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Patriotisme économique : la série noire

Dans sa quête d’émergence, le Cameroun a su compter avec l’engagement sans réserve de certains de ses fils naturels ou adoptifs. Il en est ainsi de Pascal Monkam, célèbre hôtelier qui a fait fortune à l’étranger mais n’a jamais oublié la mère-Patrie; Bernard Njonga, homme politique, leader de la société civile et figure de proue de l’économie sociale et solidaire qui a redonné aux paysans la fierté et la dignité d’antan ; Ikeola Adebayo Ajewole, de nationalité nigériane, Directeur générale de l’Union camerounaise des brasseries (UCB) depuis mars 2010. Chacun d’eux a sacrifié les plus belles années de sa vie pour l’indépendance économique du Cameroun. La bataille n’est pas gagnée mais le changement de paradigme dans la définition de la politique économique témoigne de ce qu’ils n’ont pas œuvré en vain. Ils viennent tous de quitter la scène sous les coups de la grande faucheuse. EcoMatin rend un vibrant hommage à trois artisans de la lutte contre l’extraversion de l’économie nationale.

Le monde des affaires porte le deuil de Pascal Monkam, le magnat de l’immobilier, qui a passé l’arme à gauche le samedi 27 février dernier, des suites de maladie en Afrique du Sud. Le richissime homme d’affaires de 90 ans quitte la scène et laisse derrière lui une économie camerounaise en souffrance, qui devra aussi espérer des retombées de ses multiples réalisations pour tenter de se relancer. Le promoteur de la Société des établissements Monkam (SEM), a fait fortune dans l’immobilier au Cameroun, où il dispose de plusieurs établissements hôteliers, dont les plus en vue sont les hôtels « La Falaise », répartis entre Yaoundé, Douala et Bafang.

La capitale économique concentre l’essentiel de ses investissements dans ce secteur au niveau national, et c’est ici, notamment à Bonapriso, un quartier huppé de la ville, qu’il a érigé le dernier des trois. Une tour de 16 niveaux composée de 125 chambres, 12 suites et 12 appartements, qui en font l’un des hôtels les plus importants de Douala, dont le coût global est estimé à près de 10 milliards de F CFA.

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La réputation de Pascal Monkam traverse les frontières camerounaises. En Afrique du Sud, il a également investi dans le secteur de l’immobilier. A la fin des années 90, il a ciblé le pays de Nelson Mandela pour ses investissements, au détriment de la Côte d’ivoire qu’il avait préalablement inspecté. Le promoteur de SEM penchera pour la ville de Pretoria où il a consenti d’importants investissements, parmi lesquels les « tours jumelles Monkam », de dix et quinze niveaux, et comptent parmi les bâtisses les plus truculentes de cette ville sud-africaine. Là-bas, il est aussi propriétaire de Pretoria Hôtel, du Tamboti Lodge et du Park Lodge Hôtel.

Le holding de Pascal Monkam n’a pas fait qu’exceller dans l’hôtellerie et l’immobilier commercial, mais aussi dans la distribution brassicole. C’est d’ailleurs dans ce secteur qu’il s’est d’abord lancé dans les années 1950, et il est considéré à ce jour par la Société Anonyme des Brasseries du Cameroun, comme le « plus gros distributeur des Brasseries du Cameroun, en volumes ». Des capitaines d’industrie camerounaise, Pascal Monkam était encore l’un des derniers de la lignée de ces mastodontes qui ont émergé au lendemain de l’indépendance du Cameroun, après les décès de Victor Fotso, d’André Sohaing, ou encore de Jean Samuel Noutchogouin.

Ikeola Adebayo Ajewole: le maître à penser de UCB s’en est allé

Après la disparition de Joseph Kadji Defosso, Fondateur du Groupe Kadji, le 23 août 2018, le groupe industriel est de nouveau frappé de malheur. Ajewole Adebayo, le Directeur général de l’Union de Brasseries du Cameroun (UCB), une des filiales du Groupe Kadji, a rendu l’âme ce 1er mars 2021. D’après un communiqué rendu public par les responsables de cette entreprise, le manager de nationalité nigériane est mort à Lagos au Nigeria, de suite de maladie. Arrivé à la tête de cette entreprise brassicole en 2010, Ajewole Ikeola Adebayo a engagé un vaste plan de restructuration autour de la réorganisation de la distribution des produits, la rénovation du parc de véhicules de l’entreprise, l’augmentation des points de vente, les campagnes promotionnelles de la marque, mais surtout l’amélioration de la qualité des produits de l’entreprise (Kadji beer, King, K44, Madiba, 5 boissons gazeuses de la gamme Spécial).

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«Ajewole Adebayo arrive à la tête de l’Union Camerounaise de Brasseries en mars 2010. Sous la houlette de ce digne fils de l’Afrique, le brasseur camerounais passera du statut de petit Poucet à celui de valeur sûre de l’industrie brassicole locale, doublant en quelques années les parts de marché de l’entreprise. Son activité incessante autour des valeurs de rigueur, de probité morale et d’excellence, a été le guide de la compagnie pendant la décennie qui vient de s’écouler», mentionne un communiqué signé de Maffeu Kadji Nicole, au nom de UCB et du Groupe Kadji. Dans un environnement hautement concurrentiel, UCB a pu en effet progressivement remonter la pente. En 2018, l’entreprise occupait le 4ème rang des industries brassicoles du Cameroun avec des parts de marché évaluées à 0,9%, d’après des chiffres publiés par le Cabinet Nielsen (SABC: 75,3%, Sources du Pays: 18,1%, Diageo Guinness : 3,8%). UCB produit mensuellement 510.000 hectolitres commercialisés en bouteilles en verre, bouteilles PET et en fûts. Ajewole Adebayo a réussi avant sa mort à augmenter les parts de marchés de l’entreprise qui se situent désormais à 16%. C’est d’ailleurs sous la direction du manager nigérian que la «Kadji beer», marque-phare de la gamme de produits UCB a porté le nom de «champagne du pays». Conséquence magistrale d’un savant brassage impulsé par ce dernier.

Bernard Njonga : le défenseur du monde rural

La nouvelle est tombée tel un couperet dans la nuit du 21 au 22 février 2021. A 66 ans, L’ingénieur agronome camerounais Bernard Njonga est décédé au CHU d’Amiens, en France des suites de maladie. Un décès qui laisse orphelin le monde rural pour lequel il aura mené un combat sans relâche. Fondateur de l’Association des citoyens pour la défense des intérêts collectifs (Acdic), de l’ONG agricole Saild, du parti politique Croire au Cameroun (CRAC), et du journal La Voix du paysan, ce bouillonnant syndicaliste s’est fait l’âme du monde agricole au Cameroun.

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L’un des combats sur lequel cet ardent défenseur de la cause agricole se sera battu c’est pour la préservation des intérêts de la filière avicole camerounaise. Cette filière avait littéralement sombré au début des années 2000, la production ayant touché le fond en 2006, année de la grippe aviaire. L’épizootie faillit porter le coup de grâce à la filière, qui se délitait depuis qu’un accord avec l’Union européenne, passé en 1995, autorisait l’importation des découpes de poulet congelé en provenance de l’UE. Le poulet européen, bas de gamme et subventionné via la Politique agricole commune, provoquait un dumping sur les prix : il était vendu 900 Francs CFA le kilo sur les marchés, contre 1 900 Francs CFA pour le camerounais (soit 1,40 euro le kilo pour un poulet européen contre 2,90 euros le kilo pour une volaille camerounaise).

Entre manifestations, incarcérations et plaidoyers à l’international, celui qui se présentait comme l’ami de l’altermondialiste José Bové, obtint du gouvernement en mars 2006, l’interdiction des importations de poulets congelés dans le pays. Une bataille gagnée haut la main et dont les résultats se firent ressentir. Quelques années seulement après, la filière avicole bénéficia de 4 milliards de Francs CFA d’aides publiques pour se reconstruire et la perspective d’une sérénité retrouvée a favorisé les investissements des entreprises. Le Cameroun a produit environ 75 tonnes de poulets contre 25 000 en 2006. Selon l’interprofession avicole du Cameroun, la filière a contribué en 2013 à la création de 320 000 emplois contre seulement 120 000 en 2006. « Je suis convaincu que nous avons le potentiel de satisfaire la demande locale, régionale et plus. Pour peu que nous le voulions » commentais, optimiste Bernard Njonga. Très connu pour son combat en faveur des populations rurales, ce dernier a implémenté la philosophie du «consommons ce que nous produisons » afin de réduire l’importation des produits de premières nécessités.

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