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Coronavirus: la Beac gravement infectée

Comité de politique monétaire reporté, absence de consensus sur la politique monétaire à adopter…la Banque des Etats de l’Afrique centrale reste démunie face à la crise.

Ce qui est définitivement acquis, c’est que la première session ordinaire du Comité de Politique monétaire de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) de l’année, initialement prévue pour le 25 mars 2020, est reportée à une date sine die. Selon une correspondance de la Beac parvenue à EcoMatin, ce report aurait été décidé «à la suite de la propagation de la pandémie du Coronavirus (Covid-19) et afin de respecter les mesures sanitaires préconisées par les différents gouvernements des Etats de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, qui compte le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad, ndlr) en prévention d’éventuelles contaminations». Explication valide, mais surtout commode et pratique en ces heures de «Coronavirus Blues» sur le continent, pour tenter de dissimuler des raisons plus souterraines.

La première, selon des sources concordantes, c’est l’impossibilité, pour les représentants de l’Etat français, d’être physiquement présents à cette session. «L’option d’une vidéo-conférence a d’abord été envisagée. Elle reste certes sur la table. Mais elle n’arrange pas grand monde. Ce qui est optimal, c’est que tous les membres soient physiquement présents», souffle, laconique, une source à la Beac.

Choc symétrique

Mais EcoMatin est en mesure d’écrire que si cette contrainte a bien hypothéqué la rencontre, c’est une autre, plus dirimante, qui en a provoqué le report : l’absence de consensus sur une politique monétaire claire qui permettrait à l’institution d’émission de soutenir une activité de production frappée de plein fouet par les mesures de confinement décidés par les différents gouvernements de la sous-région. En toute théorie, le choc étant symétrique dans tout l’espace communautaire-même si les différentes économies sont impactées à des degrés très différents-la mobilisation d’une politique monétaire de relance, conjoncturelle et contracyclique est d’ordinaire moins ardue qu’en situation de choc asymétrique. A l’image de sa consœur ouest africaine (voir ci-dessous), la Beac pouvait donc se montrer plus réactive. Mais cela, c’est la théorie. Car, en pratique, il en va tout autrement.

D’abord, il y a le contexte même de la survenue de cette crise. Pressée depuis des mois par le Fonds monétaire international qui s’inquiétait de la surliquidité des banques de second rang et des menaces de fuite de capitaux et donc de devises qu’elle fait courir à la stabilité extérieure de la monnaie commune du fait de mécanismes défectueux de transmission de la politique monétaire à l’économie, la Beac s’est résolue, en février dernier, à lancer la phase active de sa politique de ponction de liquidités dans le système bancaire.

Depuis des mois, l’institution d’émission freinait des quatre fers pour mettre en route cette politique restrictive, préoccupée par les coûts d’une telle opération dont elle savait d’avance qu’elle allait dégrader ses comptes d’exploitation. La Beac était surtout inquiète des conséquences d’une telle politique monétaire sur les bilans de certaines banques commerciales, en particuliers sur celles qui sont systémiques. C’est donc à pas comptés qu’elle a fini par y aller. Moins d’un mois après, le Coronavirus lui impose de revoir totalement cette politique.

Service minimum

A cet égard, ce qui est acquis, selon les sources d’EcoMatin, c’est qu’elle a décidé de suspendre ce retrait de liquidités. «C’est un peu le service minimum qu’il y avait à faire», assure une source au sein de la Banque. Arrêter cette politique restrictive pour quoi faire ?

Lancer une politique monétaire plus accommodante pour faire face au choc de l’offre, et sans doute à celui de la demande qui se profile à l’horizon si le premier devait perdurer? Les membres du Comité de politique monétaire sont particulièrement divisés sur la question. La cause ? La défectueuse transmission de la politique monétaire à l’économie. Qu’il s’agisse d’une politique accommodante basée sur la baisse de son taux directeur (le taux auquel elle prête aux banques) ou sur les opérations de rachat de titres publics ou de titres spécifiques détenus par les banques, le report à l’économie réelle des ressources ainsi injectées dans le système est loin d’être mécanique, du fait de nombreuses fuites.

«Nous sommes déjà en situation de surliquidité des banques. Qu’est ce qui garantit qu’en injectant des fonds supplémentaires dans les banques, ces dernières vont consentir à financer l’économie ?» demande un cadre de la Beac. Qui poursuit : «Cette option est d’autant moins pertinente que ce choc intervient au moment où la Beac n’a pas achevé les réformes et la dynamisation de l’espace financier de la sous-région, pour permettre au plus grand nombre d’entreprises d’être cotées en bourse».

Levier réglementaire

Reste dès lors, à actionner le levier réglementaire, ce que beaucoup de cadres de la banque centrale recommandent, à travers notamment une inflexion de la norme prudentielle communautaire relative au ratio de couverture des risques pondérés par les fonds propres nets dont le minimum réglementaire est fixé à 8 %. Sauf que ce levier réglementaire, de moins en moins utilisé par les banques centrales dans le cadre du contrôle monétaire, comporte lui aussi de graves menaces, en particulier sur les bilans des banques commerciales.

Un véritable triangle des Bermudes en somme pour la Banque Etats de l’Afrique centrale, qui la laisse totalement démunie pour l’instant face à cette crise qui menace le secteur formel de l’économie de la sous-région dans ses fondations.

La Bceao en ordre de bataille

C’est par un communiqué du Gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest-Bceao, Tiémoko Meyliet Kone, que celle-ci a fait connaître, le 22 mars dernier, son plan d’urgence en huit points, pour permettre aux économies de la zone Umeoa, de faire face à la pandémie au Coronavirus. La Bceao a ainsi décidé, entre autres, «d’augmenter les ressources mises à la disposition des banques, afin de permettre à celles-ci de maintenir et d’accroître le financement de l’économie. A cet égard, une première hausse de 340 milliards a été apportée au montant que la Banque Centrale accorde chaque semaine aux banques, pour le porter à 4.750 milliards ; d’élargir le champ des mécanismes à la disposition des banques pour accéder au refinancement de la Banque Centrale. Dans ce cadre, la Bceao a pris l’initiative de faire la cotation de 1.700 entreprises privées dont les effets n’étaient pas acceptés auparavant dans son portefeuille. Cette action permettra aux banques d’accéder à des ressources complémentaires de 1.050 milliards et aux entreprises concernées de négocier et bénéficier de meilleures conditions pour leurs emprunts».

Autre mesure arrêtée, l’affectation de 25 milliards au fonds de bonification de la Banque Ouest Africaine de Développement (Boad) «pour permettre à celle-ci d’accorder une bonification de taux d’intérêt et d’augmenter le montant des prêts concessionnels qu’elle accordera aux États pour le financement des dépenses urgentes d’investissement et d’équipement dans le cadre de la lutte contre la pandémie», de même que la mise en place, avec le système bancaire, d’ «un cadre adapté pour accompagner les entreprises affectées par les conséquences de la pandémie et qui rencontrent des difficultés pour rembourser les crédits qui leur ont été accordés. La Bceao sollicitera les banques pour qu’elles accordent les reports d’échéances appropriés, en particulier aux PME/PMI».

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