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Inondations à Douala : la facture

Secteur productif formel, secteur informel, services publics de proximité, infrastructures…à peu près tous les domaines de la vie économique et sociale de la capitale économique du Cameroun ont été pénalisés par la furie des eaux. Premier bilan d’une catastrophe qui a surtout affecté les populations les plus pauvres dont certaines ont perdu leurs moyens de subsistance.

Comme en 2015, des membres du gouvernement camerounais se sont dépêchés dans la ville de Douala au lendemain du quasi-déluge survenu dans la nuit du 21 au 22 août 2020. Il y a 5 ans Jacqueline Koung à Bessike, Jules Doret Ndongo et Jean Claude Mbwentchou, respectivement ministres des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières, ministre délégué auprès du ministre de l’Administration territoriale chargé des Collectivités territoriales décentralisées, et ministre de l’Habitat et du Développement urbain effectuaient au forceps une descente sur les zones d’inondations de Douala.

Les 23 et 24 août 2020, des quartiers sinistrés suite aux dernières inondations géantes ont reçu les visites successives de Célestine Ketcha Courtès et Atanga Nji, ministres de l’Habitat et du Développement urbain, et ministre de l’Administration territoriale. Ces descentes effectuées succédaient à celles effectuées par Roger Mbassa Ndine, le maire de Douala et Jean Jacques Lengue Malapa, le 22 août 2019.

Membres du gouvernement et élus locaux  se sont personnellement rendus à l’évidence de la gravité de la situation dans les ménages : mobiliers de maison imbibés d’eau, matériel électronique hors d’usage, documents détruits, murs de maisons effondrés etc…..«Il y’a 20 ans que nous n’avons pas vu pareille inondation». C’est dans un grand désarroi que s’exprimait Peifoura Ousmanou, habitant du quartier Bessengue, près de la partie avale du drain Mboppi. Le jeune-homme âgé de 36 ans, marié et père  de 3 enfants, s’attelait activement à une tache inhabituelle: sécher son mobilier et ses documents complètement mouillés par les eaux de pluie qui ont franchi et dépassé le seuil de 1m 50 de haut! «Nous avons tout perdu», ajoute-t-il exaspéré.

Pour Mpome Dika, habitant de Bessengue dans l’arrondissement de Douala 1er, «le drain qui passe par (leur) quartier a été mal conçu. Sa partie avale est très étroite. La conséquence c’est que toutes les eaux ainsi que les alluvions drainés confluent vers  ce goulot d’étranglement qui malheureusement est très vite débordé et bouché par les détritus. L’effet négatif est que les mêmes eaux reviennent en aval. Il a également été construit sans tenir compte des réalités géographiques de la zone, notamment le relief».

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Dettes

Thomas M. propriétaire de l’Institut de beauté «Thomas See Different», situé au quartier Bessengue est aux abois. Sa petite unité qui emploie 5 personnes a subi les affres des trombes d’eau tombées sur Douala: «séchoirs, casques, peigne à babylis, pinces à  cheveux, mèches, kit de Make up et autres matériels de soins esthétiques ont été détruits : «J’ai pris un crédit dans une banque pour lancer cette activité. Qui me remboursera toutes ces pertes afin que je parvienne à poursuivre mes activités et rembourser ma dette?», s’est interrogé les larmes aux yeux le jeune esthéticien. Comme Thomas, plusieurs petites unités commerciales de quartiers ont été endommagées par les eaux: ateliers de coiffure, boutique, commerces de charbon, vente de meubles, achalandages de matelas etc…..

A Bessengue, zone de sinistre visitée ce 22 août par le maire Jean Jacques Lengue Malapa, l’élu local est accueilli par un jeune courroucé, surpris avec une cargaison de sable extraite du drain qui serpente ce quartier populaire de Douala : «Monsieur le maire, les populations passent leur temps à verser leurs ordures dans les drains. Regardez vous-mêmes comment il est rempli de déchets». Agréablement étonné par cette interpellation, Jean Jacques Lengue Malapa a tout de suite donné des instructions à ses services techniques: «Dès lundi nous devons mettre un accent sur notre stratégie de pré-collecte des ordures. Ça évitera que les ménages jettent leurs déchets dans les drains». Tout en appelant à un esprit citoyen de ces derniers. Certains particuliers sont également accusés par les autorités de la ville de Douala d’ériger des constructions sur les drains, ou de positionner des édifices sur des zones non-constructibles, à la merci des inondations. Toujours à Bessengue, le spectacle d’après inondation est saisissant. Les populations sinistrées scrutent le ciel en quête d’un hypothétique rayon de soleil. Les objets à sécher s’étendent à des kilomètres.

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Déguerpissement

A Mboppi, les représentants des pouvoirs publics ne sont pas la bienvenue, accusés qu’ils sont de ne pas écouter les populations : «Nous leur avons dit depuis que le problème du drain Mboppi est au niveau  de la Scdp. La sortie de ce côté est bouchée, et l’eau ne circule pas», s’énerve un habitant. Pareillement, les pouvoirs publics sont accusés de ne pas procéder au curage des caniveaux, ni des drains bouchés par des déchets solides. Les autorités publiques sont par ailleurs accusées de «n’intervenir qu’après la catastrophe». Roger Mbassa Ndine et Jean Jacques Lengue Malapa ont néanmoins pu identifier quelques constructions érigées sur le tracé des drains: «personne  ne doit construire sur ou à une distance de moins de 7 m d’un drain.

Malheureusement, les populations ignorent cette réglementation». Pourtant après les inondations de 2015 et 2016, les autorités de la ville de Douala avaient engagé un vaste plan de libération des tracés des drains dans la cadre du projet de drainage pluvial de Douala (Pdp). Plus de 1000 familles riveraines des drains Ngongue, Mboppi, Kondi, la Dinde, Bonassama ou Tongo Bassa avaient ainsi été déguerpies et indemnisées par une commission présidée par Naseri Paul Béa, alors Préfet du Wouri.

Le PDP couvre 36 quartiers étalés sur 5 arrondissements de la capitale économique, soit 1592 hectares. Pourtant, après le drame du 21 au 22, 80% de la ville de Douala était sous les eaux.  Preuve des limites du réseau d’assainissement et de drainage dans le département du Wouri. D’après les experts de la Communauté urbaine de Douala, la ville était dotée avant le Pdp de 10 km de drains identifiés, sur 250 km prévus dans le schéma directeur de la ville de Douala. Le Pdp porte à près de 53 km, son réseau de drainage pluvial. Soit un peu plus de 20% des drains de tout l’arrondissement. Par conséquent, près de 80% des drains de la capitale économique sont habités et restent à la merci des inondations et catastrophes diverses causées par les pluies diluviennes en cours à Douala qui reçoit annuellement plus de 4000 mm d’eau pluviale.

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Les services publics de proximité paralysés

Le déchaînement des éléments survenu dans la nuit du 21 au 22 août 2020 dans la ville de Douala a provoqué d’importants dégâts matériels dans de milliers de ménages. Équipements électriques, matériels électroniques, mobiliers et autres objets divers ont été mis hors d’usage par les trombes d’eau qui atteignaient plus de 1m 60 de haut. Comme les ménages, les services publics ont été logiquement impactés par la pluie diluvienne tombée pendant plus de 14 heures de temps, sans interruption. A l’hôpital Laquintinie de Douala situé au quartier Akwa, haut lieu des inondations dans la ville de Douala, le service public a été momentanément perturbé: arrivée tardive du personnel, report d’approvisionnement en produits pharmaceutiques, consultations interrompues faute de patients etc…: «la situation était telle qu’il n’était pas possible de travailler normalement», confie un responsable du plus grand hôpital de Douala.

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Retards et Absences

A la sous-préfecture de Douala 1er située à Bonanjo, le quartier administratif de Douala, les traces de la furie des eaux sont encore visibles: alluvions, boue et flaques d’eau renseignent sur la violence des effluves. Ici également, «ça ressemblait à un vendredi mort», s’exprime l’une des préposés d’administration rencontrée entre deux couloirs ce 24 août 2020. Concernant le secteur privé,  de nombreux témoignages font également état d’arrivée tardive au travail, d’absences, de perturbation ou de report de prestations de services. Mtn Cameroon , Orange Cameroun, Viettel S.A et Camtel ont assuré leurs services malgré quelques couacs. A la direction générale du groupe Sabc à Bali, Rue du Prince Bell, les eaux ont très vite envahi l’enceinte métallique du groupe brassicole, obligeant certains usagers à se déchausser.

Nous apprendrons par ailleurs de bonne source interne que certains quartiers étaient inaccessibles par les services de livraison de la Sabc du fait du niveau élevé des eaux. Alors que les éléments du groupement de la sécurité routière et de la circulation sur la voie publique étaient invisibles, la circulation des véhicules s’est avérée impossible dans les plusieurs axes habituellement très fréquentés. 

Bien qu’ouvertes, les stations-service Tradex, Total, ou Gulfin peinaient à avoir des  clients, faute de circulation. Taxis, motos et particuliers préférant sécuriser leurs engins.

L’informel vaincu

Le secteur informel figure parmi les secteurs les plus impactées par la grande pluie. Constituant plus de 80% du tissu économique de Douala, ce secteur était quasiment à l’arrêt. Du marché central de Douala au marché de Makepe Missoke, il fallait s’armer de courage pour ouvrir son commerce. Les marchands fixes ou ambulants de produits de quincaillerie ont préféré rester chez eux. Tout comme les vendeurs occasionnels de parapluie qui ont disparu  des grands carrefours Rond point Deido, Ndokoti ou Yassa, sous la force des eaux.

La rue de la brocante de Bonakouamoung, Dubaï et Ancien 3ème, temples de vente et réparation des téléphones et accessoires, le carrefour de la ferraille à Mboppi, encore le marché Nkololoun, siège de la friperie à Douala, ou encore le grand marché Mboppi de Douala n’ont démarré leurs activités que vers 15 heures le 22 août 2020. Certains commerçants constateront d’ailleurs les dégâts causés par la grande pluie sur leurs marchandises ou produits parfois mal sécurisés. Des nouvelles en provenance du Port autonome de Douala contrastent curieusement avec l’ambiance de déluge général dans la ville portuaire : «excepté des flaques d’eau observées çà et là, les services portuaires n’ont pas connu de sérieuses perturbations», nous a confié discrètement un employé du Port autonome de Douala.

De façon globale, la ville de Douala, porte d’entrée et capitale économique du Cameroun a été fortement secouée par la violence météorologique. Au-delà du service public administratif, industriel et commercial, le microcosme économique de la ville de Douala a été partiellement chamboulé. A titre de rappel, la capitale économique du participe à hauteur de 3092 milliards de FCFA au Produit local brut du Cameroun, soit 31,2% du Produit intérieur brut national.

Le secteur avicole noyé dans les eaux

Les deux membres du gouvernement en visite d’urgence à Douala après les graves inondations survenues dans la nuit du 21au 22 août 2020 ont limité leur descente aux zones sinistrées, suivie d’une assistance de première nécessité apportée à plus de 500 familles submergées par les eaux. Pourtant, la catastrophe météorologique  a également provoqué des sinistrés économiques. Sérieusement frappé par ces inondations, le secteur avicole. Deux cas emblématiques permettent de mesurer l’ampleur des pertes et dégâts. Serge Trésor Ngatchi, éleveur de poulet et propriétaire de la chaîne de restaurant Allô Poulet n’en démord pas depuis la journée où il a tout perdu. «Avant la catastrophe nous étions dans une production d’une bande de 2000 poussins et déjà au 7ème jour», s’exprime avec désolation Serge Trésor Ngatchi. Devant l’opérateur économique, les dépouilles des poussins nageant dans une mare d’eau jonchent l’espace d’élevage situé au PK 16 dans l’arrondissement de Douala 5ème. Après la crise aviaire de 2016, la filière est concomitamment frappée par les effets de la Covid-19 et les catastrophes naturelles.

«C’est  la toute première que mon élevage de poussins est attaqué par une inondation de ce type», reconnaît Serge Ngatchi. Qui ne peut encore évaluer avec exactitude le montant des pertes: «Actuellement nous ne pouvons pas faire un listing rigoureux de nos pertes. Mais déjà, la totalité de nos poussins ont été noyés, les aliments destinés pour leur alimentation et certains médicaments sont hors d’usage. Les pertes se chiffrent à des dizaines de millions de FCFA», pense le promoteur d’Allo Poulet. 

Dans son rapport 2019 sur la situation des productions et des importations du sous-secteur élevage, pêches et industries animales, la division des Etudes, de la Planification, de la Coopération et des Statistiques du ministère de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales chiffre les pertes générales dans les sous-secteurs des  éleveurs, importateurs avicoles, accouveurs ou vendeurs de poulets de chair et produits dérivés de l’aviculture à plus de 7 milliards de FCFA. L’Interprofession pointe un doigt accusateur sur les mesures de restrictions imposées par le gouvernement depuis le 17 mars 2020.

Fulgurance des eaux

Les éleveurs de poulets de chair paient le prix fort des mesures du 17 mars 2020. «Le prix de poulet de 45 jours est passé de 2.300 à 1.500 fcfa, en un mois», d’après François Djonou, le président de l’Interprofession avicole du Cameroun. Avec 2.748.000 poulets vendus chaque mois, l’Ipavic dévoile des pertes de l’ordre de 2.199.000.000 de FCFA, au cours du premier mois d’application des restrictions du 17 mars 2020. Pour Serge Ngatchi, la catastrophe d’août 2020 est «celle de trop pour la filière avicole»: «Mon attente n’est pas juste pour mon entreprise avicole. Nous devons aller beaucoup plus loin. Le gouvernement doit prévoir un plan d’accompagnement productif du secteur avicole», propose Serge Ngatchi.

Dans sa ferme du quartier Village, dans l’arrondissement de Douala 3ème, Chamberlain Miaffo rumine sa colère. Rencontré dans sa ferme artisanale, son élevage de poulet de chair a été dévasté: «les eaux atteignaient plus d’un mètre. Ma volaille n’avait aucune chance malgré ma prompte réaction. La vitesse des eaux était fulgurante. Il fallait sauver le mobilier, les poussins et ma famille», décrit le malheureux qui n’a pu sauver qu’une dizaine de poussins. Son exploitation enregistrait avant la catastrophe 1600 poussins de chair. Comme Serge Ngatchi, Chamberlain Miaffo a perdu dans les eaux, intrants, produits et autres composants utiles à l’activité avicole. L’éleveur meurtri, hésite également à chiffrer ses pertes: «c’est beaucoup d’argent. C’est ma vie. C’était ma principale activité. Que vais-je devenir désormais ? », s’interroge Chamberlain Miaffo.

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