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La filière porcine bat de l’aile à l’Est Cameroun

Entre 800 à 1000 éleveurs pendant la période 2009-2015 selon la confédération des éleveurs de porcs de l’Est, l’on compte au bout du doigt le nombre des producteurs aujourd’hui. A l’origine, le coût élevé de production et l’absence de subvention de l’Etat à la filière. Comme conséquence, la viande de porc consommée dans la région est en grande partie importée du Grand-Nord dans des circuits informels et vendue au prix d’or auprès du consommateur.

A 18 heures 30 minutes, dimanche 06 juin 2021, Marcelin Domba, l’un des vendeurs de viande de porc au centre-ville de Bertoua n’avait pas encore son produit prêt à consommer. Pourtant, ses multiples clients l’attendaient déjà devant son four de braise. Dans cet espace situé devant beaucoup de bars et en face d’un hôtel de la place, l’on dénombre 4 vendeurs de viande de porc braisée mais seulement un de ces commerçants était véritablement prêt à servir ses clients au moment du passage du reporter de EcoMatin à 18 heures 30. « Si je suis en retard pour servir mes clients c’est parce qu’il y a manque de porc à Bertoua. On se débrouille pour se ravitailler auprès de transporteurs qui amène les porcs du Grand-Nord », explique Marcelin Domba. Dans ce contexte, explique le jeune commerçant, le commerce de la vente de la viande de porc braisée n’est plus rentable. « On achète un porc moyen entre 80.000 à 100.000 F et on revend un morceau de porc braisé entre 600 et 700 F. Vous constatez que c’est difficile d’obtenir 200 morceaux de porc pour prétendre réaliser un bénéfice sur un animal. Donc, pour tout dire, on ne gagne rien. On mise seulement sur les boyaux et la tête », précise Marcelin Domba en évoquant aussi le manque d’un abattoir digne de nom à Bertoua et le harcèlement fiscal par les agents de la communauté urbaine comme d’autres difficultés rencontrées par ceux qui braisent le porc à Bertoua.

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Au marché central de Bertoua, c’est la même ambiance de rareté qui règne à la boucherie de viande de porc située au lieu-dit ancien pharmacie Galien. « C’est très difficile, il n’y a pas de porc ici à Bertoua. Chacun se bat comme il peut pour se ravitailler auprès des transporteurs des marchandises vers le Grand Nord qui, après avoir constaté cette rareté ont développé l’idée d’acheter ces animaux et de les revendre à Bertoua. C’est pourquoi le porc est devenu très cher sur le marché à Bertoua et même dans toute la région de l’Est », nous confie Fabrice Fokou, l’un des trois vendeurs rencontrés sur ces lieux, lundi 07 juin 2021. Dans ce marché, indique Fabrice Fokou, le kilogramme de cette viande coûte 2500 Fcfa et ne permet pas aux commerçants de réaliser un bénéfice puisque le porc vient du Grand Nord et coûte plus cher.

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En effet, la filière porcine se meurt dans la région de l’Est. Cette décrépitude se traduit par la chute drastique du nombre de producteurs et par ricochet, la réduction de la qualité et quantité du porc disponible pour le marché local. Selon Robert Mokom, président de la confédération des GIC et Union des GIC des producteurs de porc de l’Est, « de 800 à 1000 éleveurs entre 2009-2015, l’on compte au bout du doigt le nombre des producteurs aujourd’hui ».

Difficultés

Pour les producteurs, deux raisons fondamentales sont la cause de la pénurie de la viande de porc dans la région de l’Est. Il y a d’abord le coût élevé de production de porc. « La production de porcs coûte excessivement cher. Pour élever les porcs dans de bonnes conditions, il faut construire un bâtiment solide que je peux estimer à 2 millions de F pouvant contenir 10 porcs. Après le bâtiment, 70% de l’investissement seront pour la nutrition (soja, maïs, arachides et le blé entre autres) et le suivi vétérinaire dont les médicaments et la vaccination », affirme Robert Mokom qui actuellement se bat à élever 16 porcs localement dans son ranch alors que son ambition est de « construire une ferme moderne dans son espace à Mokolo 4 et créer un étang de poisson ». L’absence de bâtiments solide pour contenir les porcs provoque la divagation de ces animaux dans certaines localités qui dévastent les plantations agricoles d’où les multitudes conflits agropastoraux observés sur le terrain. La deuxième difficulté évoquée par les producteurs c’est l’absence de subvention de la filière par l’Etat. « Aujourd’hui, les éleveurs se battent individuellement sans assistance », se lamente un éleveur au quartier Enia à Bertoua. Notre interlocuteur se rappelle de la période entre 2009 et 2015 quand le ministère de l’Élevage, des pêches et des industries animales (Minepia) apportait quelques appuis à la filière. Pendant cette période le programme de développement de la filière porcine octroyait des petites subventions aux producteurs même si celles-ci étaient dérisoires de l’avis des éleveurs. Pendant l’exercice 2009/2010 se rappellent les producteurs de la ville de Bertoua, ce programme avait octroyé une petite subvention d’un fonds rotatif et non remboursable de 15 millions de frs, dans le cadre de son appui à la structuration de la filière comme préalable à tout financement d’envergure.

Les vaccins en question

Dans l’arrondissement de Ketté, département de la Kadey, un groupe des éleveurs de porcs évoque un autre problème qui rend l’exercice de cette activité difficile. Il s’agit de la disponibilité permanente des vaccins compte tenu de l’absence des pharmacies vétérinaires à cause de l’enclavement de plusieurs localités de l’Est. On se rappelle à ce sujet que Dr Abel Wade alors directeur de l’antenne Yaoundé du laboratoire national vétérinaire (Lanavet) lors du lancement d’une campagne de vaccination à l’Est il y a quelques années avait indiqué le rôle de cet organisme en ce qui concerne la protection de la santé animale au Cameroun qui est la production des vaccins en permanence et sur toute l’année. « Pour toute campagne de vaccination organisée par le Minepia, nous produisons une quantité suffisante de vaccins avec des marges substantielles. Par ailleurs, l’organisation structurelle du Minepia met à la disposition des éleveurs plus de 700 centres zootechniques au Cameroun. Ce sont donc ces centres qui sont à la fin de la chaîne administrative qui est chargée de la disponibilité du vaccin auprès des utilisateurs que sont les éleveurs ». Malgré cette mesure du Minepia on assiste à des ventes illicites de vaccins et des antibiotiques dans certaines localités qui mettent en péril la santé animale en général et celle de porcs en particulier.

Prodel : l’espoir perdu

Au niveau de la délégation régionale de l’Elevage, des pêches et des industries animales de l’Est, tous les efforts pour rencontrer le délégué régional afin d’avoir un état des lieux et les statistiques de la situation de la filière porcine sont restés vains. Néanmoins, selon l’un des chefs de service, « l’Etat a mis sur pied tout un projet pour soutenir l’élevage en général au Cameroun ». Il s’agit du projet de développement de l’élevage (Prodel). Son objectif est d’améliorer la productivité des systèmes de production animale sélectionnés et la commercialisation des produits des bénéficiaires ciblés et apporter une réponse immédiate et efficace en cas de crises ou d’urgences. Il concerne les systèmes de production pastorale, d’élevage à cycle court, d’élevage villageois dans les filières de bovins (viande et lait), de petits ruminants (ovins et caprins), de porcs et de volailles.

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Dans le volet amélioration de l’accès aux services essentiels à l’élevage, il s’agit de faciliter l’accès aux services de santé animale (réduction du taux de prévalence des maladies animales majeures, accès aux intrants de qualité, au matériel génétique performant (élaboration de la stratégie nationale d’amélioration génétique animale (ruminants et porcs) et de production fourragère), appui institutionnel et gestion des crises et réponse aux urgences.

L’autre volet du Prodel concerne l’amélioration de la productivité pastorale, l’accès aux marchés et de la résilience des communautés pastorales. Dans ce sens, 30 communes sélectionnées dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord, de l’Adamaoua et de l’Est (Lom et Djerem, et Kadey) bénéficient de l’appui du projet. Il y a également l’augmentation de la contribution de l’offre nationale en viande rouge des zones urbaines tout en améliorant les systèmes de production d’élevage (bovins, petits ruminants, volaille) pour des pauvres et communautés affectées par des conflits. De la même manière, l’augmentation de la productivité des systèmes de production pastorale et promotion de la transhumance et de la sécurité en finançant des sous projets qui seront présentés et gérés par les communautés locales.

Enfin, l’appui au développement des chaînes de valeur de l’élevage dont le développement des filières d’élevage (bovin, porc, volaille, chèvre, mouton, miel) afin d’augmenter leurs contributions à l’approvisionnement de la demande nationale en produits des chaînes de valeur ciblées (viande, œufs, lait, miel, etc.) par un engagement significatif des entrepreneurs locaux dans ces secteurs et des institutions financières.

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Mais pour les éleveurs de porcs de l’Est, ces beaux objectifs du projet Prodel sont loin de la réalité. « Le Prodel ne finance que les grands producteurs qui présentent des projets de 80 à 100 millions F avec un appui personnel de 10%. Notre doléance principale est que le Minepia pense à appuyer les petits producteurs de porcs », conclut l’un des producteurs de Bertoua.

« Il y a baisse des recettes dans les pharmacies »

Sadou Norbert Gounday, Infirmier vétérinaire en service dans une pharmacie vétérinaire

Les porcs sont effectivement rares dans la ville de Bertoua et l’une des raisons est la peste porcine de l’année dernière qui a décimé beaucoup de porcs, une maladie virale sans traitement. On a abattu des centaines de porcs au quartier Ngaïkada qu’on liquidait à 500 F le kilogramme. Ces éleveurs sont actuellement en train de chercher des espèces saines pour relancer leurs activités. Donc à notre niveau, il y a eu baisse des médicaments comme les vermifuges, les vitamines, les antibiotiques, les antiparasitaires externes contre les mouches, les tics et les vaccins anti rouget tout comme les minéraux et les fers. Notons que les éleveurs doivent absolument acheter ces médicaments et avoir la boite à pharmacie pour le traitement d’entretien au moins une fois par mois et il lui faut investir environ 15.000F.

Martin Foula

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