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Quelle interprétation économique apporter à l’augmentation inédite des taux d’intérêts par la BEAC ?

Le Professeur Christian-Lambert Nguena, analyse les implications de la récente décision du comité de politique monétaire de la Beac visant à réviser à la hausse les taux directeurs de la Banque centrale.

Alors que la Banque centrale des États de l’Afrique centrale (BEAC) projetait un taux d’inflation de 2,2% dans la sous-région Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) en 2022, soit une hausse de 0,5% par rapport au 1,7% de 2021, la sous-région vie ce qu’on peut appeler une crise inflationniste avec un taux bien au-delà de cette dernière prévision. Selon l’Institut national de la statistique (INS) du Cameroun, la hausse des prix a pris l’envol en février 2022, avec une augmentation du niveau général des prix de 3,3%.

La BEAC ayant pour objectif statutaire la stabilité des prix autour de 3%, il est donc légitime qu’elle se sente interpellée par cette situation inédite. En effet, l’inflation dans la sous-région était jusque-là en dessous des 3% pendant une longue période. C’est dans ce contexte que le 28 mars dernier, la BEAC a décidé de relever ses taux d’intérêt de 50 points de base, pour les porter à 4 %. Diagnostiquer cette décision inédite passe par la mise en avant des points essentiels suivants : d’une part la réussite d’une pareille politique dépend de l’origine de l’inflation et d’autre part, la poursuite de son objectif de stabilité des prix peut plomber la marche de croissance économique. De même, au-delà de la vérification de l’efficacité de la politique monétaire menée jusqu’ici par la BEAC, il faut envisager des mesures accompagnatrices des différents gouvernements à travers des politiques budgétaires et/ou fiscales bien introduites et orientées.

L’inflation dans la sous-région est pour l’essentiel importée :

Selon le type et le contexte des économies concernées, l’inflation peut résulter d’une multitude de causes telles que : l’augmentation excessive de la masse monétaire ; une demande supérieure à l’offre de biens et services disponibles ; une hausse des prix des biens et/ou matières premières d’importation (inflation importée) ; une augmentation des coûts de production (salaires vs productivité, matières premières, énergie…) ; une hausse structurelle (défaut de concurrence, prix administrés … etc.) ; ou des causes psychologiques et phénomènes d’anticipation pouvant générer une spirale inflationniste. Ces causes peuvent agir chacune séparément ou/et en combinaison.

Pour ce qui est de la zone CEMAC, les pressions inflationnistes sont importées et dans une moindre mesure générées au niveau national. Le rebond de l’inflation dans la sous-région CEMAC a quelque peu surpris la BEAC par sa force et sa durée. Ceci d’autant plus que l’efficience de marché est remise en cause en ce sens que l’on ne sait si la situation devrait s’estomper d’elle-même. La crise ukrainienne avec ses conséquences sur l’énergie et les produits agricoles ne fait qu’accentuer cette tendance. Les économistes ont sous-estimé la désorganisation des chaînes de valeurs par l’épidémie qui s’est produite en 2021. De fait, la stratégie zéro COVID 19 choisie par la Chine et certains pays asiatiques a abouti à des arrêts momentanés de production qui se qui se sont par la suite répercutés sur d’autres pays. La forte demande à la fois naturelle et fabriquée par les plans de relance, a contribué pour sa part à la naissance de cette pression inflationniste.

En particulier, cette inflation importée est manifestement l’expression de l’explosion des coûts du fret maritime, ainsi que la flambée des prix des matières premières agricoles et du pétrole brut en sone CEMAC. Cette réalité qui perdure depuis le début de la pandémie COVID 19 s’est aggravée avec les bombardements de la Russie en Ukraine, depuis fin février 2022. Cette accélération des coûts du fret maritime a une forte responsabilité dans l’inflation du coût des matières de première nécessité. Les statistiques de l’INS affirment que la hausse des prix constatée dans la ville de Douala en février 2022 est surtout la conséquence de la croissance des prix des denrées alimentaires (8,2%), et dans une moindre mesure de l’enseignement (3,6%). De même, au cours de la même période, les prix des denrées alimentaires importées ont augmenté de 9,6%, et ceux des produits locaux de 7,7%. Même si la pesanteur de la continuité empêche en général toute velléité de changement, apporter une solution à cette situation reste légitime ; à condition qu’elle ne crée pas d’autres problèmes en parallèle.

La décision d’augmentation des taux d’intérêts peut plomber l’activité économique :

Les manipulations de l’inflation et de l’intérêt ont pour but d’influencer et orienter les comportements des agents économiques et partant de diriger l’économie réelle. On peut soit augmenter le taux d’intérêt pour freiner l’inflation, soit abaisser le taux d’intérêt pour promouvoir la croissance. Dans le cas d’espèce il s’agit d’une augmentation du taux d’intérêt par la BEAC. Cependant, la faible croissance économique des états de la sous-région devrait attirer l’attention beaucoup plus qu’il en est actuellement. Dans pareil contexte, il est important de se préoccuper de l’effet d’éviction qui peut advenir avec la remise en question de l’effet positif dérivé de la réduction du pouvoir d’achat et partant la destruction du phénomène inflationniste. De fait, les banques centrales sont prises entre l’enclume et le marteau, partagées entre la volonté de limiter les tensions inflationnistes conformément à leurs missions statutaires et la nécessité de maintenir un niveau correct de croissance. Elles doivent aussi veiller à ne pas créer une crise de solvabilité des États qui se sont fortement endettés lors de ces deux dernières années.

Un relèvement des taux d’intérêt pourrait provoquer une série de réactions en chaîne et porter atteinte à la croissance. Il pourrait ainsi conduire à une baisse ou un report de l’investissement des entreprises et des ménages. Au Cameroun, par exemple, les entreprises recourent fortement aux crédits pour se financer. Les États de la sous-région, fortement endettés, sont également fortement exposés à la remontée des taux d’intérêt. Même si l’inflation a l’avantage de réduire le poids de la dette publique au niveau du Produit Intérieur Brut (PIB), le service de la dette quant à lui peut rapidement s’avérer être un fardeau. Toutefois, si l’on s’en tient à l’objectif de stabilité des prix, la politique menée par la BEAC peut être qualifiée d’efficace.

La politique monétaire menée jusqu’ici par la BEAC reste globalement efficace :

S’il est vrai que l’inflation est un problème sérieux à la fois dans tous les pays de la sous-région CEMAC, il faut reconnaître que la BEAC reste efficace dans sa politique depuis les réformes monétaires de 1990 après la mise en évidence des limites de ses actions avant ces réformes. Conformément à l’article 1er de ses Statuts, l’objectif final de la politique monétaire de la BEAC est de garantir la stabilité monétaire. Sans préjudice de cet objectif, la BEAC apporte son soutien aux politiques économiques générales élaborées par les Etats membres. Pour la BEAC, dont la monnaie est rattachée à l’euro par une parité fixe, l’objectif de stabilité monétaire signifie un taux d’inflation faible et un taux de couverture de la monnaie suffisant (le seuil minimal est de 20 %). A travers une politique de refinancement et une politique des réserves obligatoires, la BEAC maintient effectivement et historiquement la stabilité des prix dans la sous-région. Cette dernière décision d’augmenter les taux d’intérêts démontre à suffisance le dévouement de la BEAC à se focaliser sur son objectif primaire et permet de conjecturer que de nouvelles hausses pourront suivre au cas où l’inflation n’est pas jugulée. Par contre, cette efficacité ne concerne pas les autres aspects d’une économie en bonne santé telle que la croissance économique.

Les états membres doivent adopter des mesures budgétaires/fiscales accompagnatrices :

L’état, via son arme budgétaire et/ou fiscale peut aussi s’avérer être une solution à la fois pour le problème d’inflation et de croissance économique. Dans cette lancée, pour contenir ces pressions inflationnistes, les Etats de la CEMAC peuvent par exemple mettre sur pied des mesures fiscales douanières à l’instar de celle prise le 16 novembre 2021 par l’État du Cameroun qui consistait à accorder aux importateurs un rabattement de 80% du montant du fret à prendre en compte pour la détermination de la valeur en douane des marchandises importées par voie maritime. Une pareille politique pourrait contribuer à contenir au moins à court terme l’effet des coûts du fret sur la croissance des prix. Les États peuvent, en concertation avec les acteurs de la sphère productrice, développer d’autres mesures de lutte contre la croissance des prix tout aussi efficaces que les mesures monétaires de la BEAC. Il faut noter qu’il est impossible pour le moment de dire laquelle des deux est plus indiquée pour juguler cette pression inflationniste qui a fait réagir, en inédit, la banque centrale de la sous-région. La manière optimale de le faire serait de laisser les deux institutions réagir et juger leur mesure à partir des résultats engrangés.

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