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Interview : mes 4 ans à la tête du Centre Pasteur du Cameroun, Pr Elisabeth Carniel

Un Laboratoire d’analyses médicales 24H/24 et 7j/7 avec un système de rendu des résultats en ligne ; une certification ISO 15189 ; un équipement de pointe dont un Maldi-tof, l’unique en Afrique centrale... le Centre Pasteur du Cameroun (CPC) a tout d’un institut de recherche fleurissant. Pourtant, ce n’était pas le cas il y a quelques années, avant l’arrivée du Pr. Elisabeth Carniel comme directrice générale. CPC alimentait alors la chronique des faits divers à cause du climat social délétère et de sa trésorerie exsangue. Aujourd’hui, le centre a consolidé son statut de référence dans un contexte d'incertitudes, lié à la pandémie du coronavirus ou il a joué sa partition permettant au Cameroun de rassurer au mieux la communauté des affaires. Dans cette interview-bilan exclusive accordée à EcoMatin, le Pr. Elisabeth Carniel passe en revue son action à la tête du CPC, les difficultés, les réalisations et les défis.

Cela fait 4 ans que vous avez officiellement pris fonction en tant que Directeur Général du Centre Pasteur du Cameroun (CPC). Dans quel état l’avez-vous trouvé et dans quel état le laissez-vous ?

Je suis arrivée au Centre Pasteur du Cameroun en septembre 2017. A mon arrivée, je m’attendais à trouver un institut fleurissant mais ce n’était pas le cas. Il régnait un climat social délétère ; le personnel menaçait de faire grève et avait écrit aux autorités camerounaises pour se plaindre de diverses choses. En dehors de cela, j’ai trouvé aussi une situation financière catastrophique. Pour l’année 2017, le Centre Pasteur affichait un déficit financier monstrueux (de plus de -530 millions de Fcfa). Et comme si cela ne suffisait pas, la réserve de 2 milliards de FCFA qui était utilisée pour pallier à des imprévus, avait complètement disparu.

La situation était extrêmement difficile. J’ai donc dû faire tout ce que je pouvais pour tenter de l’améliorer. Grâce notamment à des contrôles très stricts des dépenses, qui étaient difficiles pour tout le personnel, et grâce à l’alignement du coût des analyses sur celui de des autres laboratoires du Cameroun, nous avons pu dès 2018 repasser nos résultats financiers en positif, ce qui nous a permis d’éviter des licenciements et de payer les salaires et les primes dans les temps. Cela n’a pas été facile mais je peux dire aujourd’hui que tous ensemble nous avons réussi à remonter la pente.

Comment avez-vous amélioré le climat social ?

Cela s’est fait essentiellement par le dialogue. Quand je suis arrivée, il y avait d’une part un problème avec les primes du personnel et d’autre part des techniciens qui demandaient une reconstitution de leur carrière. C’était les deux principales revendications qui étaient nées pendant l’intérim entre mon prédécesseur, parti en fin 2016 et mon arrivée fin 2017. Sur le problème des primes, nous avons discuté avec les délégués du personnel et le personnel pour trouver un terrain d’entente entre eux et le Conseil d’Administration. Quant à la reconstitution des carrières, j’ai beaucoup discuté avec les techniciens, certains ont accepté la proposition qui avait été faite par le Conseil d’Administration et d’autres non. Ces derniers ont par la suite décidé de porter le problème devant la justice pour régler le différend, qui n’est toujours pas complètement réglé d’ailleurs. Mais en tout cas d’une façon générale le climat social s’est apaisé et les choses sont rentrées dans l’ordre.

Pour l’année 2017, le Centre Pasteur affichait un déficit financier monstrueux (de plus de -530 millions de Fcfa). Et comme si cela ne suffisait pas, la réserve de 2 milliards de FCFA qui était utilisée pour pallier à des imprévus, avait complètement disparu

Au Cameroun le personnel vous trouve trop exigeante, un peu distante… comment gérez-vous au quotidien vos relations avec vos collaborateurs ?

Je suis en effet exigeante car si le CPC veut rester un Centre d’excellence, il est essentiel que son personnel soit au niveau d’exigence requis par ce label. La majorité du personnel du CPC est constituée de personnes compétentes qui font très bien leur travail. Je dois les féliciter pour leur dévouement pour leur institution. Ce sont les quelques personnes qui ne sont pas la hauteur de ce qui est attendu d’elles qui se plaignent le plus. Mais je maintiens que pour qu’un établissement soit performant, il faut un personnel performant.

Quels sont les accomplissements à mettre à votre actif ?

Pendant les 4 ans de mon mandat, les principaux accomplissements ont été notamment une amélioration très nette du laboratoire d’analyses médicales et de l’accueil. Vous avez dû le voir, nous avons fait des rénovations importantes des locaux pour les rendre plus agréables et modernes, nous avons changé le mobilier, nous avons mis en place un système d’appels automatiques des patients, nous avons augmenté le nombre de caisses d’enregistrements, ce qui a diminué de façon très conséquente les temps d’attentes. Nous avons aussi mis en place l’ouverture du Laboratoire d’analyses médicales 24H/24 et 7j/7. C’était très important pour améliorer le service aux patients. Et puis tout récemment, nous avons également mis en place un système de rendu des résultats en ligne qui fait que les patients n’ont plus besoin de venir chercher leurs résultats au Centre Pasteur. Dès que les résultats sont disponibles, ils leur sont notifiés par SMS et il suffit alors de télécharger les résultats à partir de la plateforme qui a été créée. Ceci permet de ne plus se déplacer et de recevoir ses résultats dès qu’ils sont prêts. Nous avons ainsi obtenu une accréditation ISO 15189 qui est une reconnaissance internationale de la qualité des analyses effectuées au CPC.

Le déficit énergétique est également un problème pour les formations sanitaires, comment avez-vous contribué à le pallier ?

Actuellement il y a des travaux en cours au CPC pour installer un système d’électricité photovoltaïque intelligent. Les problèmes de variation d’électricité et de coupures de courant sont un gros problème parce que cela abîme nos machines et interrompt le travail en cours. Par exemple, lorsqu’un automate est lancé et qu’une coupure survient, en attendant que le groupe électrogène prenne le relais, le travail est annulé. Il faut redémarrer les appareils et recommencer à zéro. Cela nous coûte en temps de rendu des résultats et en réactifs. Le système photovoltaïque que nous avons mis en place va prendre l’énergie solaire et le courant qui vient d’Eneo, et le redistribuer de façon à ce qu’il n’y ait ni coupures ni variations de courant électrique.

Vous avez évoqué plus haut un déficit en 2017. Aujourd’hui, quelle est la situation financière de l’entreprise que vous avez dirigé pendant 4 ans ?

La situation s’est bien améliorée en 2018 et 20219. Mais en 2020, comme vous le savez, la pandémie de coronavirus est arrivée et les activités du laboratoire d’analyses médicales du Centre Pasteur qui était reparties à la hausse ont fortement chuté. La situation économique du Centre Pasteur a été affectée. La hausse qu’on avait pu observer en 2019 s’est arrêtée pour tomber en 2020 à un léger déficit (-2 millions Fcfa), c’est-à-dire un résultat net presqu’à l’équilibre. Je pense que ce sont toutes les mesures mises en place qui ont fait que nous ayons mieux résisté. En 2021, je peux déjà vous dire que les activités sont reparties à la hausse et que nous sommes sur une voie d’amélioration des finances.

Nous avons obtenu une accréditation ISO 15189 qui est une reconnaissance internationale de la qualité des analyses effectuées au CPC. Nous avons acquis un Maldi-tof. Le seul qui existe en Afrique centrale

Vous avez sans doute eu à prendre connaissances de faits relayés dans la presse locale faisant état de coûts relativement élevés au Centre Pasteur, alors même que vous êtes censés mettre à la disposition des camerounais des soins à des coûts relativement abordables. Que répondez-vous à cela ?

Ces faits sont complètement infondés, en ce sens qu’au Centre Pasteur, les prix appliqués sont ceux de la nomenclature. Nous ne pratiquons aucun prix au-dessus de ce qui est prévu au niveau du Cameroun malgré l’accréditation ISO des analyses. De plus, Il faut savoir que nous continuons au CPC à accorder de nombreuses réductions et donc à jouer notre rôle social, jusqu’à 30 – 50%, pour les élèves, les étudiants, les fonctionnaires, les handicapés, les malades hospitalisés, les personnes âgée…

Comment appréciez-vous votre participation à la lutte contre la covid-19 ?

Je pense que la contribution du Centre Pasteur pour la lutte contre la Covid-19 a été majeure. Nous avions déjà en place les équipements et le personnel bien formé au diagnostic moléculaire. Grâce à notre appartenance au Réseau International des Instituts Pasteur, nous avons pu très vite récupérer les réactifs nécessaires qui venaient d’être préparés par les Instituts Pasteur de Paris et de Hong Kong. Cela a permis que, dès le mois de février, le diagnostic moléculaire de la Covid-19 était opérationnel au CPC. Ainsi le Cameroun a été l’un des premiers pays d’Afrique disposant du diagnostic moléculaire. Au départ, c’est uniquement au Centre Pasteur que le diagnostic était fait, mais c’était compliqué pour le diagnostic dans les autres régions, Douala et ailleurs. Ensuite, le Minsanté nous a chargé de la mise en place de ce diagnostic dans les différentes régions du Cameroun. Grâce à cela le Cameroun a pu rapidement faire le diagnostic sur l’ensemble du territoire. Ce que le Centre Pasteur a fait également a été de mettre en place un système informatisé de remontée des données pour permettre au ministère de la Santé de savoir combien de tests PCR avaient été faits, et combien étaient positifs, ce qui était très important pour la surveillance.

Quels sont aujourd’hui, les défis du Centre Pasteur du Cameroun 

Le Centre Pasteur est un laboratoire de référence pour une vingtaine de pathologies, dont le VIH, les méningites, le choléra, la tuberculose, la fièvre jaune, les hépatites. Nous avons aussi un rôle régional puisque nous sommes Centre collaborateur de l’OMS pour la fièvre jaune au niveau régional et Centre collaborateur de l’OMS pour le diagnostic de l’ulcère de Buruli pour l’Afrique. Notre défi est de toujours continuer à progresser, faire des choses nouvelles pour toujours être à la pointe du progrès de faire bénéficier es patients camerounais et la santé publique de ces développements.

Nous continuons à accorder de nombreuses réductions, jusqu’à 30 – 50%, pour les élèves, les étudiants, les fonctionnaires, les handicapés, les malades hospitalisés, les personnes âgée

Quels sont les dossiers urgents sur lesquels devra se pencher votre remplaçant ?

Ce sera à mon successeur de le décider.

Un mot à l’endroit de vos collaborateurs

Je les remercie très sincèrement d’avoir accepté tous les changements que j’ai apportés, ce qui n’était pas toujours facile, et je tiens à leur dire que toutes les améliorations apportées n’auraient jamais pu se faire sans eux.

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