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Les tontines à la rescousse circuit financier formel ?

Dans une étude publiée le 25 octobre 2018, le Fonds monétaire international pense que les tontines ou « Njangui » peuvent aider le secteur bancaire actuellement dans la zone orange et même booster l’inclusion financière.

D’un poids de 90 milliards de FCFA par an chaque année, le Fonds monétaire international (FMI), dans une étude publiée le 25 octobre, pense que les tontines peuvent booster l’inclusion financière. (10%). Comment ? Le FMI commence par expliquer le principe. Également appelées Njangui dans la culture anglo-saxonne, les « tontines » font généralement référence à un groupe de personne partageant des liens communs — région, tribu, amis, collègues — qui décident de se réunir régulièrement pour mettre en commun leurs économies afin d’apporter des financements à leurs membres ou à leur communauté.

À l’origine, l’objectif était de fournir un soutien en nature à un membre du groupe tels qu‘un travail collectif dans l’agriculture, la construction d’une maison ou lors des célébrations. Le système a connu un regain d’intérêt au lendemain de la crise bancaire de la Cemac dans les années 1990. Les « tontines » offrent trois types d’instruments : des cotisations périodiques, des caisses d’épargne, des fonds de solidarité.

Premièrement, les cotisations périodiques consistent à remettre à un membre différent toutes les contributions de la période et répéter l’exercice jusqu’à la fin de la boucle. Par exemple, un Njangui de 12 participants avec une mise mensuelle de 5 dollars par personne va distribuer 60 dollars (=5×12) à un bénéficiaire désigné à l’avance chaque mois. Le chiffre d’affaires total du tour est de 720 dollars (60 dollars x 12 mois).

Deuxièmement, les tontines offrent la possibilité d’épargner et d’accéder au crédit. En général, les taux d’intérêt oscillent autour de 3 à 5 % par mois, soit 36 à 60 % par an, et les échéances ne dépassent pas 3 mois. Troisièmement, les fonds de solidarité sont une forme de police d’assurance couvrant différents événements relatifs à la santé, aux événements familiaux concernant les membres ou d’autres personnes de leur entourage désignées à l’avance, à condition que le membre verse une cotisation régulière.

Les autorités reconnaissent l’importance et la complémentarité qu’offrent les tontines au secteur financier, et se proposent d’intégrer ce mécanisme dans la révision de la Société nationale financière. Les fonds des tontines transitent essentiellement par des comptes dédiés, gérés par le chef de la tontine, dans les banques ou les établissements de microfinance (EMF). Les services de mobile money, facilitent également les transactions de tontines, et pourraient permettre d’attirer davantage d’utilisateurs de tontines vers le secteur financier formel, avec la création de la plateforme Njangui depuis 2016.

La participation à un Njangui ouvre aussi des possibilités de prêts par les banques et les EMFs, grâce aux garanties collectives et morales qu’apporte le groupe. Enfin, certaines tontines accéderont au statut d’EMFs (catégorie 1- collectant l’épargne et octroyant de prêts aux membres uniquement) une fois qu’elles aient acquis une base financière solide.

SMID

Ce n’est pas la première fois que l’idée d’inclure les tontines dans les circuits financiers formels est émise. En effet, Fritz Ntonè Ntonè, le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala (CUD), a révélé le 4 juin 2018, la géographie du capital de la future Société métropolitaine d’investissements de Douala (SMID), pour laquelle le capital social de 10 milliards de FCFA, est en cours de constitution, à travers un appel public à l’épargne, dont le délai des souscriptions a été prorogé au 5 juillet 2018.

Afin de créer cette société, qui permettra de transformer la ville de Douala, M. Ntonè Ntonè dit compter sur la contribution des 3 millions d’habitants que compte la capitale économique camerounaise. Mais, ce dernier fait un clin d’œil particulier aux tontines, regroupements familiaux, corporatistes ou amicaux dans lesquels circulent environ 90 milliards de FCFA, selon une étude du ministère des Finances.

Selon M. Ntonè Ntonè, dans les prévisions de la CUD, qui est à l’origine de la création de cette société d’investissements, laquelle permettra d’implémenter le Plan directeur d’urbanisme de la capitale économique camerounaise, adopté en 2015, la SMID sera contrôlée à 33% par des organismes étatiques (collectivités locales décentralisées et entreprises publiques ou parapubliques), tandis que 67% du capital sera détenu par des opérateurs privés. Le délégué du gouvernement auprès de la CUD précise par ailleurs, que sur les 67% qui seront dévolus aux privés, 47% reviendront aux personnes physiques, contre seulement 20% pour les personnes morales.

Un secteur bancaire vulnérable

Un test de résistance conduit à partir des bilans des banques à fin 2017 a confirmé la dominance des risques souverains dans le secteur bancaire du Cameroun et la détérioration de la qualité des actifs bancaires résultant de la dégradation des conditions économiques. Ce test montre que le ratio des actifs pondérés du risque (RWA) au niveau de l’ensemble du système baisserait de 4,4 % en cas de décote de 25 % de la dette du gouvernement camerounais, de 3,5 % en cas de décote de 25 % de la dette nette des autres pays de la CEMAC et de 2,7 % en cas de défaut total de la Sonara.

Les banques sont aussi vulnérables à une augmentation des prêts improductifs liée à la détérioration des bilans du secteur privé. Un autre test portant sur un relèvement du taux directeur de la BEAC a donné un résultat neutre en raison de la nature et de la composition des portefeuilles des banques — les dépôts à vue, qui représentent environ 70 % du total des dépôts, ne font pas l’objet de paiement d’intérêts, et les crédits à court terme, qui représentent 57 % du total des crédits, réagissent positivement aux hausses de taux. Enfin, les banques sont peu exposées au risque de change.

Bien plus, l’interdépendance accrue entre les banques et les EMFs, dont la supervision est plus légère, pourrait  représenter une source de vulnérabilité pour le secteur financier. Les EMFs jouent un rôle clé au Cameroun mais souffrent de faibles capacités et d’une gouvernance insuffisante, d’une supervision laxiste, d’une forte exposition aux parties liées et d’un risque de crédit élevé. La relation entre les banques et les EMFs au Cameroun est complexe et nécessite une surveillance étroite pour atténuer les risques pesant sur le secteur financier. Les EMFs, faute d’accès à la banque centrale, placent l’essentiel de leurs dépôts auprès de banques commerciales, lesquelles leur octroient des crédits. Cela crée une forte interdépendance, car certaines banques appartiennent à des EMFs, et les grandes banques ont souvent recours aux EMFs (parrainage ou actionnariat direct) pour accéder à une base de clientèle plus large. La première EMF, avec 25 % de part de marché, a récemment été autorisée à fonctionner comme une banque, ce qui renforce encore cette interdépendance.

Autres pistes de solution du FMI

L’analyse des liens macro-financiers au Cameroun a montré le poids dominant que fait peser le risque souverain, entreprises publiques comprises, sur le secteur bancaire au Cameroun. Face à ces risques, plusieurs mesures doivent être prises ou renforcées dans différents domaines.

Pour ce faire, le FMI recommande de maîtriser les fragilités du secteur financier tout en renforçant les opérations de politique monétaire et l’environnement réglementaire et de la supervision : Remédier au niveau structurellement élevé de créances improductives, en supprimant les asymétries d’information à travers l’élargissement de l’accès à la plateforme CIP-FIBANECASEMF et le lancement de la base de données d’information des créanciers pour les EMFs, l’amélioration de la disponibilité et la gestion des sûretés grâce à l’informatisation des registres (cadastres, actifs mobiliers), l’amélioration de l’exécution des contrats et la formation des juges chargé des litiges bancaires.

Le FMI pense qu’il faut poursuivre la résolution planifiée des banques en difficulté et transférer leurs créances improductives à la structure publique de recouvrement des créances (SRC) en utilisant la méthode de détermination des prix récemment mise à jour, ce qui permettrait de renforcer les fonds propres de l’ensemble du système tout en limitant le coût budgétaire. Sans oublier de réduire la dépendance des banques aux fonds publics en transférant progressivement les dépôts publics dans le CUT, comme le prévoit la stratégie récemment adoptée par le gouvernement.

Aussi, il faudrait soutenir les efforts menés actuellement par la BEAC pour moderniser son cadre de politique monétaire et développer le marché interbancaire, améliorer la fourniture de liquidité aux banques, réduire la nécessité de détenir des effets publics (comme garantie pour obtenir des liquidités). En outre, renforcer la supervision sur place de la COBAC, mettre en œuvre la nouvelle réglementation sur les EMFs tout en mettant en place une régulation propice à l’innovation dans le domaine des services bancaires mobiles.

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