Opinions

Par Viviane B. Ondoua
– Qui sont les managers camerounais et que valent-ils ?

Avant de répondre à cette question, posons-nous une plus simple : qu’y a-t-il de commun entre mesdames Minja de l’API, Yaou haissatou de la SNI, Abondo de Lanacome, messieurs Mekulu de la CNPS, Akoa du FEICOM,  Tang du MATGENIE et Mendzana de l’ENAM ? On peut élargir l’échantillon si on

veut, il apparait évident que tous ces dirigeants ne viennent pas de la même école. En plus, bien que formés dans les métiers différents, tous n’ont pas suivi une formation commune en management. Toutefois, pour les entreprises et établissements publics il apparait une tendance commune : chaque corps de métiers gèrent ses institutions ; les enseignants d’universités sont recteurs, les médecins sont directeurs d’hôpitaux, les spécialistes de jeunesse et sport gèrent les structures sportives etc…C’est le diplôme à la base qui conditionnerait pour une grande part l’accession à un poste de gestion dans un secteur donné. Une question apparait alors fondamentale : est-ce le métier qui conditionne la capacité à gérer une structure ? La réponse est évidemment NON !

Pourquoi rappeler cette évidence si ce n’est pour attirer l’attention sur la nécessité de disposer de véritables managers à la tête de nos entreprises publiques ? Il convient alors de disposer d’un processus cohérent de fabrication des managers camerounais.

Former les managers ou les dirigeants renvoie à un agir, c’est un processus, un état, un apprentissage structuré. Plus important, le dirigeant n’est pas un apprenant comme un autre, il est le maître de son apprentissage. De ce fait cet apprentissage est pour une grande part contextuel. La formation des managers doit donc tenir compte des éléments propres à l’apprenant, ceux relevant du contexte et  des principes universels. Ainsi, la formation des dirigeants d’un pays relève d’une stratégie voulue et pensée au regard des contraintes auxquelles il faut faire face.

Dans ce contexte, le Cameroun doit décider de l’orientation à retenir : sous-traiter ou non la formation de ses dirigeants. Prenons quelques exemples pour mieux comprendre : La France et les USA donnent la responsabilité aux grandes écoles de commerce (Business school) ou d’ingénieurs de participer à la formation des futurs dirigeants. Nous ne faisons pas de différence ici entre les entreprises du secteur privé et celles du secteur public, les exigences de performance s’imposant à toutes. Ainsi, l’accès à un poste de direction est sanctionné par un diplôme de ces instituts. Le Japon et l’Allemagne confient aux entreprises la responsabilité de concevoir des curricula de formation pour leurs futurs dirigeants. La DRH se chargera alors de détecter les talents et les potentiels et l’entreprise mettra en place un programme de formation pour disposer d’un portefeuille de futurs dirigeants prêts à assumer des postes de responsabilité. Au Cameroun, il existe plusieurs écoles qui prétendent former les dirigeants : l’ESSEC (école supérieure des sciences économiques et commerciales), l’ENAM (pour les métiers de l’administration publique), l’Institut Supérieur de Management Public (ISMP), pour la formation des dirigeants déjà en activité (actuels ou aspirants), les instituts privés et les universités.

Bien que ces instituts existent, l’accès aux postes de direction, et surtout celui le plus élevé (DG, DGA, PCA) n’est pas toujours subordonné à un diplôme ou attestation de formation dans les institutions censées former les dirigeants. Cette situation est aggravée par la nature des curricula qui n’est pas toujours compatible avec les contraintes contextuelles auxquelles les entreprises font face. On pourrait dire que ces curricula focalisent davantage sur les éléments endogènes (propres à l’individu) et peu sur les exigences contextuelles.

A côté de ces constats relevons pour le compte des entreprises publiques des expériences différentes notamment à la CNPS. Cette institution a mis en place un système de formation de ses dirigeants proche du modèle allemand et japonais : des curricula de formations sont proposés pour les cadres et cadres aspirants selon diverses modalités dont les formations en ligne. Ce qui assure la formation de près de 95% du personnel et de 100% de l’ensemble des dirigeants et dirigeants aspirants. D’autres structures (SCDP, CSPH, SNH, SONARA, entre autres) vont davantage privilégier des formations à l’étranger. Si pour les compétences pointues des différents métiers dont les formations ne sont pas offertes au Cameroun c’est compréhensible, pour les formations en gestion, c’est une option critiquable.

A l’évidence, il n’existe pas un modèle national de « fabrique des dirigeants »  au Cameroun. Plusieurs modèles cohabitent sans une véritable cohérence et sans qu’un choix idéologique soit assumé par le politique. En clair, tout le monde peut devenir dirigeant au Cameroun. Au meilleur des cas, la précaution prise est qu’il suffit d’être cadre, idéalement plafonner dans son métier et c’est l’essentiel. Dans certains cas l’expérience antérieure de gestion (un poste de responsabilité, chef de service, directeur, chef de projets, chef d’une délégation importante) n’est pas un préalable. Ici, le diplôme, le titre ou la qualification demeurent des atouts majeurs pour accéder à la fonction de manager. Le critère « école » supplante l’expérience et l’aptitude ; la présomption de compétence entretenue par le diplôme est pourtant une donnée subjective. Ce d’autant qu’il ne s’agit pas du diplôme requis pour les postes de direction. Etre classé dans la catégorie de cadre ne fait de vous un manager ! En effet, vous pouvez être brillant dans votre métier de médecin, d’agronome ou d’enseignant, ce n’est pas pour autant que vous ferez un bon manager. Etre manager est un métier. Autant au moins 7 années sont requises pour former un médecin, être un bon manager demande autant sinon plus d temps. La formation des dirigeants est assimilable à un processus de fabrication qui trouve ses origines à l’école, à l’université, se poursuit dans une école de formation spécialisée et se nourrit d’expérience d’entreprise.

Malheureusement l’administration publique camerounaise ne dispose pas de référentiel de compétences (ce qui est grave) pour le métier de gestionnaire. Dans la majorité des cas, les textes réglementaires ne prévoient pas de profils de poste pour les DG, DGA, PCA et membres du Conseil d’administration, des mesures minimales de gestion pour prétendre au festin de la performance. Le sacro-saint principe du pouvoir discrétionnaire souvent brandit pour légitimer voire encourager cette pratique s’oppose à toute logique de bon sens ! Pour qui sait ce qu’on entend par pouvoir discrétionnaire se réserverait de promouvoir durablement un tel dysfonctionnement dont les conséquences ne sont pas neutres dans la viabilité des entreprises publiques.

Si l’on veut prétendre disposer de managers aptes à braver les défis des lois de 2017, la question de la fabrique des gestionnaires sera une priorité à adresser au risque de considérer que ces lois relèvent essentiellement du cosmétique ! Ce n’est pas ma conviction en tout cas …

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