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Le gouvernement recule sur la décentralisation de la gestion du personnel

Depuis mars 2012, un décret présidentiel affecte la gestion des carrières et de la solde des agents publics aux ministères utilisateurs. Mais six ans plus tard, l’expérience ne semble pas concluante. Le comptage physique du personnel de l’Etat pourrait sonner le glas de cette option

Dans le cadre du pré-contentieux de l’opération de comptage physique du personnel de l’Etat du Cameroun (Coppe), les 26 000 agents publics non recensés, ainsi que ceux dont le recensement a été invalidé à l’issue de l’exploitation des différentes données collectées (avril-juin) doivent tous rappliquer à Yaoundé pour espérer jouir de leur solde. « A ce titre, le paiement des salaires des mois d’octobre, de novembre et de décembre 2018 desdits agents, se fera exclusivement par bon de caisse dans toutes les perceptions de la ville de Yaoundé contre présentation d’un quitus», précise le ministre des Finances (Minfi) dans un communiqué de presse.

Le Minfi projette une économie potentielle de 100 milliards FCFA par an au terme du Coppe.

Plusieurs postes de contrôle et d’orientation devraient être installés au sein du ministère des Finances (Bâtiment A) afin  de faciliter l’obtention du quitus. Les agents en situation indélicate ont jusqu’au 4 janvier 2019 pour clarifier leur situation. Ce dénombrement a «pour but d’identifier et d’expurger du fichier solde de l’Etat, tous les agents publics y émargeant irrégulièrement, du fait d’une absence non justifiée, d’une démission ou d’un décès non déclaré», selon les explications du ministre des Finances. Le Minfi projette une économie potentielle de 100 milliards FCFA par an au terme du Coppe.

Plus globalement, l’institution d’un comptage physique du personnel de l’Etat du Cameroun (Coppe) trahit, sans le dire, l’échec de l’option de la décentralisation de la gestion des personnels de l’état et de la solde. En effet, c’est depuis le décret n°2012/079 du 09 mars 2012 que le président de la République a déterminé le champ d’application et les modalités de mise en œuvre de cette option dont la finalité était de « conférer aux différents départements ministériels une autonomie suffisante de gestion de leur personnel et des salaires, en vue de maitriser la masse salariale et de garantir un contrôle efficient des effectifs. » Selon ce décret, «certaines activités relatives à la gestion des carrières et de la solde des agents publics, dévolues au ministère chargé de la fonction publique et à celui chargé des finances, sont transférées aux différents ministères utilisateurs. »

Malheureusement, six ans plus tard, force est de constater que tous les agents publics ont été obligés de (re)produire « une photocopie de l’acte de recrutement, une attestation de présence effective [signée après le 18 octobre 2018 pour les agents non recensés], une photocopie de l’acte de nomination (si l’agent occupe un poste de responsabilité)… ».

Fonction publique ou la bourse de la discrimination

«Le fonctionnaire a droit, après service fait, à une rémunération comprenant un traitement indiciaire, des prestations familiales obligatoires et, éventuellement, des indemnités et primes diverses», stipule l’article 27 du statut général de la fonction publique camerounaise de 1994 modifié et complété par le décret n°2000/287 du 12 octobre 2000. Le barème du traitement indiciaire des fonctionnaires en activité applicable depuis 2000, définit comme éléments de rémunération de la solde de base, le complément forfaitaire et une indemnité de logement représentant 20% de la solde de base. Après diverses revalorisations dont la dernière est intervenue le 7 juillet 2014 (+5%), la rémunération d’un fonctionnaire varie entre 45 643,5 FCFA et 353 526,4 FCFA.

Cependant, s’il y’a une revendication qui fait l’unanimité entre les agents de l’Etat au Cameroun, c’est certainement la revalorisation du salaire. Quel que soit leur statut, «tous s’accordent sur le fait que leur rémunération est modique, en comparaison de ce qu’elle était au début des années 1990, avant les baisses successives de 1992 et 1993. Baisses aggravées par la dévaluation du FCFA en 1994», soutient le président de la Centrale syndicale du secteur public, Jean Marc Bikoko. Mais le consensus s’arrête là. Pour le reste, la discrimination est la règle.

Valeur de l’indice de solde, primes, indemnités, c’est chacun pour soi entre les différents corps. La valeur du point d’indice qui est de 456,44 FCFA pour les indices compris entre 100 et 300, et de 187,16 FCFA pour les indices supérieurs à 3000. Pour certains, c’est une forme de nivellement par le bas. L’intelligence serait donc pénalisée et l’ardeur au travail sanctionnée négativement. En d’autres termes les cadres supérieurs sont condamnés pour avoir étudié longtemps. De même, il n’y a pas d’échelonnement indiciaire unique pour toute la fonction publique. Certains corps, comme la magistrature ou la police vont jusqu’à 1400, tandis que d’autres s’arrêtent à 1140. En effet, l’article 10.1 décret n°2000/287 du 12 octobre 2000 modifiant le statut général de la fonction publique, exclut du champ d’application de ce statut, le corps de la magistrature, les militaires, les fonctionnaires de la Sûreté Nationale et de l’Administration pénitentiaire. Ces derniers sont plutôt régis par des statuts particuliers et textes spéciaux. Résultat, des fonctionnaires de la même catégorie (A2, A1, B2, B1, C, D) se retrouvent ainsi avec un écart considérable dans leurs soldes.

Ainsi, à la sortie de l’école, un professeur des collèges en début de carrière est classé à la catégorie A1, indice 430. Selon la grille salariale en vigueur depuis juillet 2014, il a droit à une solde de base de 161 261,625 FCFA. Les administrateurs civils et les inspecteurs des régies financières sortis de l’Enam sont recrutés à la catégorie A1, indice 480 soit 170 619,75 FCFA de solde de base. Leurs camarades, commissaires de police (A1, ind. 530) se retrouvent avec 179 977,875 FCFA. Le statut particulier (ou spécial) va creuser davantage ces écarts avec des diverses primes et indemnités. La discrimination est encore plus frappante entre fonctionnaires et travailleurs relevant du Code du travail, avec des écarts pouvant aller du simple au double.

La fonction publique de plus en plus lourde pour l’Etat

Pas de baisse des salaires en perspective dans la fonction publique. Mais cela ne signifie pas que la masse salariale de la fonction publique ne pose aucun problème… Ce d’autant plus que, le mémorandum des politiques économiques et financières signé avec le FMI prévoit des «réformes budgétaires». Depuis la signature de ce programme de réformes économiques et financières en juin 2017, les services du FMI offrirent leur assistance au gouvernement dans le domaine de la «gestion des risques budgétaires».

De fait, les contraintes budgétaires sont familières mais échappent souvent à l’attention de ceux qui participent à l’élaboration de la politique budgétaire. Il convient pourtant d’en parler et anticiper les ajustements nécessaires. Depuis 2010, les salaires absorbent chaque année près du quart du budget de l’Etat, et représentent plus de 5% du PIB. Selon le FMI, les meilleures pratiques internationales plafonnent ce ratio à 5% du PIB ou 20% du budget. Ce qui est loin d’être le cas au Cameroun. Au sein du ministère des Finances, l’on reconnait que la masse salariale a été un sérieux problème macroéconomique et budgétaire dans le passé puisqu’elle réduit fortement l’enveloppe budgétaire à affecter à d’autres secteurs. Il n’y aura certainement pas de baisse de salaires dans l’immédiat mais il n’est pas exclu que la masse salariale redevienne un problème alors que n’est pas traitée la question capitale du rôle incitatif des rémunérations relatives au sein de l’administration, entre l’administration et les établissements publics ou le secteur privé.

Évolution des dépenses du personnelle depuis 2010 (en milliards de FCFA)

 

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017*

PIB

11700

12546

13515

14607

15846

16807

17957

19421

Budget

2570

2571

2800

3236

3312

3746,6

4234,7

4373,8

DP

634,1

681,4

706

803

835

900

955,2

998,5

DP/Budget

24,67

26,5

25,21

24,81

25,21

24,06

22,56

22,83

DP/PIB

5,42

5,43

5,22

5,49

5,27

5,35

5,32

5,14

* : estimations / Source : MINFI/DAE

Les choix budgétaires courants sont ainsi réduits par la lourde charge des dépenses récurrentes ou à termes échus que sont les salaires, le service de la dette publique et les pensions. En 2018, ce sont exactement 945 milliards FCFA que l’Etat a budgétisé pour le paiement des salaires de son personnel (DP), contre 998,5 milliards Fcfa en 2017. En 2016, les dépenses de personnel de l’Etat se situaient déjà à 955,2 milliards de FCFA. Est-ce trop ou pas assez, toujours est-il que depuis 2010, les dépenses en personnel ont augmenté de 63,5% contre une hausse de 60,24% du PIB et seulement 58,76% pour le budget de l’Etat. En clair, les besoins ou les charges deviennent de plus en plus incompressibles au niveau des principales rubriques qui sont : les salaires et pensions, la dette, les subventions, les biens et services, les dépenses en capital. Or, pour crédibiliser sa signature, l’Etat doit payer les salaires et pensions tout comme sa dette.

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