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Crise de devises : le Congo donne raison au Gicam

Au moment où le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) exprime ses vives préoccupations face à la situation d’extrême gravité de pénurie des devises dont souffre l’économie depuis plusieurs mois, le Congo lui, a autorisé l’importations des devises.

« Au 15 juin dernier, les demandes de transfert totalisaient plusieurs dizaines de milliards de Fcfa. » Dixit Célestin Tawamba, président du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) dans un communiqué rendu public le 29 juin dernier. Selon, le président du mouvement patronal, ce manque de devises est d’une ampleur sans précédent dans notre pays. Il se traduit au niveau des entreprises par un ralentissement considérable des opérations d’importation d’intrants, produits et équipements de production, ainsi que de maintenance de l’outil de production.

cette pénurie pourrait contraindre les entreprises à suspendre voire cesser leurs activités du fait d’une perte de confiance dans des relations distendues avec leurs fournisseurs et partenaires extérieurs

En outre, à plus ou moins brève échéance, cette pénurie pourrait contraindre les entreprises à suspendre voire cesser leurs activités du fait d’une perte de confiance dans des relations distendues avec leurs fournisseurs et partenaires extérieurs. « D’ores et déjà, certains prestataires ont suspendu leurs opérations avec le Cameroun et aucune visibilité n’est perceptible à l’horizon pour rassurer nos partenaires », indique Célestin Tawamba. Il ajoute que, « les délais d’exécution ne sont plus respectés, ils varient de plusieurs semaines à plusieurs mois. De plus, les commissions de transfert et d’achat des devises, ainsi que divers frais bancaires sont à la hausse, et les procédures de transfert plus longues et plus complexes ».


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Au total, les conséquences de cette pénurie sont désastreuses pour les entreprises et pour l’économie en général.  Aux premières heures de cette crise, le Gicam indique qu’en liaison avec l’Association des professionnels des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam), il avait attiré l’attention des autorités monétaires sur les risques grandissants qui pèsent sur l’économie du pays du fait de cette pénurie des devises. De fait, les entreprises sont exposées à la perte de protection de leurs actifs en lien avec le non-paiement effectif des primes dues aux compagnies de réassurance internationales. Le risque-pays se dégrade et tend à détourner les assureurs-crédit de nos entreprises.

« Nos efforts sont restés vains malgré la nouvelle règlementation de change qui, pour l’heure, n’a guère permis d’apporter des solutions concrètes aux problèmes des entreprises, ni à rassurer les opérateurs économiques, mais s’est caractérisée par des contrôles administratifs accrus préjudiciables aux opérations d’importation », indique Célestin Tawamba.

C’est pourquoi, face aux menaces réelles de paralysie de l’économie, le GICAM maintient le contact avec les autorités monétaires pour que des solutions à cette problématique soient identifiées et mises en œuvre. Le GICAM propose notamment que trois mesures conservatoires soient prises dans l’urgence qui permettront de limiter les effets néfastes de cette crise des devises : la suspension temporaire de l’importation de certains produits, le contingentement de l’importation de produits plus ou moins essentiels, la priorité donnée au paiement des importations de produits et services essentiels ainsi que des secteurs stratégiques.

La mesure qui vient du Congo

Le Congo, lui, a déjà pris des mesures pour juguler la crise. Le 4 juin dernier, le ministre Congolais en charge des Finances a autorisé les banques à procéder à l’importation des devises. « La place bancaire du Congo fait face aujourd’hui à une pénurie de devises consécutive à la suspension par les banques de toute activité d’importation de celles-ci. Cette décision est la conséquence de la mise en œuvre par la Banque centrale de certaines dispositions liées à l’application de la nouvelle réglementation des charges », écrit le ministre des Finances. Il ajoute : « en vertu des dispositions prévues par la convention de Vienne, il est indispensable que les missions diplomatiques puissent disposer des devises nécessaires à leurs besoins dans les conditions optimales ».

Par conséquent, l’autorité monétaire que représente le ministre congolais des Finances autorise les banques à effectuer l’importation des devises, afin de faire face aux demandes exprimées par les représentations diplomatiques au Congo.

Les entreprises se plaignent

Dans le landerneau des entreprises au Cameroun, c’est la grogne et l’inquiétude. Certains acteurs économiques pensent que la situation s’aggrave alors que la Banque centrale ne prend pas de bonnes mesures. Ce qui accélère la crise.


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« Bientôt, les usines vont s’arrêter faute de matières premières et ça va renforcer les importations. Le Gicam doit absolument prendre les devants de ce combat qui n’est aucunement un combat politique mais un combat économique. Le Gicam peut le faire avec ou sans la participation  de l’Etat. La preuve, Facebook est en train de le faire, Orange, MTN ont  fait leur  monnaie sans l’aide de l’Etat. Le Gicam peut et doit le faire et suivre ainsi ce que les Suisses ont fait dans les années 30 en créant le WIR. Malheureusement, aucune institution de Bretton Woods ne viendra nous le dire », explique un acteur économique.

 

La BEAC mis à l’indexe

En parcourant ladite règlementation, l’on apprend que l’ouverture d’un compte en devises hors de la CEMAC est interdite aux personnes morales résidentes, à l’exception des établissements de crédit. Les résidents ici sont ceux qui vivent dans la sous-région ou qui ont leur centre d’intérêt économique prédominant dans la CEMAC.

Sont aussi concernés, ceux qui séjournent même de façon discontinue pendant plus d’un an dans l’un des pays de la sous-région ou ayant l’intention d’y exercer une activité économique pendant au moins un an, y compris les réfugiés. Toutefois, indique la BEAC, la Banque centrale peut autoriser une personne morale résidente à ouvrir un compte en devises hors de la CEMAC dans les conditions et modalités fixées par elle. Par la suite, la Banque centrale en informe le ministère en charge de la Monnaie et du Crédit. Désormais, les comptes des personnes physiques résidentes ouverts à l’étranger doivent être déclarés à la Banque centrale.

Le 4 mars dernier, le gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, a pourtant réfuté l’hypothèse d’une rareté des devises dans la zone Cemac. « La banque centrale dispose de devises en quantité suffisante pour répondre, à tout moment, aux besoins des économies des Etats-membres de la CEMAC (…) Les agents économiques désireux de régler les opérations avec l’extérieur, devraient s’adresser aux banques agréées de la CEMAC. Celles-ci sont tenues d’exécuter toutes les demandes de transfert de la clientèle dans les 48 heures, suivant le dépôt desdites demandes à leurs guichets, sous réserve que toutes les conditions et les pièces exigibles en application de la règlementation de change soient réunies», a expliqué le gouverneur de la BEAC.

Le principal dirigeant de l’institut d’émission des six Etats de la CEMAC avait précisé, par ailleurs, qu’en cas d’insuffisance de la trésorerie en devises au sein des banques, elles transmettent immédiatement à la Banque centrale, les dossiers relatifs aux différentes demandes. Selon Abbas Mahamt Tolli, la Banque centrale se charge alors d’exécuter l’opération de transfert correspondant au besoin exprimé par la banque, sur la base des dossiers de la clientèle.

Cependant, a précisé Abbas Mahamat Tolli, « il est apparu clairement que beaucoup de banques de la communauté sont en marge des règles encadrant le mécanisme de règlement des opérations internationales». En effet, poursuit-il, « habituée à détenir des avoirs extérieurs injustifiés et à solliciter parallèlement les concours de la Banque centrale pour le règlement des opérations internationales, la majorité des banques affichent des comportements similaires, face au suivi des dispositions réglementaires en matière de change dont notamment, véhiculer la mauvaise information aux opérateurs privés, ou refuser volontairement de régler leurs opérations».


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Sur la plainte des opérateurs économiques, qui dénoncent les frais de change, qui se situeraient désormais à environ 13% du montant de la transaction, Abbas Mahamat Tolli a souligné que « les contrôles sur pièces et sur place effectués par (ses) services ne font pas mention d’une pratique systématique de taux de commission de ce seuil, appliqué par les établissements de crédit. En revanche, précise-t-il, certains établissements de crédit ont largement dépassé les seuils prescrits par les dispositions réglementaires », et sont de ce fait, passibles de sanctions.

Abbas Mahamat Tolli a invité donc tous les agents économiques dont les demandes de transfert seraient rejetées par les banques, au motif de la rareté des devises, d’en informer la direction nationale de la BEAC de leur pays de résidence, avec tous les éléments justificatifs.

Sur un ton menaçant, le gouverneur a déclaré : « La Beac se réserve le droit de mener toutes les actions nécessaires, en particulier, l’application des sanctions prévues par la réglementation des changes en vigueur, à l’encontre des banques qui, par leur pratique, entraveraient la bonne réalisation des opérations internationales des agents économiques ».

Aux dires de M. Tolli, la Banque centrale dispose d’avoirs en devises permettant de couvrir largement les besoins des économies de la CEMAC. A preuve, ajoute-t-il, la stabilité extrême de la monnaie de la zone est confortable comme l’atteste son taux de couverture extérieure qui s’établit à plus de 62 %. Mais à l’épreuve des faits, l’autorité monétaire est contredite.

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