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Matériaux de construction : l’état complice de la flambée des prix ?

Le ciment, le fer à béton, les pointes..., pourtant produits localement, font l’objet de surenchère sur le marché local, en violation des prix homologués par le ministère du Commerce, et c’est le consommateur qui en paie le prix fort, tandis que le gouvernement brille par son laxisme habituel dans le contrôle de la praticabilité des prix. Au sein de la société civile, des voix autorisées croient savoir que cette inflation clandestine est due à la pandémie de Coronavirus.

On n’en est plus à la spéculation comme l’a indiqué le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, au mois d’avril dernier, à l’occasion d’une opération de vérification de la disponibilité des stocks de denrées alimentaires dans les magasins de Yaoundé. Ce jour-là, le patron de ce département ministériel avait fait une digression lors de la réunion de débriefing de cette activité avec la presse, pour indiquer que les prix des matériaux de construction n’avaient nullement subi une augmentation. Deux mois après, on y est. Les prix des matériaux de construction dans leur ensemble flambent sur le marché et diffèrent au gré des enseignes de distribution et aussi en fonction des villes.

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A Yaoundé, un sac de ciment, matériau de base dans les chantiers de construction, coûte désormais entre 4800F et 5000F en fonction des surfaces de distribution alors qu’il se situait autour de 4500F au mois de janvier 2021. Le Cameroun dispose pourtant d’une gamme variée de ce produit fabriqué localement pour la plupart. Plusieurs opérateurs ont obtenu des licences dans ce secteur. En plus des Cimenteries du Cameroun (Cimencam) avec une capacité de production de 2,5 millions de tonnes annuelles, on retrouve le nigérian Dangote et ses 1,5 millions de tonnes ; le turc Eren avec 600 000 tonnes, le marocain Cimaf avec 500 000 tonnes. Dans la foulée, de nouveaux opérateurs font leur entrée dans le secteur, à l’instar de l’ivoirien Atlantic Group…

Au-delà des prix homologués

La production globale nationale est estimée à 4,5 millions de tonnes en 2020, tandis que la demande nationale se chiffre autour de 3 millions de F selon les chiffres du ministère du Commerce. La filière est porteuse, et sa libéralisation devrait pouvoir assurer la compétitivité du marché avec des prix concurrentiels pour laisser libre choix au consommateur. Ce qui ne semble pourtant pas le cas. Tout se passe comme si les opérateurs avaient convenu des marges de prix en violation des prix homologués par le gouvernement, alors que les prix pratiqués sur le marché ne devraient pas excéder ceux-ci. En avril 2021, le prix homologué du ciment Cpj 35 est de 4700F, or sur le marché, il est vendu à 4900 voire 5000F, tandis que le ciment Dangote 42.5, censé coûter moins de 4900 tel que recommandé par le gouvernement, s’élève à plus de 5000F.

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Il est du ciment, comme du fer à béton. Les différentes variétés de ce matériau subissent aussi des renchérissements que l’on ne saurait expliquer. Le fer dit de « 6 » est passé de 1200F à 1750, le fer de « 8 » de 2700 à 3200F, le fer de 10 de 3800 à 4500, alors que le fer de 12 se vend désormais à 6500F au lieu de 4500F. Pourtant, la filière métallurgie-sidérurgie est tout aussi porteuse de promesses que celle du ciment. Elle revendique une production annuelle évaluée à 260.000 tonnes, et peut se gargariser d’être l’une des rares filières du pays à satisfaire la demande locale, laquelle se chiffre à 180.000 tonnes de fer à béton par an, grâce notamment à la contribution assez significative des trois leaders du marché à savoir, Prometal, les Aciéries du Cameroun et Metafrique. Une production qui devrait s’accroitre en 2021 avec 100.000 tonnes supplémentaires, grâce à la mise en service d’une nouvelle usine par le leader du marché camerounais, Prometal, dans la zone industrielle de Douala-Bassa. Les opérateurs de ce secteur plaident auprès des pouvoirs publics afin qu’ils mettent réellement en application les mesures interdisant les importations de fer à béton pour leur faire une concurrence déloyale. Pour autant, ils n’offrent pas de garantie pour assurer une stabilité des prix sur le marché.

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L’Etat-gendarme complice?

La flambée des prix des matériaux de construction observée sur le marché en ce moment est d’autant plus inquiétante que le gouvernement, responsable de la régulation du marché, se mure dans un silence inquiétant. Il ne fait rien, ou pas assez pour protéger le consommateur. Il a fixé des prix qui ne sont généralement pratiqués qu’au gré de ses visites sur le terrain, lesquels repartent aussitôt en hausse au terme de celles-ci. Des tendances inflationnistes régulièrement démenties par le gouvernement, comme c’était encore le cas en avril dernier, lorsque le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana indiquait, au sujet des spéculations autour de la hausse des prix de matériaux de construction, qu’il n’en n’était rien. Et pour convaincre ses interlocuteurs de la presse, il leur remettait une grille des prix homologués du ciment et du fer à béton (toute gamme comprise), alors que la tendance était justement à l’inflation depuis le début de l’année.

Il est difficile d’établir l’origine de cette inflation, tout au moins pour les matériaux de construction, mais comme par enchantement, la pandémie de Coronavirus est évoquée comme l’alibi idéal pour justifier cette hausse des prix. Pour le président de l’Assemblée générale de l’Ordre national des architectes du Cameroun, Abdou Mbilambozoum, la crise sanitaire a eu de graves conséquences sur la production, et a pu occasionner une hausse des prix. « Je pense que les usines qui fabriquent les matériaux ne sont pas à leur top niveau de production. Et cela a une incidence sur les prix. Il m’est arrivé d’acheter un sac de ciment à Maroua à 7500F. Lorsqu’il y a pénurie ici, et que les frontières sont fermées, les prix grimpent. Quand les frontières n’étaient pas fermées, le Nigeria ravitaillait le marché local, mais là, c’est vraiment compliqué », déchante l’architecte.

Les matériaux locaux comme option

Le ciment et le fer à béton, objets d’inflation actuellement sur le marché camerounais, sont très prisés dans le domaine des Bâtiments et Travaux publics au Cameroun, et la grande majorité des Camerounais qui rêvent d’un habitat sont souvent confrontés au casse-tête de leur acquisition pour se convaincre de l’effectivité de leurs projets de construction. Et pourtant, l’habitat peut bien se passer dans certains cas de ces matériaux. Le ciment, élément indispensable dans les BTP, représente 40 à 45% des matériaux pour la construction d’une maison.

A l’Ordre national des architectes du Cameroun, des voix autorisées espèrent que les consommateurs, tout au moins ceux qui envisagent de se doter d’une maison, pourraient renoncer à l’obstination de l’acquisition à tout prix du ciment et du fer à béton dans le contexte actuel marquée par les prix en hausse, pour se tourner vers l’usage des matériaux locaux comme alternative pour leurs projets. « Nous prônons l’habitat décent. Ça va inciter le Camerounais à revenir à la promotion des matériaux locaux. Nous avons le bois, la pierre, la terre, et nous ne savons pas en faire bon usage. Il faudrait que cette flambée des prix nous ramène à la raison, afin que nous puissions faire bon usage de ces matériaux que la nature nous a offert gracieusement », plaide Abdou Mbilambozoum, président de l’Assemblée générale de l’Ordre national des architectes du Cameroun.

Au Cameroun, c’est pour faire la promotion de l’habitat décent à base de matériaux locaux que le Président de la République a créé le 18 septembre 1990 la Mission de promotion des matériaux locaux (Mipromalo), avec pour objet de valoriser l’emploi des matériaux locaux en vue de réduire les coûts de réalisation des équipements nationaux.

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