Opinions

Par Viviane Ondoua Biwole
-Le poste de Premier Ministre est-il nécessaire? ?

A peine réélu, le Président de la République sénégalaise, Macky Sall annonce les couleurs ! Certes, il n’a pas encore décliné toutes ses réformes, mais il a annoncé son intention de supprimer le poste de Premier Ministre. Il s’agit en réalité d’une réforme constitutionnelle importante, qui va nécessiter une réorganisation de l’Etat et de ses différents acteurs. Jusqu’à présent, les fonctions reconnues au Premier Ministre sont communes aux autres pays ayant adopté le régime exécutif bicéphale. En effet, le rôle du Premier Ministre est différent selon qu’on soit dans un régime exécutif bicéphale ou un régime parlementaire. Dans un régime parlementaire, comme en Grande Bretagne, le Premier Ministre et le Gouvernement sont responsables devant le parlement. Le Premier Ministre est élu par le parlement ou directement nommé par le Chef de l’Etat. Dans un pouvoir exécutif bicéphale, le Premier Ministre est nommé par le Président de la République.

Au Sénégal, c’est le régime exécutif bicéphale (régime présidentiel) qui est en vigueur. Le Premier Ministre est nommé par le Président de la République. Dans ce contexte, il est le Chef du Gouvernement. Il coordonne l’action du Gouvernement et en assume la performance. Sa fonction de coordination lui confère la responsabilité de fixer les orientations, les priorités, d’arbitrer les conflits entre les ministres et assurer la cohérence dans l’action des membres du Gouvernement. Le Premier Ministre ne peut pas révoquer un ministre en cas de faute grave. Il peut simplement proposer au Président de la République de le faire.

Il reçoit donc mandat du Président de la République d’assurer la fonction de coordination. Si on reprend les fonctions du manager réparties en trois grandes catégories, la planification, l’exécution et l’évaluation, on retiendra que le Premier Ministre assiste le Président dans la planification, il dirige et rend compte de la performance du Gouvernement devant l’Assemblée Nationale. Il agit donc par délégation. Abordons ici les compétences qu’il assume directement avant de nous intéresser aux conséquences de la suppression d’un Premier Ministre au Sénégal.

COMPÉTENCES DU PREMIER MINISTRE

La constitution du Sénégal confère deux compétences au Premier Ministre : la coordination de l’action gouvernementale et la reddition des comptes devant le Parlement.

La coordination de l’action du Gouvernement

L’article 36 de la constitution du Sénégal dispose que « Le Président de la République est le gardien de la Constitution. Il détermine la politique de la Nation, que le Gouvernement applique sous la direction du Premier Ministre ». Le Premier ministre applique donc la politique du Gouvernement. Il assure l’exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire, sous réserve des prérogatives réservées au Président de la République. Les amendements de lois du Président de la République sont présentés par le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement. Il peut soumettre au Président des propositions de lois au Référendum après avoir consulté le parlement et après avis du Conseil Constitutionnel. Le Premier Ministre peut suggérer un ordre du jour d’une session extraordinaire de l’Assemblée Nationale. Par ailleurs, certains actes du Président de la République sont contresignés par le Premier Ministre.

C’est le Président de la République qui nomme le Premier Ministre et met fin à ses fonctions. Celles des ministres prennent fin avec celles du Premier Ministre (article 43 de la Constitution). Le Président peut lui déléguer certains de ses pouvoirs. Au plan de la mise en œuvre de la politique de la Nation, il y a partage de responsabilités entre le Président de la République et le Premier Ministre.

Au plan de la réédition des comptes

A l’évidence, après l’action, le Premier Ministre rend compte de la performance du Gouvernement devant le parlement. En effet, le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement peuvent être entendus à tout moment par l’Assemblée Nationale et par ses commissions. Ils peuvent se faire assister par des collaborateurs (article 70 de la constitution). Le Premier Ministre et les membres du Gouvernement répondent aux questions des députés. Les députés peuvent voter une motion de censure du Gouvernement par voie de vote. Dans ce cas, le Premier Ministre dépose immédiatement la démission de son Gouvernement au Président de la République (article 75 de la Constitution). De même, le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou de délits au moment où ils ont été commis (article 87).

Il apparaît alors que le Premier Ministre assume des responsabilités non négligeables. La suppression de ce poste va donc fondamentalement modifier le fonctionnement de l’Etat sénégalais.

CONSÉQUENCES DE LA SUPPRESSION D’UN PREMIER MINISTRE AU SÉNÉGAL

La suppression du poste de Premier Ministre impose de revoir l’organisation et la structure des instances de l’exécutif. Il ne s’agit pas d’un exercice d’écriture affectant au Président de la République les prérogatives du Premier Ministre. Plusieurs régimes présidentiels existent sans Premier Ministre dont entre autres le Bénin, le Burundi, l’Angola, le Brésil, le Chili, l’Equateur, le Malawi, le Venezuela, la Gambie. Il n’y a donc pas de panacée dans la structuration de l’action gouvernementale. Le poste de Premier Ministre peut donc être supprimé sans qu’il n’y ait de séisme fonctionnel. Au-delà d’une décision politique qui entraine une modification de la constitution, il s’agit d’une réorganisation fonctionnelle. Dans ce contexte, le Président de la République est en première ligne. Cette décision engage donc une forte implication du ¨Président de la République et une décentralisation conséquente.

Forte implication du Président de la République

L’absence d’un Premier Ministre responsabilise davantage le Président de la République qui en plus de l’exécution transige directement avec le parlement pour toutes les questions législatives et la réédition des comptes. Cette réalité exige une reconfiguration des services de la Présidence dont la densité des activités est le prétexte. La structure administrative qui accompagne l’action du Président de la République connaîtra sans doute une réorganisation conséquente pour faciliter l’action du Chef de l’Etat. Son travail peut également être facilité par l’usage des TICs.

Il faut reconnaître que les TICs modifient les compétences, les rôles et responsabilités des managers. Le Premier Ministre n’échappe pas à cette réalité. En effet dans le cadre de la coordination, l’information est un outil permanent. Désormais, elle est accessible par divers moyens. De même la compétence n’est plus hiérarchisée, elle peut s’acquérir en présentiel ou en ligne, dans les ouvrages ou lors des conversations, à la télévision ou via les tutoriels disponibles sur internet. Le sommet hiérarchique n’est plus le seul diffuseur de l’information comme l’avait imaginé Mintzberg (1984). Il est désormais possible de tenir une réunion en visioconférence avec les responsables de divers continents. Les instructions ou les informations sont données désormais par Tweet, par Whatsapp ou par Facebook. Sans vouloir minimiser le travail du Premier Ministre, il apparaît que la délégation qu’il reçoit du Président de la République peut être efficacement simplifiée. Cette réalité et l’agilité imposée par l’environnement turbulent et mutant remettent en débat la pertinence des postes d’adjoints et de seconds : directeur général adjoint, secrétaire d’Etat, ministre délégué.

Une forte décentralisation

L’absence d’un Premier Ministre accentue la centralisation du pouvoir au niveau du Président de la République. En effet, concentrer toutes les responsabilités antérieurement assurées par le Premier Ministre entre les mains du Président de la République pourrait s’avérer inefficace sauf si celui-ci dispose d’une énergie herculéenne… Un arbitrage efficace entre compétences centrales et décentralisées permettra d’alléger le travail du Président de la République à la faveur des Collectivités Territoriales Décentralisées.

Quoi qu’il en soit, la suppression du poste de Premier Ministre devrait contribuer à améliorer l’efficacité des politiques publiques engagées. C’est donc a posteriori que le Sénégal pourra juger de la pertinence de cette décision. Tout jugement antérieur relèverait d’une spéculation intellectuelle. On pourrait tout de même assumer l’idée selon laquelle supprimer le poste de Premier Ministre engage le Président dans l’action et en première ligne.

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