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L’héritage d’Abbas Mahamat Tolli à la Beac en 12 points

Abbas Mahamat Tolli a rendu son tablier de gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) le 9 février dernier après 7 ans passées à la tête de cette institution. Durant son mandat, le tchadien a impulsé une série de réformes en vue de vivifier le système financier sous régional dans un contexte de crises multiples tant à l’échelle régionale qu’à l’intérieur de la BEAC elle-même. EcoMatin retrace en 12 points le bilan de celui qui affirmait en 2017 au moment de sa prise de fonction que : « La BEAC ne saurait s’afficher comme un îlot de prospérité et d’opulence dans une sous-région en crise »._

Programmes FMI

Nommé en juillet 2016, Abbas Mahamat Tolli prend les commandes de la BEAC en février 2017 dans un contexte de récession économique à l’échelle de la CEMAC alimentée par une chute spectaculaire des cours du pétrole. Pour les pays de cette région qui dépendent énormément des ventes d’hydrocarbures, la baisse des revenus issues de l’or noir a cassé la croissance, mais aussi déséquilibré gravement les budgets des États, aggravé les déficits des comptes courants et surtout asséché les réserves en devises, qui étaient tombées pour l’ensemble de la communauté à 1,7 mois d’importations de biens et services.

Menacés d’une dévaluation de leur monnaie commune, le FCFA, les six États (Cameroun, Gabon, Congo, Tchad, RCA, Guinée Equatoriale), ont entrepris de concert avec le FMI, une série de réformes. Ces réformes qui ont permis d’éviter la catastrophe ont aussi été mises en œuvre grâce à l’institut d’émission monétaire. La BEAC y a contribué à travers notamment les lettres de confort du Gouverneur au FMI ainsi que l’organisation de « réunions tripartites » regroupant les Etats, le FMI, la Banque Mondiale, la BAD, le partenaire français et certaines institutions de la CEMAC.

« Cet accompagnement s’est manifesté particulièrement par une contribution décisive de la BEAC à la réussite du Programme des Réformes Économiques et Financières de la CEMAC (PREF-CEMAC), un appui déterminant apporté à la conclusion et la mise en œuvre des programmes de redressement économique et financier avec le FMI », indique un cadre à la BEAC. 

Des bénéfices records pour la BEAC

Après 114 milliards de FCFA en 2022, la BEAC devrait dégager un résultat net bénéficiaire de 310 milliards de FCFA selon les données présentées par le gouverneur sortant Abbas Mahamat Tolli. Ce résultat est le plus élevé depuis la création de l’institution. Cela a été rendu possible grâce aux mesures de diminution des charges et d’augmentation des produits, ayant permis d’extérioriser des résultats bénéficiaires depuis 2017 alors qu’en 2016 le déficit structurel était de 50 milliards de FCFA.

Reconstitution des réserves de changes et transparence du secteur extractif

L’un des défis majeurs du gouverneur tout au long de son mandat a été de travailler à reconstituer les réserves de changes de la CEMAC gage de la stabilité monétaire dans cet espace économique. C’est ainsi que le dirigeant a fait adopter en 2018 un nouveau règlement sur le change, obligeant la totalité des agents économiques à rapatrier leurs recettes d’exportation. La réforme n’a pas fait que des heureux. Les opérateurs du secteur extractif ont notamment activé plusieurs lobbies pour tenter de passer entre les mailles du filet. Mais face à la rigueur de l’institut d’émission, ces derniers ont finalement accepté de se plier sous certaines conditions. L’application de ce règlement a aussi favorisé la ttransparence en matière de gestion des ressources du sous-sol car les  États ont été contraints de transférer l’intégralité des contrats pétroliers avec les compagnies minières et pétrolières à la BEAC.

Ainsi, grâce à un suivi rigoureux des rétrocessions, des transferts sortants et à une bataille sans fin pour soumettre les opérateurs pétroliers au nouveau dispositif, la BEAC a fait passer les réserves de change de la CEMAC de 3111,49 milliards FCFA en 2016 à 6783,33 milliards FCFA à fin 2023. Pour l’instant, Le comité de politique monétaire projette ce montant à 9000 milliards FCFA d’ici 2024. Il revient à ce point au gouverneur entrant de maintenir le cap et de faire appliquer les textes pour maintenir une position extérieure de la CEMAC.

Loin du risque de dévaluation

La reconstitution des réserves de changes, réussie par Abbas Mahamat Tolli, a permis d’éviter à la BEAC le risque d’une nouvelle dévaluation après celle de 1994. Il faut dire que la Banque Centrale a pour mission d’émettre la monnaie de l’union et d’en garantir la stabilité. Du point de vue opérationnel, la stabilité monétaire dans la CEMAC est assurée quand le niveau des avoirs extérieurs bruts représente près de 60 % des engagements à vue de la BEAC, équivalant à au moins trois  d’importations des biens et services et du service de la dette extérieure.

Ainsi, et malgré un contexte international jonché de crises, la BEAC version Abbas Mahamat Tolli a fait passer le niveau des réserves de 2,4 en mois d’importations des biens et services à fin 2016 à plus de 4 mois à fin 2023. Le taux de couverture extérieure de la monnaie s’est accru de 59,1 % à plus de 71 % au cours de la même période, éloignant les pays de la CEMAC du risque de dévaluation.

Politique monétaire et chocs mondiaux

La mandature d’Abbas Mahamat Tolli a été marquée par 2 chocs mondiaux à savoir la crise du Covid 19 et la guerre en Ukraine. 2 chocs qui ont affecté les objectifs de croissance des pays. A chaque fois, la réaction de la BEAC a été imminente pour limiter l’impact et stabiliser le système financier sous régional. 

Face aux effets néfastes de la crise sanitaire liée à la COVID-19 sur les économies de la CEMAC, la BEAC a adopté en mars 2020 des mesures spéciales visant, d’une part, à assouplir les conditions monétaires (baisse du TIAO de 3,50 % à 3,25 %, l’augmentation de 240 milliards FCFA à 500 milliards FCFA du montant de liquidité à injecter sur le marché monétaire, etc.), et, d’autre part, à soutenir durablement la liquidité du marché monétaire. Ce 2e pan s’est traduit par une réactivation des injections de liquidités à longue échéance et le rachat des titres publics sur le marché secondaire pour un montant maximal de 600 milliards FCFA. Des mesures fortes qui ont permis de rassurer les établissements de crédit, les États ainsi que les opérateurs économiques et de contenir les risques de liquidité du système bancaire de la CEMAC.

Concernant la guerre en Ukraine qui a entraîné une montée en flèche des prix, la BEAC a entrepris un resserrement de sa politique monétaire qui s’est traduite par une hausse des taux directeurs, une suspension des injections hebdomadaires de liquidités et l’accentuation des opérations de ponctions de liquidités auprès du système bancaire. Certes le taux d’inflation reste élevé mais selon le gouverneur, ce taux aurait été bien plus élevé sans ces mesures.

Sur un autre volet, et pour ponctionner efficacement les liquidités oisives du système bancaire accusées de freiner la transmission de la politique monétaire, la BEAC a opté pour ses premières émissions de bons du Trésor. Une grande première dans la CEMAC.

Dynamisation du marché des titres publics

Le mandat d’Abbas Mahamat Tolli a aussi été marqué par une série de réformes visant à faire du marché des titres publics une référence pour le financement des États de la région.  L’essor de ce marché a largement contribué à la mobilisation par les États des ressources requises pour faire face aux conséquences néfastes de la pandémie de Covid-19 et pour financer de nombreux projets d’investissement dans un contexte de durcissement des conditions financières sur le marché international. Ainsi, l’encours des titres publics est passé de 916,1 milliards FCFA à fin décembre 2016 à 6 413,1 milliards FCFA en 2023.

Un marché interbancaire en pleine croissance

Le marché interbancaire lui aussi a, durant le mandat d’Abbas Mahamat Tolli connu un accroissement substantiel. Cela est due à une séries de réformes opérées au cours de la période notamment : des appels d’offres hebdomadaire régional et à taux multiples ; la modernisation du dispositif de gestion des réserves obligatoires avec la constitution suivant la méthode des moyennes mensuelles ; l’élargissement du collatéral admis en refinancement ; la rationalisation des décotes ; l’acquisition des plateformes informatiques d’interconnexion de tous les acteurs… Ainsi, l’encours moyen des échanges sur le marché interbancaire s’est accru de 1 milliard de FCFA en 2016 à 1 148,6 milliards de FCFA en décembre 2023. 

La fusion institutionnelle et physique des marchés financiers de la CEMAC

 La BEAC a également joué un rôle clé dans la fusion physique et institutionnelle des places boursières de la CEMAC. Depuis juillet 2019, la CEMAC est dotée d’un marché financier unifié constitué : d’un régulateur unique, basé à Libreville au Gabon (COSUMAF) ; d’une seule Bourse de valeurs mobilières installée à Douala au Cameroun ; d’une seule Banque de Règlement, la BEAC ; et iv) d’un Dépositaire Central Unique, rôle également assuré par la BEAC à titre transitoire. Cette fusion a permis de dynamiser le fonctionnement du marché financier de la CEMAC. A date, le marché boursier affiche des performances encourageantes avec plus de 1000 milliards d’encours de dettes et une capitalisation boursière de 66,5 milliards FCFA. La BEAC assure le rôle de DCU.

 L’extension du patrimoine immobilier de la BEAC

Le gouverneur sortant s’est également distingué par une volonté d’améliorer la bancarisation et de l’inclusion financière dans la CEMAC, ce qui s’est traduit par l’extension du réseau de la BEAC. Ainsi l’on a pu enregistrer la mise en service de nouvelles agences BEAC à Oyo au Congo, à Ebebiyin en Guinée Equatoriale et du nouvel immeuble de la Direction Nationale de la BEAC à Bangui. La BEAC a également effectué les poses des premières pierres des nouvelles agences à Ebolowa (Cameroun), à Mouilla (Gabon) et du nouvel immeuble de la COBAC à Libreville (Gabon).

Interopérabilité

La BEAC a par ailleurs impulsé la mise en place de l’interopérabilité des systèmes de paiement monétiques dans la CEMAC qui s’est traduite par la facilitation et l’accroissement des paiements électroniques à l’échelle nationale et sous-régionale. Ce système (GIMAC) a également facilité et accru des paiements à l’échelle nationale et de la CEMAC par la monnaie électronique (téléphonie mobile et cartes prépayées) et par les cartes bancaires de la CEMAC (du GIMAC) et internationales. En 2022, le Groupement interbancaire et monétique de l’Afrique centrale a traité plus de 7,3 millions de transactions de monnaie électronique pour un montant dépassant 224,1 milliards de FCFA. Ce montant a été multiplié par 10 en comparaison avec 2020, année au cours de laquelle, les transactions interopérables se chiffraient à 1,1 million d’opérations pour un montant de 21,08 milliards de FCFA.

Le controversé  recrutement des agents d’encadrements supérieurs

L’un des dossiers chauds qui a secoué le mandat d’Abbas Mahamat Tolli à la BEAC et dont hérite son successeur, c’est celui du recrutement des agents d’encadrements supérieurs qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Lancé en 2022, le processus fait l’objet de nombreuses récrimination, le gouverneur étant accusé d’avoir favorisé des proches de sa famille. Des accusations qui visent aussi l’ancien vice-gouverneur camerounais et actuel président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) Dieudonné Evou Mekou et le secrétaire général sortant gabonais Désiré Guedon.

Dans une correspondance adressée le 1er août 2022 au gouverneur de la BEAC, le président des deux structures constituants les organes décisionnels de l’institut d’émission (Conseil d’administration de la Beac et Comité ministériel de l’Umac), ordonnait la suspension « immédiate » du processus de recrutement en cours. Le concours organisé à cet effet aurait, selon le ministre centrafricain des finances, été « émaillé d’incidents significatifs de nature à en altérer la crédibilité ». Pour lui, les premiers résultats (liste des candidats admissibles, à la suite des épreuves écrites du 28 mai 2022) donnent à constater des « situations et exemples » qui « portent indubitablement et gravement préjudice à l’image de la Banque ».

Plus tard, en octobre de la même année, le comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac) a décidé de suspendre le processus et de mandater un cabinet international pour l’auditer. Malgré ces instructions, le processus de recrutement des agents d’encadrement supérieurs de la Beac a suivi son cours jusqu’à la proclamation des résultats le 5 avril 2023. Sauf que les personnes admissibles n’ont toujours pas pris fonction et leur dossier peine à avancer depuis lors. Précisons que la Cour de justice de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) basée à N’Djamena a rendu une décision en faveur du gouverneur Abbas Mahamat Tolli  sur l’incompétence du Conseil ministériel à contrôler des opérations d’embauche au sein de la Banque. « Le recrutement des agents d’encadrement supérieurs de la BEAC relève de la compétence exclusive du gouvernement de la Banque, et toutes les difficultés rencontrées dans le processus de recrutement doivent être contrôlées et réglées par le Conseil d’administration », souligne la Cour de justice.

 Crise de gouvernance

« Au moment de quitter mes fonctions, je constate que notre Institut d’émission communautaire fait face à de nombreux problèmes, tels qu’un manque de respect hiérarchique, des dépassements de compétences, de l’insubordination et des violations répétées des règles en vigueur, perpétrés par des responsables de haut niveau », a lui-même reconnu Abbas Mahamat Tolli, lors de la Conférence des chefs d’Etat qui a porté de nouveaux responsables à la tête de l’institut d’émission ce 9 février 2024. Le contexte de départ du gouverneur a, en effet, permis de dévoiler aux yeux du public le climat conflictogène qui règne au sein du gouvernement de la BEAC. Une situation qu’il faudra gérer pour son successeur afin de concentrer les énergies vers l’essentiel. Dans la soirée du 06 février 2024, les réseaux sociaux ont été pris d’assaut et assaillis par une correspondance signée du directeur général du Contrôle général de la BEAC, portant sur « l’arrêt des activités de Monsieur le gouverneur » de la BEAC.

Dans sa réponse, Abbas Mahamat Tolli ne passe pas sans déplorer une « série de provocations », un « abus d’autorité » et des « agissements non professionnels » du membre du gouvernement qui portent préjudice au bon fonctionnement de l’institut d’émission monétaire. Lui emboitant le pas, le vice-gouverneur Michel Dzombala, plus incisif, invite son homologue camerounais à faire preuve de « retenue et de discernement ». « L’intérêt de la Banque centrale n’est pas de s’accommoder des dirigeants dont le comportement n’honore pas son image », lance-t-il fermement, dans sa réponse à la lettre de son collègue.

Pour éviter que pareille situation se répète, Abbas Mahamat Tolli a suggéré aux chefs d’Etats de renforcer les pouvoirs du prochain gouverneur  afin que ce dernier « dispose de tous les outils nécessaires pour diriger cette institution de manière sereine. Je souhaite mettre l’accent sur deux points essentiels: permettre au nouveau gouverneur de diriger le Conseil d’administration, comme le font toutes les banques centrales», lance-t-il.

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