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Journée internationale de la femme : 5.000.000 de mètres de tissus sortis de la Cicam

La queue est interminable devant les principales boutiques Cicam d’Akwa et Ndokoti-Douala. Une véritable ruée vers les tissus pagnes de la 34ème Journée internationale de la femme qui se célèbre ce 8 mars 2019. Grossistes, détaillants ou particuliers s’arrachent la précieuse étoffe à la dernière minute de la célébration de cet événement majeur. Nicolas Njoh, le directeur commercial et marketing de la Cicam, Cotonnière industrielle du Cameroun, est pourtant clair sur la gestion des stocks disponibles: « nous avons pris des dispositions pour qu’une personne ne puisse acheter plus de deux exemplaires de ce tissus, afin de permettre à tout un chacun d’en disposer ».  Prix usine: 6.500 FCFA, clairement indiqué sur une étiquette adhésive apposée sur chaque exemplaire de couleur rose ou verte. Prix qui connaît malheureusement d’importantes fluctuations, atteignant parfois 12.500  FCFA pour 6 yards.

Comme la fête du travail ou la Journée mondiale de l’enseignant, la Journée internationale de la femme est considérée comme une période de bonnes affaires pour la Cicam. Son chiffre d’affaires passant aisément du simple au quintuple. Du décompte effectué par Nicolas Njoh, la production du pagne Jif 2019 a déjà atteint  5.000.000 de mètres, sortis de l’usine Cicam au 5 février 2019. « Nous recevons encore des commandes de dernière minute », indique le directeur commercial et marketing de la Cicam.

Malgré cette embellie conjoncturelle, la réalité est pourtant différente. L’entreprise historique se meurt lentement du fait du commerce illicite, contrebande et contrefaçon. « La Cicam employait  plus de 2000 personnes. Présentement on atteint  à peine 1000. L’entreprise perd 2 milliards de F.CFA de fencies, alors qu’on devrait avoir entre 3 et 4 milliards de nos francs », indique Nicolas Njoh, au sein de la cotonnière depuis 1977. Tout part selon lui, des années 88 et 89. Le Naira, monnaie du voisin Nigéria connaît une brusque dévaluation. Hypothéquant la pénétration des tissus Cicam dans ce vaste marché de 130 millions de consommateurs: « En moins de 2 ans, on a assisté à une invasion de produits dans nos marchés à des prix défiant toute concurrence. D’abord dans le Grand-Nord, Fotokol, Dabanga, Waza, Durbey, Mayo Oulo, Demsa, Tiket », relate Nicolas Njoh. Conséquence, le prix du yard de pagne va drastiquement chuter: 6 yards à 1500 FCFA!

Cicam, victime de la concurrence déloyale du tissu asiatique

Dès novembre 1985, la première dévaluation du Naira signe le début d’une longue série qui portera son taux de change de 1000 Fcfa en 1985 à seulement 70 Fcfa aujourd’hui. Avec pour conséquence, une inversion des flux commerciaux et l’invasion du Cameroun par des produits nigérians à des prix extrêmement compétitifs. Pour la Cicam, cela s’est traduit par un effondrement de ses ventes sur les marchés nationaux et régionaux qui, en 1998, ne représentaient que 30 % de leur niveau de 1985, pour se stabiliser à moins de 20% en 1992. En 1986, la baisse continue du dollar a fortement réduit les prix des produits à l’exportation, aggravant simultanément la crise financière des Etats. Encore une fois, la Cicam subit de plein fouet l’effondrement des prix de vente des écrus à l’exportation, dont le niveau de tarif, pour certaines armures, se situait en dessous des coûts directs. En mars 1986, l’effondrement du prix du pétrole  de 36 à 15 $ le baril, précipite les Etats pétroliers africains et le Cameroun en particulier (60% des recettes à l’exportation) dans une crise financière impliquant un surendettement et des restrictions budgétaires. Cette situation conduira à la dévaluation du Fcfa en janvier 1994 et à une baisse continue du PNB par habitant, qui est passé de 1000 $ en 1985 à 450 $ en 1993. Simultanément, le chiffre d’affaires de la Cicam s’est réduit de 70 %, passant de 23,3 milliards de F.CFA à 7 milliards de F.CFA en 1994.

les espaces marchands locaux sont en effet achalandés en majorité des pagnes venus principalement de Chine

C’est encore avec désespoir que Nicolas Njoh évoque les routes asiatiques, qui vont aggraver les malheurs de la Cicam: « depuis 1998/1999, les pays asiatiques dont la Chine ont pris le relais. La plupart des produits de contrefaçon et de contrebande ont envahi plus de 70 % de l’espace économique jusqu’en 2010, atteignant ainsi les taux records de 80 à 90 % en 2015 et 2016 », déclare Nicolas Njoh. Les espaces marchands locaux sont en effet achalandés en majorité des pagnes venus principalement de Chine. Au-delà de cette rude concurrence, on signale une importante filière de contrebande des produits Cicam: « nous ne sommes pas les seuls à subir ces perversités. Mais, nous croyons pouvoir affirmer que le secteur du textile est aujourd’hui celui qui souffre le plus de ce phénomène car 95 % du marché classique (pagne de base) est occupé par des produits Cicam, qui couvre à peine 5 % du marché ».

Pour les managers de la cotonnière industrielle du Cameroun, le commerce illicite se porte bien, du fait du « laxisme, du laisser-faire des pouvoirs publics, de l’opportunisme de certains opérateurs économiques véreux, et de la confusion habituelle entre libéralisme et libertinage économique qui prévaut. Le laisser faire de l’Etat se traduit essentiellement par son peu d’empressement à appliquer les textes existants en matière de commerce et du droit d’entrée dont l’application effective  suffirait à apporter un début de solution aux entreprises victimes du commerce illicite », s’indigne encore la Cicam. D’ailleurs, apprend-on, « les copies sont de plus en plus faites à l’identique, line by line, avec des inscriptions d’origine en lisière, que seuls les vrais hommes du textile peuvent détecter », expliquent des experts de l’industrie textile, qui ajoutent que ces faux pagnes sont vendus au même prix que les originaux.

Chemin de croix vers la recapitalisation

L’activité industrielle de la Cicam se répartit sur trois sites: Garoua où deux usines de filature et tissage transforment le coton, acheté à la Sodecoton, en tissu écru dont une partie est destinée à la grande exportation vers l’Europe. Douala, avec le traitement des écrus de Garoua pour  transformation en tissus teints ou imprimés. Encore Douala, où sont également produits des tissus éponges à partir des filés de coton livrés par l’usine de Garoua.

L’activité commerciale de la Cicam s’exerce par l’intermédiaire de sa filiale Newco, rachetée en 1990 au groupe Cnf, alors premier client de la Cicam, qui avait décidé son retrait du secteur textile. La Société Newco, plus connue sous la marque commerciale, Laking Textiles est implantée sur tout le territoire avec un réseau de boutiques de vente en gros et au détail. Le groupe Cicam est devenu, au fil des ans, un ensemble intégré offrant au consommateur une large gamme de produits textiles distribués sur les principales villes et dans les marchés les plus reculés du territoire national. Cicam, a pu, grâce à cette structure intégrée, résister aux crises économiques des années 1988 à 1993 et, est devenu le complexe textile le plus important de la région. Pendant 20 ans, de 1965 à 1985, la Cicam a évolué dans un environnement porteur, en particulier la deuxième décennie au terme de laquelle son chiffre d’affaires annuel a atteint l’équivalent de 70 M€ pour une production de filés dans ses usines de Garoua, de plus de 6.500 tonnes.

À cette époque, la progression de l’activité s’appuyait sur le développement des économies des pays africains, et du Cameroun en particulier, portés par un taux élevé du dollar et un prix soutenu du baril de pétrole à 36 $. De plus, la Cicam exportait une partie de ses produits vers le vaste marché nigérian. Ce retournement brutal de conjoncture a entraîné la Cicam dans un cycle de pertes chroniques. Malgré des mesures de restructuration industrielle et de redéploiement commercial, prises dès 1989, l’endettement de la Cicam a atteint 15 milliards de F.CFA en 1992. Toutes les industries textiles de la zone se sont retrouvées dans une situation identique et les divers plans de redressement élaborés individuellement par la Cicam, Ucatex en Rca et Stt au Tchad n’ont pas abouti. Ainsi est apparu en 1991, que le maintien économique d’une industrie viable dans la zone Udeac pouvait faire l’objet d’une approche régionale et, en accord avec la Caisse Française de Développement, appuyée par l’aide d’un consultant extérieur, Dmc va proposer un plan de restructuration de l’industrie textile de toute la zone.

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