Conjoncture

Refonder le Patronat pour industrialiser les PMEs

Yannick Kwetchoua, chef d’entreprise, Président de Bâtisseurs Africains & Valère Mboumtcho, chef d’entreprise, Président du Grand Littoral Business Forum

Par Yannick Kwetchoua, chef d’entreprise, Président des Bâtisseurs & Valère Mboumtcho, chef d’entreprise, Président du Grand Littoral Business Forum

Au-delà de la question de la fusion entre le Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) et Entreprises du Cameroun (E.CAM), la réflexion sur la refondation du Patronat, initiée par le Think Do Tank The Okwelians, demeure d’actualité. Cet aggiornamento inévitable au sein du Patronat devra sans aucun doute avoir pour indicateur de succès une amélioration substantielle de la compétitivité des petites et moyennes entreprises (PME) camerounaises.

En effet, il est impossible d’ignorer les statistiques de la représentativité des PME sur la strate économique de notre pays et l’influence qu’elles pourraient aussi bien au niveau macro que microéconomique. Selon des chiffres officiels, les PMEs représentent près de 98 % des entreprises en activité et il y a encore beaucoup à faire car malgré cette représentativité dans l’environnement des affaires au Cameroun, la présence des PME dans l’écosystème patronal représente moins de 1 %. De ce fait, refonder le Patronat c’est d’abord soigner cette incohérence en désaccord avec la structure de l’économie camerounaise afin qu’au final, le Patronat remette au centre du débat la transformation de nos PMEs camerounaises.

Toutefois, il serait mal venu de penser que l’amélioration du taux de syndication des PME est une sinécure. En fait, on est loin d’un procès d’intention puisque le Patronat s’est jusque-là toujours comporté comme un outil politique au service des grands patrons. Il faut noter que ce sont ces grands patrons qui sont à l’origine de la naissance du Patronat au Cameroun. Ils avaient alors eu l’idée de se réunir en syndicat pour protéger leurs intérêts. Cet engagement n’a pas pris une seule ride depuis plus de cinquante ans, et ce malgré l’arrivée des patrons entrepreneurs à la tête du GICAM.

D’ailleurs, il faut admettre qu’une syndication plus forte des PME ne pourra s’accommoder d’un système de gouvernance patronale à la solde des « commerçants » et autres acteurs de la filière import/export. Fondamentalement, le commerçant ne crée pas la richesse car son activité consiste à acheter un produit pour le revendre en garantissant une marge de bénéfice, sans valeur ajoutée pour l’économie locale. En clair, il n’est pas possible de se développer en continuant de déséquilibrer la balance commerciale. C’est pour cette raison que le Patronat, comme l’exécutif, doit plus que jamais s’impliquer en faveur de la structuration de chaînes de valeurs durables bâties autour de PME compétitives.

Désormais, le Cameroun est à l’ère de de l’import substitution, et une politique orientée serait la bienvenue pour industrialiser notre pays. Cette politique d’import-substitution est contenue dans le document de Stratégie nationale de développement du Cameroun à l’horizon 2030 (SND30), la boussole économique de la décade actuelle. Officiellement en vigueur depuis la loi de finances de l’exercice budgétaire 2021, cette politique est la réponse à la gangrène de l’économie nationale jugée « extravertie ».  Le Patronat refondé fera donc la part belle aux PMEs productrices de biens ou de services en terre camerounaise ; mais pour le faire, il va falloir y penser en y associant les principaux acteurs de cette strate, ces jeunes entrepreneurs qui au quotidien innovent, produisent et transforment.

Pour cela, il est urgent de multiplier les outils au service de la PME camerounaise. Entre autres, les grandes entreprises (GE) se doivent de faire faire par les PMEs ce qu’elles ne peuvent pas assumer. la sous-traitance est un attelage qui crée une chaine de production de richesses accordant autant d’importance aux PME qu’aux grandes entreprises. C’est le principe du Make or Buy en l’occurrence. Une récente étude menée par Oxford Economics, considérée comme la plus grande entreprise d’analyses macroéconomiques au monde, montre qu’une moyenne de 65 % des grandes entreprises considèrent le recours à des sous-traitants, prestataires ou encore freelances (des PME pour la plupart) comme essentiels pour répondre à leurs besoins. Assez pour consacrer le Make or Buy comme un outil moderne en vogue dans les grandes économies. Si nous reconnaissons que des choses ont déjà été faites et que plusieurs GE la pratiquent, nous restons persuadés que beaucoup reste à faire afin que les PMEs puissent être pleinement partie prenante dans les chaînes de valeur économiques camerounaises pour que la richesse créée profite équitablement aux camerounaises et aux camerounais.  Le Patronat camerounais a donc tout à gagner à suivre la tendance mondiale.

Mais pour cela, les PME camerounaises ont besoin d’être structurées pour garantir un partenariat efficient aux grandes entreprises. En réalité, les moyennes entreprises (ME) sont généralement plus structurées que les petites entreprises (PE). Ce sont ces dernières qui ont besoin d’un accompagnement. L’une des solutions à explorer est de les mutualiser à travers les différentes structures juridiques existantes.  La réalité actuelle présentée de manière illustrée c’est une unité de transformation de savon qui s’approvisionne en huile de palme auprès des petites entreprises et même parfois des très petites entreprises (TPE) qui parfois ne sont pas capables de répondre convenablement à la demande. L’idée est donc d’aider ces fournisseurs à s’organiser en coopératives pour que ces PME soient capables de jouer pleinement leur rôle dans un système qui priorise le Make or Buy. Il faut néanmoins indiquer que l’ouverture du Patronat aux PME, prônée à travers une refondation, n’est pas une simple opération comptable. C’est davantage un projet qui vise l’intérêt commun. En devenant les partenaires privilégiés des GE, ces PME deviendront les chantres du Made in Cameroon . A titre d’exemple, une bonne partie de l’offre en huile de palme qui alimente les unités de transformation provient du Gabon. Comme c’est le cas de l’huile de palme, d’autres matières premières utilisées par l’industrie locale ne sont pas produites localement. La conséquence est l’aggravation du déséquilibre de la balance commerciale et même la perte de points de croissance.

Dans le même ordre d’idées, le Patronat doit mener un plaidoyer auprès des autorités publiques pour que les PME locales deviennent le partenaire privilégié de l’Etat pour l’offre des biens et des services. Ce statut va certainement donner plus d’envergure aux PME tout en réduisant la dépendance de l’Etat vis-à-vis des entreprises étrangères. Nul doute que cette forme de patriotisme économique va renforcer le label Made in Cameroon. Les arguments pour construire ce plaidoyer ne manquent pas. D’abord parce le Gouvernement ne cache plus l’intérêt qu’il porte aux PME. En 2004, il a créé un ministère dédié au développement de ces PME. Ensuite, l’objectif est bien de se servir de ces dernières comme un véritable levier de croissance.

La refondation du Patronat constituera donc, une fois lancée, un véritable coup d’accélérateur à la transformation structurelle du pays. Engageons-nous pour ensemble refonder le Patronat camerounais !

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