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Cameroun: un budget 2019 en deçà des engagements internationaux

La répartition du budget de l’Etat ne réserve qu’une portion congrue des ressources publiques aux secteurs sociaux sensés permettre de lutter efficacement contre la pauvreté et impulser la croissance économique inclusive.

Le secteur social demeure la priorité majeure du gouvernement camerounais. L’objectif principal est d’améliorer les conditions de vie des populations, de former et de renforcer les capacités humaines. Mais en matière de gestion des finances publiques, le Cameroun est loin d’être exemplaire et le budget 2019, comme les précédents depuis plus d’une décennie, ne fera pas exception. Qu’il s’agisse de l’Agriculture, l’Education ou la Santé, le Cameroun comme les autres pays africains, s’est engagé à affecter un volume précis de ressources publiques dans ces secteurs pour lutter contre la pauvreté, réduire les inégalités et impulser la croissance économique inclusive. A l’analyse de la loi des Finances 2019 du Cameroun, force est de constater que les ressources allouées à ces secteurs sont bien loin des cibles que les chefs d’Etat de l’Union Africaine se sont fixés.

Ainsi, une enveloppe de 207,943 milliards de FCFA l’année prochaine (contre 175,24 milliards en 2018), le ministère de la Santé publique ne représente que 04,29% du budget de l’Etat. Selon la Déclaration d’Abuja de 2001, les États membres de l’UA se sont  engagés à consacrer 15% de leur budget gouvernemental pour la Santé. Cela représente donc un gap de 519,63 milliards de FCFA pour le secteur Santé rien que pour 2019. En 2018, l’Etat n’y a consacré que 3,88% du budget national.


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Il en est de même pour l’agriculture. Lors du Sommet de l’Union africaine de 2003, à Maputo, au Mozambique, les Etats ont décidé d’affecter une allocation minimale de 10% des dépenses publiques dans le secteur agricole chaque année. Un engagement que le Cameroun peine à respecter. En 2019, le secteur agricole qui englobe le ministère de l’Agriculture et du développement rural (Minader) et le ministère de l’Elevage, des pêches et des industries animales (Minepia) recevra une enveloppe cumulée de 117,323 milliards de FCFA soit 2,42% du budget de l’Etat. En 2018, le secteur représentait 2,69% du budget de l’Etat.

Le secteur éducatif n’est pas en reste. Selon le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce), cadre de référence de l’action gouvernementale sur la période 2010-2019, le secteur doit recevoir 18% des ressources publiques. Au niveau continental, la moyenne est de 20%. Mais en 2019, le secteur de l’Education c’est-à-dite le ministère de l’Education de base (Minedub), le ministère des Enseignements secondaires (Minesec), le ministère de l’Enseignement supérieur (Minesup) devra se contenter de 675,087 milliards de FCFA soit 13,92% du budget de l’Etat contre 14,12% en 2018.

Le « sous financement » de ces secteurs n’est pas sans conséquences socioéconomiques. Selon le Dsce, le gouvernement entend « s’appuyer sur la création des emplois pour assurer une bonne redistribution des fruits de la croissance». Cependant, la croissance enregistrée au Cameroun depuis 1995 « s’est avérée être très peu créatrice d’emplois». Réalisée dans un contexte de libéralisation du marché du travail, elle est à l’origine de l’accroissement du chômage en milieu urbain et fait du sous-emploi un phénomène endémique.

Part des ressources sectorielles dans le budget de l’Etat (%)

Secteurs/ministères 2019 2018 2017 2016 2015 2014
Agriculture Minader 2,42% 2,69% 3,30% 3,52% 3,74% 3,87%
Minepia
Education Minedub 13,92% 14,12% 13,92% 11,80% 13,13% 13,78%
Minesec
Minesup
Santé Minsanté 4,29% 3,88% 4,76% 5,57% 5,53% 5,00%

Source : Loi de finances.

Santé: le riche aux petits soins

Une couverture santé universelle au Cameroun dans quelques mois ; l’annonce fait rêver quelques personnes mais en baladant son micro à travers les rues de Yaoundé, le reporter note un certain scepticisme au sein de la population. C’est qu’en matière de santé au Cameroun, l’on a l’impression que c’est la loi du « chacun pour soi ». En effet et d’après les Comptes nationaux de la santé publiés par le gouvernement en 2012, le paiement direct des ménages est de plus de 70% dans les dépenses totales de santé. L’Etat ne supporte à peine que 30% de la facture. Pour l’heure et faute d’un financement publique suffisant, le système de santé est peu équitable.


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Ainsi, plus une femme est riche, plus elle a de chances d’accoucher avec l’assistance d’un professionnel qualifié, alors qu’au sein des communautés pauvres et rurales, les femmes et les nouveau-nés sont au contraire exposés à un risque de décès beaucoup plus élevé. Les disparités géographiques sont criantes : « 40% des médecins du pays exercent dans la région du centre (qui comprend Yaoundé, la capitale)  où ne vit pourtant que 18% de la population.  En revanche, l’extrême nord qui représente également 18% de la population du pays n’emploie que 8% des médecins », relève les « Cahiers économiques du Cameroun », un rapport publié par le Banque mondiale en 2013.

Pourquoi constate-t-on des écarts aussi marqués selon l’emplacement géographique et le statut économique? Parce que l’achat direct de services de santé à la demande est un facteur d’inégalité dans la mesure où il dépend des moyens financiers de l’intéressé. « Le personnel de santé a donc tout intérêt à travailler en milieu urbain où les gens ont des salaires plus élevés et où les chances de promotion sont de surcroît plus grandes que dans les zones rurales», précise le spécialiste de la santé à la Banque mondiale, Gaston Sorgho.

Agriculture: adieu la sécurité alimentaire

630,1 milliards de FCFA. C’est la rondelette somme que le Cameroun a dépensé en importations en 2016 pour se nourrir. Selon le comité technique national de la balance des paiements, il s’agit principalement du poisson congelé (166,8 milliards de FCFA), des céréales (240 milliards), du riz (143,6 milliards), des produits alimentaires industriels (144 milliards). Pourtant en matière agricole, le Cameroun est présenté comme un pays de cocagne : 7,2 millions d’hectares de terres arables dont seulement 1,8 million d’hectares sont exploités ; cinq zones agro-écologiques qui permettent de cultiver pratiquement tout ce qui se mange sur le continent ;  une pluviométrie abondante ; des eaux poissonneuses ; des terres fertiles, etc. Malgré cela, le pays reste dépendant des importations des denrées alimentaires.

Depuis 2014, le pays essaye d’implémenter le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (Pddaa) adopté par l’UA. Le gouvernement a organisé en septembre 2015 un Business Meeting afin de mobiliser auprès des bailleurs de fonds 1500 milliards de FCFA pour financer son Plan national d’investissement agricole (PNIA). Cette démarche repose sur la conviction que le développement du secteur agricole est une condition de l’indépendance nationale car elle permet de s’affranchir de l’insécurité alimentaire qui mine notre souveraineté; c’est un moteur de croissance dont l’effet de levier est désormais reconnu par les économistes; c’est le secteur qui offre le plus grand potentiel de lutte contre la pauvreté et les inégalités, car il recèle des gisements de productivité dont doivent bénéficier ceux qui y travaillent et qui sont les plus défavorisés.

Education: les enseignants à la charge des parents

On les appelle « maitres des parents » ; n’allez surtout pas croire qu’ils dispensent quelques enseignements aux parents d’élèves. C’est plutôt qu’ils sont à la solde des parents puisque l’Etat ne les a pas (encore) recruté. Combien sont-ils, difficile à dire mais une chose est sure : ils sont des milliers puisque sans eux des centaines de milliers d’écoliers et collégiens ne recevraient aucun enseignement au Cameroun depuis plusieurs années.

C’est que, le secteur de l’éducation souffre d’un « sous financement » ; à peine 14% du budget de l’Etat contre une moyenne de 20% en Afrique. « Ce sous financement n’a pas permis au Cameroun d’atteindre l’objectif d’école primaire universel en 2015 », explique Michel Towa, de l’association Ecole pour tous. Bien plus, « le sous financement oblige les parents à payer des frais d’APEE s’élevant parfois à 40 000 FCFA par élève dans les établissements publics soit une enveloppe globale de près de 70 milliards de FCFA ».

Selon l’enquête sur l’emploi dans le secteur informel (EESI 1 et EESI 2, 2005-2011), «la plupart des actifs occupés (66,9%) du secteur informel apprennent ou ont appris leur métier tout seul ou par la pratique. Une frange non moins importante (24,4%) a été formée dans les petites entreprises et seulement 5,3% d’actifs occupés ont appris le métier dans une école technique.».

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