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Lutte contre la vie chère : le Cameroun limite les exportations de certains produits pour satisfaire la demande nationale

Depuis le 22 avril 2022, les exportations de produits de première nécessité tels que la farine de blé, le riz et les céréales sont désormais interdites.

Consommer des produits transformés localement est désormais une préférence qui tend à devenir un luxe. Les consommateurs qui se rendent ces derniers jours dans les marchés du pays, font  écho d’une pénurie qui frappe plusieurs produits de grande consommation tels que les huiles raffinées, la farine de blé, le riz et les céréales produits localement. Quand ils sont disponibles, ces derniers font l’objet d’une spéculation qui décourage les acheteurs. Le gouvernement dont l’une des missions est de lutter contre la vie chère, est au fait de cette situation. D’ailleurs pour tenter de l’endiguer, l’Etat a, par le biais du ministère du Commerce, ordonné l’arrêt des exportations de plusieurs produits de grande consommation vers la sous-région. L’objectif étant de les redéployer sur le marché national, afin de satisfaire la demande. Les instructions de Luc Magloire Mbarga Atangana, chef de ce département ministériel, sont contenues dans une correspondance adressée au gouverneur de la région de l’Est, avec ampliations à ces homologues des autres régions, à qui ils demandent par la même occasion de renforcer les contrôles aux frontières. «Face aux pénuries aggravées que l’on observe sur le marché national, s’agissant en particulier du ciment, des huiles raffinées, de la farine de blé, du riz et des céréales produits localement. J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir prendre des mesures immédiates visant la suspension jusqu’à nouvel avis, de l’exportation desdits produits», peut-on lire dans ce document daté du 22 avril 2022

 Maîtriser la demande nationale

Le Cameroun est depuis longtemps le théâtre d’un curieux paradoxe. Alors que la production nationale de riz, de farine de blé et d’autres produits de première nécessité peine à satisfaire la demande intérieure, une grande partie de ces denrées est exportée vers les pays voisins. Une situation qui contraint le gouvernement à dépenser chaque année, plusieurs milliards de FCFA en termes d’importations. Selon une étude rendue publique en août 2021 par le Bureau de mise à niveau des entreprises, le Cameroun exporte annuellement vers le Nigeria 70%  de sa production de riz, y compris du riz importé pour la consommation locale. En ce qui concerne ce dernier point, l’institut national de la Statistique,  indique que pour la seule année 2019, pas moins de 332 300 tonnes de riz ont été réexportées vers les pays voisins par les commerçants camerounais.

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Dans le septentrion, c’est également vers le Nigéria, mais aussi chez nos voisins tchadiens qu’est exportée une grande partie de la production annuelle de maïs et de sorgho (800 000 tonnes en 2021). Selon des chiffres de la Banque mondiale, 2000  tonnes de sorgho et 500 000 tonnes de maïs cultivés localement, sont vendus chaque année aux Nigérians et aux Tchadiens, mais également aux organismes humanitaires et aux entreprises brassicoles. Le même constat a été fait dans les régions de l’Est et du Sud où les producteurs locaux préfèrent commercer avec les centrafricains, les équato-guinéens et les gabonais qui proposent des sommes d’argent sur lesquelles ne peuvent s’aligner les consommateurs lambda.  D’où l’urgence de faire un tour de vis sur les exportations de ces matières afin de mieux maîtriser la demande nationale.

Pas inédit

Ce n’est pas la première fois que le Cameroun décide de geler les exportations des produits issus de son industrie locale. On se souvient que le 27 décembre 2021, le directeur des Douanes, Edwin Fongod Nuvaga, avait décidé de suspendre les exportations des  huiles végétales et des  céréales afin de s’assurer que la production nationale soit exclusivement destinée au marché intérieur. Cette décision faisait suite à une précédente mesure similaire entérinée par le Mincommerce le 3 décembre 2021, dont la teneur annonçait la suspension des exportations de produits comme le riz, le maïs, le mil et le sorgho vers le Nigeria et le Tchad.

«Le gouvernement gagnerait à penser à des politiques d’accompagnements pour lutter contre la fameuse pénurie»

Dr. Guy Arsène NYANGOE, Chargé de Cours FSJP/Université de Douala

1 – Pour endiguer la pénurie naissante, le Cameroun a décidé de suspendre les exportations de plusieurs produits de première nécessité dans la sous-région. Comment appréciez-vous cette décision ? Pensez-vous que cette seule mesure suffira à résoudre le problème de la pénurie qui se manifeste désormais à l’échelle mondiale ?

Bonjour EcoMatin. Je vous remercie pour cette opportunité que vous m’accordez à l’effet d’apporter ma modeste contribution à la compréhension du contexte économique dans lequel le Cameroun évolue depuis peu.       

Depuis la fin d’année 2021, le contexte économique mondial est fortement marqué par une hausse généralisée des prix des produits sur les marchés. Cette hausse touche tous les secteurs d’activité avec une incidence significative sur le consommateur. Le Cameroun n’en n’est pas épargné. Les effets de cette inflation, puisqu’il s’agit d’elle, sont perceptibles aussi bien sur le secteur des BTP, du commerce, des transports, de l’agriculture que sur le panier de la ménagère. Cet état des choses interpelle les pouvoirs publics au premier rang desquels l’Etat du Cameroun en tant que Régulateur de l’activité économique.

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Celui-ci a pris des mesures dites conservatoires pour limiter les effets de cette hausse des prix sur ses citoyens. Il faut en rechercher les bases dans les origines historiques des liens que l’Etat entretient avec l’économie. En tant qu’administrateur de l’économie, l’Etat est apparaît comme une autorité publique extérieure au marché sur lequel il exerce la tutelle en imprimant sa volonté. En sa qualité de fournisseur de biens et de services sur le marché, il agit comme opérateur économique bénéficiant des prérogatives de puissance publique. Sous sa casquette de partenaire des opérateurs économiques, il a pour rôle la satisfaction directe des besoins d’intérêt général en faveur de sa population. Il est ainsi en position de demandeur sur le marché.

Ainsi, dans sa posture de régulateur de l’économie, l’Etat exerce un droit de régulation qui renvoie à l’ensemble des prérogatives qui lui permettent d’encadrer l’accès au marché, de définir sa structure, de règlementer son fonctionnement, de préserver son caractère concurrentiel et d’aider les opérateurs économiques. C’est ce qui justifie l’adoption par le Gouvernement de certaines mesures qui ont qu’une valeur conservatoire en ce sens qu’elles visent à protéger temporairement le marché camerounais des affres des chocs économiques internationaux. 

   2- Peut-on déjà parler dans le cas espèce de protectionnisme du Cameroun ?

Il ne s’agit pas à proprement parlé de protectionnisme économique. Celui-ci s’entendant d’une politique interventionniste de l’Etat au moyen duquel il érige des barrières tarifaires et/ou non tarifaires pour protéger les biens produits en son sein contre la concurrence étrangère, n’est pas mis en œuvre par l’Etat du Cameroun.

Dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas d’une concurrence mais plutôt d’une obligation pour l’Etat du Cameroun de veiller à un approvisionnement optimal de son marché intérieur. Il paraît inconcevable que les opérateurs économiques délaissent le marché intérieur pour conquérir les marchés étrangers moyennant une plus-value non négligeable. Le souci du Gouvernement demeure la satisfaction du marché intérieur avant la recherche des devises à l’étranger.   

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3- La mesure n’est-elle pas économicide pour les entreprises qui faisaient de bonnes affaires en commercialisant à un bon prix sur les marchés autres que le camerounais ?

Ces mesures conservatoires ont clairement une incidence négative sur les entreprises en relations commerciales avec les marchés extérieurs. Mais c’est pour un temps. Il ne faudrait pas faire confusion. Il faut distinguer la plus-value sur les biens produits au Cameroun de celle des produits importés pour le marché camerounais ou transitant par Cameroun. Les mesures conservatoires concernent davantage les biens produits localement et issus du secteur primaire notamment les produits agricoles, avicoles, les produits céréaliers et pétroliers. La modification de leurs prix fait l’objet d’une concertation préalable entre le Gouvernement et les Opérateurs économiques. Aussi, pour combler le manque à gagner, ces opérateurs adoptent un double comportement. Pour certains produits, au regard de l’abondance sur le marché, ils les bradent et pour d’autres, ils contribuent à entretenir l’inflation.     

4- Peut-on également s’attendre à court terme, à  des mesures parallèles de la part des fournisseurs du Cameroun ? Si oui comment résoudre le problème dans le fonds ?

Cette flambée des prix n’est pas une réalité propre camerounaise. C’est un effet papillon. Pour rappel, l’on est parti d’un conflit sur l’acier entre les Etats-Unis et la Chine. Il a eu pour conséquence la hausse du fer pour les BTP.  La pandémie à Coronavirus a quant à elle, conduit à la hausse des prix du fret maritime. Les difficultés liées à la convertibilité des devises dans le compte d’opérations de la BEAC à Paris ont également contribué à la survenance de cette crise inflationniste. C’est un engrenage dont la responsabilité de tous les acteurs économiques est pointée du doigt du fait de la recherche des marges bénéficiaires quel que soit le contexte. La résolution de ce problème n’incombe pas à un Etat mais plutôt aux organes communautaires UEAC pour se prémunir d’autres chocs économiques et des mesures protectionnistes d’autres Etats. Les autorités communautaires en charge de la coordination des politiques sectorielles nationales dans les domaines tels que l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’industrie, le commerce, le tourisme, les transports peuvent mettre sur pied des politiques commerciales communes pour mieux encaisser les chocs économiques. C’est un travail de longue haleine qui requiert l’implication de tous dans la facilitation des conditions de vie de l’ensemble de la société de manière générale et du consommateur en particulier.

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