dû aux problèmes de distribution et de rétention de stocks auxquels elle fait face depuis le début du conflit. Pris en étau entre les problèmes de distribution et d’approvisionnement, les producteurs indonésiens préfèrent écouler leurs cargaisons sur les marchés internationaux pour profiter à plein de la hausse des cours. Premier producteur d’huile de palme, le pays exporte en un an environ 66% de sa production locale, soit environ 30 millions de tonnes par an. Pour ce qui est de l’exercice précédent (2021 ndlr), l’Indonésie a exporté 34,2 millions de tonnes pour l’huile alimentaire. Toutefois, l’arrêt d’exportation a eu des répercussions sur l’économie camerounaise. Notamment, la raréfaction de l’huile, la hausse des prix, les difficultés d’approvisionnement donnant lieu à une rareté du produit.

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Filière des oléagineux : répercussions de l’inflation sur le marché local

«Le ministre du Commerce n’a procédé à aucune augmentation de prix des huiles végétales au Cameroun ». C’est ce qu’on peut lire dans une communication rendue publique au mois de mars 2022 sur la page Facebook de ce département ministériel, le régulateur des prix.

Pourtant dans les échoppes, il devient de plus en plus difficile de se procurer le précieux sésame. Seuls les usagers qui ont la bourse pleine peuvent s’en procurer. Au quartier Ngousso à Yaoundé par exemple, les prix des produits oléagineux connaissent une hausse drastique. L’huile végétale Mayor par exemple qui coutait 1200 F il y a quelques mois dans les rayons, est aujourd’hui vendue à 1600 F voire 1700 F, ce en fonction de la situation géographique du client. De fait l’on note une hausse de plus de 25% sur chaque produit, directement imputable au déclenchement de la crise russo-ukrainienne en février 2022.

Avec les tendances inflationnistes qui sévissent actuellement, la hausse des prix de l’huile de palme à l’échelle nationale est tributaire de l’envolée des cours mondiaux des matières premières. Cela représente une contrainte majeure pour le pays quand on sait que le pays est un importateur de la denrée pour répondre à sa consommation galopante en huiles et graisses alimentaires. En occurrence, l’on note que le pays a importé 80.000 tonnes en 2019, 70.000 tonnes en 2020 et 100.000 tonnes en 2021. Pour l’exercice 2022, il s’apprête à importer 143000 tonnes d’huile de palme brute.

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Huile Diamaor

Pour entrer en possession de l’huile Diamaor dans la ville de Garoua, cité capitale de la région du Nord, il faut se munir d’une somme de 1700 F ou encore 1800 F chez le boutiquier du coin. Cette situation n’est guère surprenante pour les consommateurs qui, quelques semaines plus tôt, avaient reçu une alerte de la Société de développement du coton (Sodecoton). Dans une note adressée au secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr), Ferdinand Ngoh Ngoh, le directeur général (DG) de ladite structure redoutait une pénurie du produit sur le marché ainsi qu’une inévitable augmentation des prix. Dans le même document, le DG du géant de l’agro-industrie dans la partie septentrionale du Cameroun, avoue que la structure dont il a la charge traverse des moments de turbulence. A en croire ce dernier, la Sodecoton fait aujourd’hui face à quelques difficultés d’approvisionnement en engrais chimiques. Depuis l’avènement de la crise russo- ukrainienne, les prix de ces substances minérales qui sont en majorité importées de Russie, sont repartis à la hausse. Pour se procurer un sac de 50kg d’engrais chimique, il faut parfois débourser plus de 25 000 F, au lieu de 15 000 F il y a encore quelques mois, indiquent quelques agriculteurs rencontrés par EcoMatin.

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Huiles végétales : un potentiel local en pleine croissance

Selon l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc), 95% des huiles végétales raffinées de palme, de coton et de soja, et 90 % de savons de ménage vendus localement sont produits par les entreprises SCR Maya et Cie, Azur S.A, Sodecoton, SCS/Rafca, Spfs (Société des palmerais de la ferme Suisse), CCO S.A. et Saagry (Société agro-industrielle du groupe Youssa).

Troisième plus grand producteur d’huile de palme en Afrique avec une production annuelle estimée à 230 000 tonnes, le Cameroun doit satisfaire la demande locale qui est estimée à environ 325 000 tonnes. Cela est possible grâce au concours de ces nouveaux acteurs du secteur. Ceux-ci fournissent une capacité nationale de production d’huile de palme brute faible de 370.000 tonnes pour une demande industrielle évaluée à près de 1,2 million de tonnes.

D’autre part, les grandes sociétés agro industrielles implantées depuis des lustres jouent leur partition. Il s’agit notamment des agro-industries privées telles que Pamol, Ferme suisse et Safacam ou publiques ; Camdev (Cameroon Development) et Socapalm (Société camerounaise de Palmeraies), la Cameroon Development Corporation (Cdc).

Cependant, le président de l’Asroc, Jacquis Kemleu Tchabgou expliquait il n’y a pas longtemps que le secteur connaît actuellement un déficit 160 000 tonnes d’huile de palme brute dans les industries de première transformation à cause de la pandémie du coronavirus. Qu’à cela ne tienne, le secteur de la transformation de l’huile de palme rapporte par exemple 100 milliards de FCFA par an à l’Etat au travers la commercialisation à l’étranger de produits tels que les savons, détergents, huiles végétales, margarines.

Pour rappel, en 2020, le groupe formé de Spfs Palm’or, producteur de la marque d’huile végétale Palm’or, et Camseeds, a enregistré un chiffre d’affaires consolidé de 40,85 milliards, contre 37,49 en 2019, soit une hausse de 8,96%. Un indice assez évocateur pour justifier l’apport des nouveaux producteurs d’huile végétale sur le marché camerounais. Cette filière en pleine structuration générerait de façon globale, 50 000 emplois directs et aurait déjà investi plus de 630 milliards de FCFA dans son appareil de production.

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Préservation de la nature : le sujet qui divise les agro industriels et les ONG de protection de la nature

Les questions environnementales et de protection des droits des communautés locales constituent les deux principaux points d’achoppement entre les Organisations non gouvernementales (ONG) et les agro-industries. L’un des exemples le plus récents est le cas de l’agro-industriel Camvert S.A spécialisé dans la production d’huile de palme et de palmiste, qui a obtenu de l’Etat une surface exploitable de 50 000 hectares dans la région du Sud (Campo et Nieté), et l’ONG Greenpeace.

Que ce soit Camvert, Socapalm, etc. plusieurs structures sont le plus souvent peintes en horreur dans les rapports que produisent ces ONG. Et pour cause, plusieurs reproches leurs sont adressés : « Elles (les agro- industries ndlr) ne respectent pas la réglementation en vigueur, violent les droits des communautés locales, détruisent la biodiversité et la forêt et par conséquent exacerbent les effets du changement climatique, n’apportent aucun développement et la plupart du temps sont localisées au mauvais endroit dans des forêts à fort potentiel de carbone et de riche biodiversité», nous explique Sylvie Djacbou chargée de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique.

Détruire pour se développer ? Ne pas détruire et toujours rester dans le sous- développement est le fâcheux dilemme que pose la question de protection de la nature et des populations locales, mais au vu de l’urgence de se développer qui s’impose, trouver le juste milieu serait l’idéal. « Il faudrait développer ce genre de projet dans des zones dégradées, respecter les droits des communautés autochtones, investir dans des initiatives communautaires et accorder une primeur à la transparence et la légalité », renchérit Sylvie Djacbou. Une pensée partagée par ces entreprises. « Parce que la conviction de Camvert est que ni la conservation à outrance, ni l’industrialisation sans confiance, ne peuvent nous développer, donc il faut concilier les deux », renseigne une source autorisée à Camvert.

Des pistes de solutions sont déjà prises en compte dans ce sens même si elles sont encore embryonnaires. C’est le cas de Camvert. En effet, l’agro-industrie appartenant à Aboubakar Al Fatih, envisage mettre sur pied une zone de conservation de près de 35 000 ha sur ses surfaces exploitables. Par ailleurs des discussions sont en cours en ce qui concerne la préservation des tortues marines.

Lire aussi : Le Cameroun va importer 143 000 tonnes d’huile de palme brute en 2022

Interview : «les initiatives agro-industrielles telles que Camvert doivent être soutenues », Alain Fonin

La pénurie d’huile de palme est d’actualité dans le monde. Le Cameroun n’en est pas épargné, où le prix d’une bouteille d’huile ne cesse de grimper. Qu’est ce qui, selon vous, explique le fait que sur ce produit, on soit encore très massivement dépendants des importations ?

Le niveau des espaces cultivés et la productivité restent insatisfaisants si on fait la comparaison avec ce qui est fait en Asie. Il en est de même pour les unités de pressage qui pour la majorité sont artisanales et ne peuvent pas satisfaire la demande des ménages et des raffineries. Il faut aussi signaler les difficultés de la CDC et PAMOL liées à l’insécurité qui a eu un impact significatif sur leurs activités. Sur un autre plan, nous constatons que nos clients qui se situent sur les maillons de la première transformation (huile de palme) à la deuxième transformation (huile de table, margarine, produits cosmétiques…) rencontrent moins de difficultés à obtenir des financements pour les investissements et le Besoin en Fonds de Roulement que ceux qui sont dans les plantations. Cela s’explique par les difficultés à sécuriser les terres et à la valeur qui est accordée à ces actifs pour obtenir des garanties. Les voies d’accès aux plantations constituent également un frein tant dans les activités de mise en place (préparation des sols, transfert des semences) que dans les opérations de sorties des régimes.

D’après vous, comment parvenir à structurer la filière de sorte que le Cameroun puisse, non seulement, satisfaire la demande locale, mais vendre également à l’étranger ?

Le financement de la recherche et du transfert des innovations technologiques dans cette filière est capital pour booster les rendements des plantations. Ensuite il faut réserver des grands parcs industriels sécurisés pour faciliter les investissements dans les plantations. Autour de ces parcs industriels, une contractualisation peut être développée avec les planteurs de petites tailles qui bénéficieraient d’un encadrement et de l’accès au titre foncier.

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Quels sont les écueils qui plombent l’émergence de cette filière au Cameroun ?

L’absence de titres fonciers pour les planteurs, le faible rendement des plantations, l’enclavement des bassins de production, l’insuffisance des financements pour les acteurs de la chaîne de valeur (recherche scientifique, planteurs, et transformateurs) sont les écueils qui plombent la filière au Cameroun.

Qui de l’Etat ou des privés doit prendre le taureau par les cornes pour que la filière huile de palme soit un véritable levier de développement industriel au Cameroun ? Le dispositif étatique est-il suffisamment incitatif pour le secteur privé ?

L’Etat reste le principal catalyseur et se doit de mettre en place un cadre plus attractif pour faciliter l’accès au foncier et aménager les parcs industriels. La création d’un fonds souverain consacré à l’Agriculture pourrait permettre un meilleur déploiement (garanties, prises de participations, prêts, subventions…) en associant des compétences du secteur privé et en mobilisant les partenaires au développement.

Les agro-industries comme Camvert semblent avoir pris conscience des enjeux et se lancent dans la production industrielle d’huile de palme. Seulement, ils essuient très souvent les critiques des ONG de protection de la nature. Comment allier dès lors, production industrielle préservation de l’environnement ?

Les initiatives agro-industrielles telles que Camvert doivent soutenues. Je crois également que le Groupe Nana Bouba a développé une initiative dans ce sens dans le département du NKAM dans le but de rendre ses raffineries autonomes. Le dynamisme des hommes d’affaires Camerounais et leur volonté d’investir dans le made in Cameroon n’est plus à démontrer et il doit être accompagné.

En ce qui concerne les critiques des ONG, je suis de ceux qui pensent que nous devons mettre les intérêts de notre population au centre de nos préoccupations. Nous ne pouvons pas arriver à une transformation structurelle de notre économie et obtenir une véritable souveraineté alimentaire sans passer par l’industrialisation. Toutefois, les acteurs qui s’engagent se doivent de mettre en œuvre des programmes de durabilité qui permettraient d’avoir un minimum de garanties socio- environnementales.

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