Politiques Publiques

Prospectives économiques : le ministre des Finances ausculte l’année 2021

Dans cet entretien, Louis Paul Motaze présente les grands arbitrages, les innovations fiscalo-douanières et les éléments de politique budgétaire pour le soutien à la production et l'accompagnement de la décentralisation en 2021.

M. le Ministre, le Cameroun comme plusieurs pays dans le monde a dû faire face à la pandémie de la Covid-19. Quelles sont à cette heure, les conséquences pour les finances de notre pays ?

Il faut dire que les conséquences économiques de la pandémie du coronavirus n’ont épargné aucun secteur du globe, ni aucun secteur d’activité La raison en est la virulence et la forte mobilité du virus, conjuguée à la forte contagiosité de la pathologie. Mais la raison en est aussi que l’économie s’est mondialisée, sous l’effet de la globalisation des échanges. Les flux de main d’œuvre de matières premières et de capitaux n’ont plus de frontières. Cela nous amène donc à indiquer d’emblée que les effets de cette catastrophe sanitaire au Cameroun sont à la fois endogènes et exogènes.

Toutefois, fois, eu égard au contexte, l’évaluation chiffrée et objective de l’impact de la pandémie ne peut s’appuyer que sur des estimations très approximatives et partielles, lorsqu’elles existent, faute de données exhaustives et fiables. En attendant que des études plus approfondies soient menées par les organismes spécialisées. Sur ce sujet, seuls les dernières révisions du cadrage macroéconomique réalisé en fin septembre dernier par mes services nous permettent de nous prononcer objectivement sur l’impact réelle de cette pandémie tant sur l’économie réelle que sur les finances publiques.

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Ainsi, sur la base de ces données, je puis affirmer que l’année 2020 aura été une année particulièrement morose avec un taux de croissance du PIB projeté à -26% contre une prévision initiale de 4,0%. Cela est dû à une forte contraction de l’activité économique consécutive aux importantes mesures et actions vigoureuses prises par le gouvernement aux fins d’endiguer la pandémie. Ce qui s’est traduit au plan budgétaire par un manque à recouvrer au titre des recettes fiscales entrainant un déséquilibre budgétaire et financier des opérations de l’État telles que projetées initialement dans le budget 2020. Il s’est ainsi avéré nécessaire d’assurer la prise en charge des dépenses nouvelles et urgentes liées à cette pandémie et ses répercussions socio-économiques.

Au regard de ces évolutions, l’ordonnance N° 2020/001 du 03 juin a modifié les projections de ressources et des autorisations de dépenses de la loi de finances initiale de l’exercice 2020. Cette révision fait ressortir une baisse de recettes propres de l’ordre de 768,7milliards. Cette baisse est particulièrement compensée par la mobilisation de financements additionnels affectés à des usages bien précis. S’agissant du compte extérieur, le déficit du compte courant est prévu en dégradation de plus de 2,5% du PIB, principalement en raison de la baisse des prix des matières premières exportées, notamment le pétrole et du renchérissement des cours des produits importes, en liaison avec la rupture de la chaine d’approvisionnement mondiale.

En tout état de cause, il convient de se féliciter de la résilience de notre économie face à cette terrible pandémie. Résilience due en grande partie à la réactivité du Gouvernement que conduit le Premier Ministre, chef du Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, qui a permis d’atténuer les impacts économiques et sociaux de cette crise et de mettre en place les conditions favorables d’une reprise de l’activité économique en 2021.

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Le budget de l’État pour l’exercice 2021 a été promulgué le 17 décembre 2020 par le Président de la République. Pouvez-vous nous en présenter les grandes masses et les grands arbitrages ?

Globalement, le budget de l’État pour l’exercice 2021 repose sur les hypothèses macroéconomiques ci-après : une croissance réelle du PIB de 3,3% dont 3,5% pour le PIB non pétrolier; un déflateur du PIB non pétrolier de 1,5%, un cours du baril de pétrole camerounais à 40,3 dollars et une production de 24,8 millions de barils: une production de gaz projetée à 82 milliards de scf; un prix du baril de gaz à 4,4 dollars : un taux de change du dollar a 579,8 FCFA et un déficit du solde budgétaire (hors Dons) de 4.2% du PIB.

Sur la base de ces éléments, le budget 2021 s’équilibre en recettes en dépenses à la somme de 4865,2 milliards FCFA dont 195,2 milliards au titre des Comptes d’Affectation Spécial (CAS), contre 4632, 7 de FCFA en 2020 (ordonnance du 30 juin 2020) soit une augmentation de 232,5 milliards en valeur absolue et 5% en valeur relative. Ainsi, la ventilation de cette enveloppe par grandes masses se présente ainsi qu’il suit :

– Dépenses courantes (hors intérêts) : 2333,5 milliards,

-Dépenses d’investissement: 1352 milliards,

– Dette publique: 982,4 milliards.

Les dépenses courantes quant à elles sont reparties selon les rubriques, habituelles ainsi qu’il suit :

-Dépenses de personnel : 1069,8 milliards,

-Achats de biens services : 736,9 milliards

– Transferts et subventions : 528,8 milliards;

– Les intérêts de la dette publique : 228,7 milliards

En plus de ces dépenses du budget général, une provision de 100 milliards FCFA a été prévue au titre du Fonds de Solidarité National pour la lutte contre le Coronavirus et ses répercussions économiques et sociales. Par ailleurs, une dotation additionnelle de 50 milliards a été constituée à travers ce fonds pour I’amorce de la mise en œuvre du Plan de soutien à la production et à la transformation locale des produits de grande consommation en lien avec l’opérationnalisation de la politique d’import-substitution. Toutes choses qui situent le plafond dudit fonds à un montant de 150 milliards FCFA, finance entièrement par des versements provenant du budget général.

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Pour ce qui est des autres Comptes d’Affectation Spéciale (CAS), ils s’équilibrent en recettes et en dépenses 45,2 milliards dont 7 milliards au titre du fonds de développement du secteur de l’électricité nouvellement créé.

Quels sont les éléments de politique budgétaire sur lesquels ce budget a été élaboré ?

Depuis quelques temps déjà, l’un des axes majeurs de la politique budgétaire de notre pays repose sur l’objectif de réduction du déficit budgétaire. Celui-ci passe par la mobilisation optimale des recettes internes non pétrolières, tout en maintenant une politique incitative au plan économique et protectrice au plan social ; l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience de la dépense publique. Par ailleurs, en 2021, des actions spécifiques sont envisagées en vue de permettre non seulement la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Développement et le plan de relance post-covid, mais également de soutenir la riposte sanitaire face à la COVID-19 ; permettre la mise en œuvre du plan de reconstruction des régions affectées par la crise sécuritaire (Extrême Nord, Nord-Ouest et Sud-Ouest) ; renforcer le processus de décentralisation favoriser la tenue des grands évènements sportifs internationaux (Organisation du CHAN et de la CAN) et assurer la mise en place de la couverture sanitaire universelle. Il ne vous a certainement pas échappé que le gouvernement, ayant tiré toutes les leçons de la crise sanitaire en cours, entend également, dans un élan de renforcement de notre souveraineté économique, soutenir la production et la transformation des produits de grande consommation pour une croissance plus endogène.

Quelles sont les principales innovations au plan fiscal et douanier de ce budget ?

Je tiens tout d’abord à préciser que contrairement à ce qui se dit, la politique fiscale du gouvernement pour l’exercice 2021 n’augmente pas la charge fiscale pour les contribuables. Bien au contraire, cette dernière concède même un ensemble d’exonérations qui s’inscrivent dans le cadre de la poursuite du soutien aux entreprises et de la relance de l’activité économique dans une situation de post-crise, tout en s’appuyant sur des mesures administratives d’élargissement de l’assiette fiscale et de sécurisation des recettes.

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C’est ainsi qu’en rapport avec le soutien à la relance de l’économie, il est prévu notamment et entre autres des mesures d’allègrement de la charge fiscale des entreprises affectées par la crise sanitaire. Il s’agit des mesures telles que la réduction de deux points (de 30% à 28%) du taux de l’impôt sur les bénéfices au profit des petites et moyennes entreprises ; la suppression de la taxe à l’essieu au profit des transporteurs ; l’exonération de l’impôt sur les sociétés au profit du secteur hôtelier ; la reconduction au titre de l’exercice 2021 de la suspension de la taxe de séjour afin d’améliorer le taux de fréquentation des établissements d’hébergement fortement impactés par la crise ; la réduction de 4% à 3% du taux de la taxe d’abattage des entreprises forestières justifiant d’une certification matière de gestion durable des forêts; la suppression de la condition d’agrément au code des investissements pour le bénéfice de l’application du droit fixe sur la prise en charge du passif lors des opérations d’apports partiels d’actifs etc.

En ce qui concerne les mesures de promotion de l’import-substitution, je peux citer entre autres mesures, le renforcement du régime fiscal de promotion du secteur agricole en soutien à la promotion de l’import-substitution, à travers l’insertion dans la liste des exonérations de TVA des intrants et équipements agricoles non vises et la suppression des droits d’accises sur les produits cosmétiques produits localement afin de permettre à l’industrie locale de faire face à la concurrence des produits importés qui demeure un facteur de dégradation de notre balance commerciale.

En matière douanière, plusieurs mesures nouvelles sont également prévues dans le cadre du déploiement de la politique d’import-substitution. Il s’agit notamment de l’exonération totale de droits et taxes de douane, de l’essentiel des équipements et intrants destinés à l’agriculture, à la pêche, à l’élevage et å l’industrie pharmaceutique ; la soumission aux droits d’accises de certains biens importés qui peuvent être produits sans difficultés négatives (hydroquinone par exemple) avec en prime, l’application des mesures de contingentements ou de restrictions quantitatives. Les produits visés par ces droits d’accises étant notamment :

– Au taux général de 25% : le mobilier et ouvrages en bois, certains articles alimentaires courants produits localement tels que les savons et les détergents, les cure-dents, les emballages en matière plastique et textile, les fleurs naturelles et artificielles ;

– Au taux réduit 5%: les gruaux de mais, la mayonnaise, etc.

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En particulier, quelles sont les mesures que le gouvernement a prise dans le cadre du budget pour aider les entreprises durement touchées par la Covid-19 à accéder à de la trésorerie pour la relance de leurs activités en 2021?

Comme je l’ai indiqué plus haut, le gouvernement entend contribuer à sa manière à un regain de vitalité de l’économie nationale dès l’exercice 2021. D’ou le plan relance économique post Covid-19 adossé sur la loi de finances de l’exercice courant. Ce plan de relance vise non seulement à apporter un soutien conséquent aux branches négativement impactées par la pandémie mais aussi a celles ayant un effet d’entrainement important sur le reste de l’économie. Ainsi, il devra permettre de préserver |’activité économique et les emplois et de mettre en place des conditions pour un retour rapide au niveau d’activité d’avant-crise et de préparer l’avenir, ce plan se décline en quatre principaux axes en l’occurrence la consolation budgétaire ; la mise en place des dispositifs adaptés et dédiés au financement des entreprises; la dynamisation des filières de croissance et le renforcement de la compétitivité des entreprises.

Cette politique de soutien aux entreprises impactées par la pandémie et relance de l’économie d’une manière générale, sera financée par une provision budgétaire de 100 milliards FCFA prévus au titre du Fonds de Solidarité National pour la lutte contre le Coronavirus et ses répercussions économiques et sociales. Dans le même sillage, 50 milliards sont également provisionnés pour le fond de soutien à la production et la transformation des produits de grande consommation.

Toujours en ce qui concerne le soutien aux entreprises, le gouvernement envisage de mettre en place des dispositifs adaptés permettant de résoudre les difficultés d’accès au financement du haut et du bas du bilan des entreprises à travers les lignes spécifiques de financement logées dans les établissements bancaires.

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Les élections régionales ont eu lieu, consacrant une avancée majeure dans le processus de décentralisation. Sauf que les ressources transférées aux CTD restent insuffisantes selon les élus locaux. Quels arbitrages budgétaires ont été faits en faveur des CTDs dans ce budget 2021 ? Quels sont les objectifs à moyen terme du gouvernement dans ce dossier ?

Comme vous le savez, le gouvernement sous la très haute impulsion du Président de la République S.E. Paul Biya, s’est inscrit dans une dynamique de consolidation de la décentralisation. C’est dans ce cadre que les Conseils régionaux, deniers maillons de la chaine des instituions y relatives viennent d’être mises en place ainsi que les régions a statut spécial du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Tout ce dispositif se situe dans le sillage des actions gouvernementales visant á renforcer l’unité nationale et à consolider le processus démocratique de notre pays. Dans le cadre du budget 2021, les mesures ont été prises pour assurer le fonctionnement normal de ces nouvelles institutions. Les ressources y relatives leur seront allouées par les mécanismes appropriés. Par ailleurs, sur les 180 milliards provisionnés pour le financement du Fonds de Solidarité National, 30 milliards sont prévus pour la décentralisation. Cette enveloppe vient en appui à diverses autres dotations budgétaires concédées jusqu’à date à ce volet important de la politique gouvernementale.

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