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L’évasion fiscale des multinationales a fait perdre 167 milliards au Cameroun en un an

Des organismes internationaux de lutte contre l'injustice fiscale préconisent la mise en place d’impôts sur les bénéfices excédentaires des grosses multinationales.

Trois organisations internationales dont Tax justice Network, Global Alliance for Tax Justice et Public Services International, ont récemment publié les résultats d’une étude qui dresse un état des lieux de la justice fiscale dans le monde. Intitulé « Justice fiscale : état des lieux 2021 », le rapport révèle que chaque année, les multinationales implantées en Afrique transfèrent en moyenne 51,6 milliards de dollars de bénéfices vers les paradis fiscaux, générant pour les Etats du continent des pertes à hauteur de 15 milliards de dollars (environ 8700 milliards de FCFA) par an en recettes fiscales directes. En localisant des holdings et d’importants actifs créateurs de valeur dans les paradis fiscaux, les grandes entreprises peuvent transférer leurs bénéfices vers des juridictions où l’imposition est faible ou nulle, afin de réduire artificiellement leurs obligations fiscales par ailleurs et de ne payer que peu ou pas d’impôts sur les bénéfices qu’elles transfèrent dans les paradis fiscaux.

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Le Cameroun qui regorge un grand nombre de filiales de grandes multinationales n’échappe pas à cette réalité. L’étude évalue à 873 millions de dollars (environ 506 milliards de FCFA) les bénéfices générés par ces multinationales et transférés à l’étranger ; soit une perte fiscale annuelle d’au moins 167 milliards de FCFA. Ça représente 0,8% du produit intérieur brut. En pleine pandémie covid-19, le rapport ne s’empêche pas de relever que cet argent aurait permis au pays de financer sans aucun recours à des emprunts extérieurs la riposte exclusivement sanitaire à la pandémie. Dans la sous-région Afrique centrale, la palme d’or des pertes fiscales revient au Tchad (1 947 millions de Dollars) suivi du Congo, (462 milliards de FCFA). Le Cameroun qui arrive en troisième position est talonné par le Gabon (227 millions), la Guinée Equatoriale (40 millions), et la RCA (1,2 millions).

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Si les pays avancés ont perdu davantage de recettes fiscales directes en raison de l’abus à l’impôt sur les sociétés, les pays en développement notamment africains, souffrent davantage de ce phénomène dont les répercussions sont plus dommageables et dramatiques. « Justice fiscale : état des lieux 2021 » estime que les pays à faible revenu perdent chaque année l’équivalent de 4,2 pour cent de leurs recettes fiscales contre 2,8% pour les pays à revenu élevé. « Ces résultats confirment, une fois de plus, que l’abus à l’impôt sur les sociétés fait payer un tribut plus lourd aux pays à faible revenu qui ont un besoin urgent de recettes fiscales. Et vice versa : une reconfiguration du système fiscal mondial afin d’éradiquer les pratiques fiscales abusives des entreprises serait encore plus profitable aux pays à faible revenu qu’aux pays à revenu élevé » peut-on lire sur le rapport.

Inverser la tendance

Au Cameroun, la contribution des recettes fiscales au budget de l’Etat est passé de 939,7 milliards en 2010 à 2060,7 milliards de FCFA en 2019, selon les données de la Direction Générale des Impôts(DGI). Ce chiffre pourrait davantage croître si le pays mettait en place une législation plus rigide pour limiter l’évasion massive de devises. Pour faire face à cette menace, le gouvernement camerounais a mis l’accent au cours de ces dernières années sur le renforcement de la coopération fiscale internationale à travers la densification du réseau de conventions fiscales, aussi bien au niveau bilatéral que multilatéral ; l’adhésion au Forum Mondial sur la transparence et l’échange de renseignement à des fins fiscales ; le recours à l’expertise internationale grâce à l’Initiative Inspecteur des Impôts Sans Frontières de l’Ocde. Dans cette même dynamique, le Cameroun a ratifié l’instrument multilatéral (IML) de l’Ocde en décembre 2020, qui offre des solutions aux insuffisances contenues dans les conventions fiscales bilatérales, notamment en matière de règlement des différends.

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A l’échelle d’une riposte mondiale, « Justice fiscale : état des lieux 2021 » formule quelques recommandations, notamment la mise en place par les gouvernements, d’impôts sur les bénéfices excédentaires dans le contexte de la pandémie. Cela permettrait d’exiger d’entreprises telles qu’Amazon – qui a grandement bénéficié de la fermeture pure et simple de concurrents locaux uniquement pour protéger la santé publique – de restituer jusqu’à 100% de ces revenus non gagnés (c’est à dire les bénéfices inutiles et socialement dommageables qui ont pour cause leur pouvoir de monopole).

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